Ce boulevard qui devrait s’ouvrir au RN… mais ne s’ouvre pas tant que ça<!-- --> | Atlantico.fr
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Paradoxe

Au vu de la situation complexe en France, le RN devrait sortir son épingle du jeu. Les électeurs de ce parti lui sont fidèles et ceux de l'extrême gauche pourraient aussi basculer vers le RN. Une machine de guerre donc... mais cela ne reste qu'en théorie car le parti est en réalité, plutôt en retrait.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Si l'on en croit les sondages, le Rassemblement national (RN) est considéré  par les Français comme étant le premier parti d'opposition. Est-ce pour cette raison qu'à deux mois des municipales le parti semble encore  être en position d'attente ?

C’est surtout que les élections municipales ne sont pas vraiment un moment très positif a priori pour le RN. En effet, ses perspectives de gagner une grande ville, ou même simplement de figurer au second tour de l’élection dans une grande ville, sont très faibles, voire nulles. En effet, la sociologie et la géographie de l’actuel Rassemblement national (RN) ne sont pas autre chose que celles du Front national (FN). Or, vu par le prisme du local, l’extrême-droite incarnée par le FN/RN ne perce que dans des territoires qui sont très peu couverts par les médias nationaux. Alors que, pour ne prendre que cet exemple, tout candidat un peu important à la mairie de Paris fait l’objet d’une couverture médiatique importante, les candidatures de prétendants RN à la mairie dans des petites villes ou agglomérations n’ont pas cet honneur d’une mise en récit par des médias nationaux qui ne voient finalement plus la « province ». Même à Marseille, la grande métropole française la plus mal gérée et la plus en difficulté pour trouver un second souffle économique, il ne me semble pas qu’on parle d’une possible victoire du RN/FN sur toute la ville.

Par ailleurs, quand le FN/RN ou un allié proche de ce dernier dispose d’une mairie conquise à l’élection municipale précédente, force est de constater qu’il s’agit toujours de villes dont l’importance économique pour la France tend, pour rester dans le politiquement correct, vers pas grand-chose, voire rien. Hénin-Beaumont ou Béziers seraient-elles rayés en une nuit de la carte de France par quelque désastre que le PIB du pays ne bougerait à terme à la baisse que de l’épaisseur du trait.  C’est une caractéristique logique pour un parti qui séduit, qu’il le veuille ou non, la France qui va mal, la France qui souffre de ne pas trouver sa place dans la mondialisation. Le FN/RN ne semble pouvoir devenir majoritaire dans l’électorat dans les lieux où le présent est déplorable et où l’avenir parait particulièrement sombre. C’est d’ailleurs une différence essentielle avec le communisme municipal, qui, au départ, dans les années 1920-30, séduit l’électorat populaire dans des lieux où l’industrie se trouve alors en plein essor, comme la « banlieue rouge » de Paris alors pleine d’ateliers et d’usines. Cette propension à récupérer la gestion de villes en déshérence économique et sociale ne constitue évidemment pas une excellente carte de visite nationale pour le RN, car il est bien incapable d’organiser ensuite à lui tout seul un miracle économique local -  la position d’une ville dans la mondialisation dépendant en effet de facteurs qu’une mairie ne maîtrise que difficilement.  
En outre, le FN/RN connait sans doute, comme aux élections municipales précédentes, une certaines difficulté à remplir des listes de personnes compétentes et surtout sachant ne pas aller trop loin dans les déclarations provocatrices. 

Enfin, nous sommes en plein conflit sur la réforme des retraites. D’une part, le RN se dit contre cette réforme. D’autre part, par son histoire et du fait de son idéologie favorisant l’ordre, il est très bien implanté chez les forces de l’ordre, et il n’a vraiment aucune sympathie pour les syndicats de salariés qui mènent la contestation (CGT, FO, FSU, CFE-CGC, Solidaires, etc.). Les dirigeants du RN ont donc tout intérêt à ne pas trop se montrer présent pour ne pas s’aliéner leur électorat dans la police, tout en promettant à terme une abolition de la réforme des retraites en cas d’arrivée au pouvoir en 2022, pour se concilier cette majorité d’actifs toujours très hostiles à cette dernière. 


Si le RN peut compter sur ses électeurs généralement fidèles et un possible transfert des voix des électeurs de l'extrême gauche, pourquoi ne tente-t-il pas séduire un nouvel électorat ?

Christophe Bouillaud : La fidélité des électeurs du FN/RN est effectivement bien établie par la plupart des études disponibles en science politique. Par contre, le transfert de voix d’électeurs d’extrême gauche n’a jamais eu l’importance que lui prêtent des commentateurs intéressés à mettre dans le même sac tous les populismes. A bien y regarder, il n’est même pas sûr que ce transfert, apparent en regardant certaines cartes électorales, existe. En réalité, le RN/FN séduit surtout des personnes venues de la droite ou du marais apolitique. 
La raison pour laquelle le FN/RN n’arrive pas à séduire un plus large électorat tient d’abord au fait que ses idées restent minoritaires dans le pays. Les électeurs ne votent pas pour le FN/RN parce qu’ils ne pensent pas que l’immigration constitue la source de tous nos maux. Par ailleurs, les électeurs se méfient des propensions bien peu libérales de ce parti. Même si Marine Le Pen a entendu « dé-diaboliser » son parti, en autre en changeant son nom et en s’éloignant des polémiques sur la Seconde guerre mondiale, il reste que la majorité de l’électorat, surtout la plus éduquée, se méfie. Ce n’est donc pas que le RN n’essaye pas de séduire un nouvel électorat, mais c’est surtout que l’électorat s’est fait, au fil des années, une image du FN/RN qui ne bougera que très difficilement. Ce parti est l’héritier d’un FN créé en 1972 par un certain Jean-Marie Le Pen et toujours dirigé par une certaine Marine Le Pen. Le « lepénisme » est certes une garantie de qualité pour beaucoup d’électeurs d’extrême droite, mais c’est aussi un repoussoir pour tous les autres, qui ne peuvent pas se laisser surprendre. Du point de vue d’une comparaison européenne, c’est là le côté le plus typique du RN : sa mainmise sur son camp du nationalisme xénophobe, mais aussi son incapacité à projeter une image de dynamisme, à faire l’événement, comme le fait si bien un Salvini en Italie ou un Orban en Hongrie. 

D'où vient ce paradoxe entre position de force et attitude passive, le RN est-il à court de stratégie ? La solution pourrait-elle être de changer de Président ?

Le RN, comme tous les grands partis, a bien compris que dans la Vème République seule l’élection présidentielle compte. Les sondages  prédisent toujours un duel Macron/Le Pen au second tour. Il suffit pour le RN d’attendre que les électeurs français détestent encore plus Macron qu’ils ne craignent la représentante de la famille Le Pen. Comme, jusqu’ici, Emmanuel Macron a vraiment fait un extraordinaire sans-faute pour se faire détester des classes populaires sur le plan économique et social, et que ces dernières restent majoritaires dans l’électorat, il suffit donc d’attendre que ces dernières se saisissent de la candidate RN comme d’un moyen pour se débarrasser de celui qui croit qu’ils ne sont rien. En effet, la gauche, dans ses diverses composantes, semble être incapable de retrouver les mots pour remobiliser à son profit l’électorat populaire, et se trouve exclue par ses divisions du second tour. La droite, les Républicains, même si l’exemple de Boris Johnson pourrait les faire réfléchir, reste bloquée sur un discours néo-libéral sans grande valeur ajoutée par rapport à celui de LREM, et, au vu des sondages sur la nature de son électorat résiduel, pourra bientôt se renommer les CR (Catholiques Retraités). Du coup, le RN reste le seul parti qui parle aux classes populaires et moyennes, au moins à une partie d’entre elles, celle pour lesquelles l’enjeu migratoire est prioritaire.

Donc, pour l’instant, le RN n’a pas intérêt à changer de président. Marine Le Pen aura encore une fois sa chance en 2022. Ce n’est que si elle échoue que le RN devra absolument se trouver un nouveau leadership. 

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