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Vers une trêve dans la guerre commerciale Chine / Etats-Unis : Trump "danger pour l'économie  américaine"... vraiment ?
©MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Accord

La Chine et les Etats-Unis ont signé, ce mercredi 15 janvier 2020, la "Phase 1" d'un accord commercial. Jusqu'alors nombreux étaient les commentateurs qui pointaient du doigt l'attitude de Donald Trump.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Atlantico.fr :  La signature de cet accord phase 1 ne représente-t-elle pas une victoire pour les Etats-Unis et Donald Trump ?

Antoine Brunet : Tout dépend de la référence que l'on prend. 

Rappelons qu'en janvier 2017, Xi Jinping s'était déplacé à Davos pour y célébrer le libre-échange et le multilatéralisme de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). C'était une communication très hypocrite. Le dirigeant chinois savait fort bien que ce libre-échange était tout à fait déloyal (unfairtrade) et qu’il était tout à fait biaisé en faveur de Pékin : 

• A la différence des autres pays et en prenant appui sur son régime totalitaire,  Pékin est en mesure de maintenir écrasés les coûts salariaux  horaires de ses ouvriers d'industrie (le PCC loin d’exercer la dictature du prolétariat exerce en réalité une dictature sur le prolétariat ouvrier) ; 

• Pékin depuis 1994 a par ailleurs imposé à la communauté internationale un yuan considérablement sous-évalué ; 

• Conséquence de son option pour le capitalisme d’Etat, Pékin pratique toutes sortes de subventions cachées à ses industries d'exportation...

En quelque sorte, dans le libre-échange que célébrait Xi Jinping, la Chine était au milieu de la planète comme "le renard libre au milieu du poulailler libre".

La Chine maintenait alors inexorablement des excédents commerciaux considérables au détriment des Etats Unis et de la plupart des autres pays du monde ; en dépit de cette configuration, dans une ambiance générale de résignation internationale, la Chine réservait à sa discrétion de dévaluer le yuan même si celui-ci était déjà extrêmement sous-évalué. Ainsi par exemple, entre début 2015 et fin 2016, alors même que l'excédent commercial chinois atteignait un chiffre record (600 Mds $ en cumul sur 12 mois) les autorités chinoises se permirent de porter le dollar de 6,20 à 6,90 yuan alors même que la parité recommandée par le FMI demeurait à 3,50 yuan. Un comportement qui était absolument anti-coopératif. Une attitude qui était incroyablement arrogante. 

Aujourd'hui, la configuration a bien changé. D'abord, l'OMC, la grande organisation punitive qui jouait un rôle majeur dans la stratégie de Pékin « a perdu ses dents ». Comme je l’avais annoncé dans ces colonnes au printemps 2019, depuis le 10 décembre 2019, le tribunal suprême de l'OMC ("The Appellate Body") ne compte plus qu'un seul juge quand il en comporte normalement sept et quand les statuts de l'OMC exigent un minimum de trois juges pour qu'il puisse statuer. En protestation contre un fonctionnement déloyal de l'OMC, Obama puis Trump ont rejeté successivement les candidats qui se présentaient en remplacement des juges sortants, ce qui a de facto empêché le renouvellement de l'Appellate Body (les candidats-juges doivent pour être validés recueillir l'unanimité des Etats-membres de l'OMC). Désormais, l'OMC n'a donc plus la capacité de mordre les pays qui essayaient de se protéger des exportations trop bon marché de la Chine. 

Et cela est une immense défaite pour la Chine. Le renard est toujours aussi nuisible mais les volailles ne sont plus enfermées dans le poulailler et peuvent maintenant se protéger : les pays menacés par la sur-compétitivité salariale chinoise retrouvent enfin leur capacité à pratiquer des droits de douane ou des quotas d'importation sur les produits made in China.

Dans sa phase 1 (mars 2018-janvier 2020), la guerre commerciale initiée par Donald Trump a donc bien changé la donne internationale. Si chacun reconnaît que la signature du Trade Deal est une trêve ou un cessez-le feu plutôt qu'un véritable traité, il n'empêche que la Chine le 15 janvier a indirectement entériné la disparition de l'Appellate Body intervenue depuis le 10 décembre 2019.

De la même façon, la Chine, en admettant qu'elle ne peut plus jouer discrétionnairement avec le cours du yuan sans s'exposer à des sanctions de la part des Etats Unis, perd un atout majeur dans sa stratégie industrielle et commerciale conquérante.

Cet accord ne fait-il pas démentir tous ceux qui accusaient Donald Trump d'être "dangereux pour l'économie" ? La stratégie du Président, qui a multiplié les sanctions commerciales et voulait se montrer comme un adversaire redoutable, n'a-t-elle pas finalement été payante ? 

Le dicton dit : "On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs". La Chine hypnotisait et tétanisait les Etats Unis et les autres pays comme un boa hypnotise et tétanise ses proies. Beaucoup de commentateurs agitaient le spectre des rétorsions financières que prendrait la Chine au cas où les Etats Unis se lanceraient dans une guerre douanière (Pékin pourrait revendre brutalement les Treasuries qu'il possède ; Pékin pourrait provoquer une crise de confiance dans le dollar et/ou dans Wall Street...). Ces cartes pour l'instant n'ont pas été jouées par Pékin, sans doute parce que Pékin savait que Washington avait la parade. Il aura fallu un président américain imprévisible pour sortir de cette tétanisation ainsi qu'il était devenu indispensable. S'il y a un coût, c'est essentiellement pour les grandes multinationales qui vont devoir réduire leurs investissements en Chine pour les concentrer au Vietnam, en Inde ou au Mexique. 

Mais ce coût à court terme est très peu de choses par rapport à l'avantage géopolitique à long terme si les Etats Unis et leurs alliés réussissent à amoindrir l'excédent commercial de la Chine. C'est en effet son excédent commercial colossal qui alimente la trésorerie de la Chine en dollars, trésorerie qu'elle utilise ensuite pour s'acheter les ports du Pirée, de Djibouti ou de Trieste, pour se subordonner le Venezuela ou le Pakistan (après s'en être rendu fortement créancière), pour concentrer sur son territoire des scientifiques étrangers de haut niveau, pour développer des programmes très ambitieux en matière de technologie et d'armements nouveaux ....

Si le rapport de force semble actuellement être favorable aux Etats Unis, cela pourrait-il néanmoins changer dans les mois à venir ? Finalement la fin de la guerre commerciale n'est-elle pas provisoire ? 

Je fais partie des nombreux observateurs qui pensent que c'est un simple cessez-le-feu qui a été signé ce 15 janvier 2020. Si les Etats Unis ont marqué quelques points, rien n'est vraiment résolu. La Chine n'a pas du tout renoncé à ravir l'hégémonie aux Etats Unis d'ici 2049 : elle maintient son cap 2025 qui consiste à dominer mondialement au moins six des dix filières technologiques de pointe ; elle entend poursuivre la construction d'un réseau de "routes de la soie" qu'elle contrôlera et qui lui bénéficiera ; elle développera ses projets spatiaux et ses programmes d'armements....

Face à cette stratégie multidimensionnelle de la Chine, la principale ligne de défense des Etats Unis consistera à limiter l'approvisionnement de la Chine en dollars : réduire l'excédent commercial de la Chine, réduire aussi les flux de capitaux vers la Chine (en délistant par exemple les entreprises chinoise présentes à Wall Street ainsi qu'il en fut question récemment). Autant dire qu'il y aura d'autres phases de friction entrecoupées sans doute d'autres cessez-le-feu.

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