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Le gaullisme de guerre à l’heure de vérité
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Bonnes feuilles

Jean-Paul Cointet publie "De Gaulle, Portrait d’un soldat en politique" aux éditions Perrin. De l’arme blindée à l’arme atomique, de l’appel du 18 juin à la constitution de la Ve République, de Gaulle, incomparable dans l’art de commander puis de gouverner, a voulu que la France recouvre et tienne son rang. Extrait 2/2.

Jean-Paul Cointet

Jean-Paul Cointet

Professeur émérite des universités, Jean-Paul Cointet est un spécialiste reconnu de la Seconde Guerre mondiale. 

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L’été 1943 a marqué un tournant décisif dans l’histoire du gaullisme de guerre. C’est la fin d’une époque, celle qui vit naître puis prendre corps l’aventure de la France libre, confondue désormais avec les destinées du pays tout entier. D’aventure isolée, elle est devenue entreprise collective et projet d’avenir. Mais c’est un point de départ autant qu’un point d’arrivée. Car tout est loin encore d’être joué à cette date.

L’attitude des grands alliés n’est pas encore fixée : sont-ils prêts à reconnaître en de Gaulle le chef d’un futur gouvernement de la France ? À cet égard, la proclamation d’un « Gouvernement provisoire de la République française », le 3 juin 1944, n’entraîne nulle reconnaissance de celui-ci. 

Trois tâches pour la guerre 

Cette reconnaissance passait, pour de Gaulle, dès les débuts du CFLN, par trois impératifs abordés simultanément, qui prolongent en fait l’entreprise lancée dès l’été 1940 : créer un véritable État, rebâtir une diplomatie, mener une armée au combat dans la guerre de libération qui allait s’ouvrir. Si le CFLN pouvait apparaître comme l’embryon d’un véritable gouvernement, il lui manquait le pendant d’un organe législatif. C’est chose faite en septembre 1943 avec la formation d’une Assemblée consultative provisoire de cent quarante-deux membres dont quarante issus des organismes de résistance métropolitaine. 

Assemblée « provisoire », attribution purement « consultative » (elle ne peut qu’émettre des « avis »), on retrouve certes l’engagement pris par de Gaulle de consulter la Nation à la fin des hostilités. Ça n’en est pas moins une sorte de préfiguration d’un Parlement librement élu. La présence de vingt représentants de l’Assemblée ayant refusé le vote en faveur de Pétain en juillet 1940 confirme l’annonce par de Gaulle de ne pas rompre avec les pratiques républicaines. Sont membres des délégués communistes. 

Par une ordonnance du 21 avril 1944, l’Assemblée instaure le droit de vote pour les femmes, ce qui est accomplir un acte de nature institutionnelle. Ce droit reconnu aux femmes répondait chez de Gaulle à trois impératifs : combler le retard pris par la France par rapport aux démocraties modernes; reconnaître la part prise par les femmes dans la résistance à l’occupant; sans doute enfin introduire dans le corps électoral orienté très à gauche un élément jugé conservateur. 

Sous la présidence (encore) conjointe de Giraud et de De Gaulle, avaient été distribués douze postes de commissaires, dont un seul (le général Georges) était partisan de Giraud. 

Principale préoccupation du CFLN, les Affaires étrangères. La préoccupation chez de Gaulle de disposer d’un appareil diplomatique n’était certes pas nouvelle et remontait à l’automne 1941. La tâche se révélait facilitée par l’écroulement de celui de Vichy. Ce gouvernement avait été reconnu par une quarantaine d’États, y compris les États-Unis et l’URSS. Au début de 1943, ne sont plus représentés dans la capitale provisoire qu’une vingtaine de gouvernements, en dehors des neutres, des inféodés au régime nazi et d’une demi-douzaine de pays asiatiques. Les ralliements de diplomates se multiplient à partir de novembre  1942, encore que tous n’aient pas rallié de Gaulle, beaucoup ayant rejoint plutôt Giraud. Ce qui explique les difficultés de De Gaulle à recruter des diplomates de haut rang. 

Parmi ceux-ci, un nom émerge, celui de René Massigli, arrivé à Londres en janvier 1943, démissionnaire de son poste d’ambassadeur à Ankara, nommé commissaire aux Affaires étrangères du CFLN en juin  1943. Churchill a joué un rôle dans sa nomination. Arrivé à Londres à bord d’un Lysander anglais, il aura par la suite divers entretiens avec le Premier ministre, ce qui aura le don d’agacer quelque peu de Gaulle, toujours prompt à soupçonner des manœuvres dans son dos fomentées par les Anglais (avait-il toujours tort ?). Fin 1943, vingt-sept pays avaient reconnu le CFLN. Le statut précaire du CFLN ne favorisait pas sa participation aux grandes rencontres internationales. Il est écarté de deux grandes conférences interalliées : celles de Moscou (octobre 1943) et Téhéran (novembre 1943). En septembre 1943, le CFLN, en dépit de ses demandes, n’avait pas été associé aux négociations d’armistice avec l’Italie. Elles concernaient pourtant directement la France. Il y fut convenu que serait opéré un débarquement sur les côtes françaises au printemps 1944. C’était l’ouverture du second front, demandé obstinément par Moscou. Non seulement il n’y eut pas de participation française, mais Alger ne fut même pas informé. 

Il restait à de Gaulle à tenter de jouer de sa diplomatie de revers, orientée face aux Anglo-Saxons vers l’URSS. On le voit, à diverses reprises, exprimer son désir d’être reçu à Moscou. Vœu qui ne rencontre que le silence jusqu’à ce qu’en octobre  1943 Bogomolov, l’ambassadeur soviétique à Londres, annonce au Général que le Kremlin est favorable à sa venue. Vœu qui ne s’accompagne d’aucune date. Sans doute Staline ne voulait-il pas heurter de front Churchill et surtout Roosevelt. Le voyage n’aura lieu qu’en décembre 1944 et sera lourd de déconvenues pour de Gaulle. Ne raisonnant qu’en termes de divisions armées, Staline ne pouvait voir en de Gaulle qu’un voyageur sans bagages. 

Ces avances de De Gaulle à Staline comme sa volonté de rapprochement avec le parti communiste n’étaient pas sans inquiéter les Britanniques, ainsi qu’Eden s’en ouvrit à plusieurs reprises auprès de De Gaulle. Mais n’était-ce pas le but recherché par celui-ci ? 

C’était précisément d’une armée que de Gaulle avait désespérément besoin. On était arrivé à l’heure où commençaient à se préciser les plans des Alliés pour la reconquête du continent. De plus, une rumeur circulait, selon laquelle, lorsqu’ils auraient libéré une partie du territoire français, ils en confieraient la gestion à un organisme d’occupation. Cela revenait à identifier la France à un pays ennemi. 

Il ne pouvait que constater amèrement : « Comme elle est courte l’épée de la France, au moment où les alliés se lancent à l’assaut de l’Europe ! Jamais encore notre pays n’a, en une si grave occasion, été réduit à des forces aussi relativement limitées. […] Mais jamais son armée n’a eu une qualité meilleure. Renaissance d’autant plus remarquable qu’elle est partie d’un abîme de renoncement. » 

Le problème, pour de Gaulle, provenait de ce qu’à l’origine la reconstitution d’une armée était l’œuvre de Giraud appuyé par les Américains en matière d’équipements et de matériel, aspect sur lequel de Gaulle se montre discret dans ses Mémoires. Les accords « Murphy-Giraud » d’octobre 1942 avaient été précisés à la conférence d’Anfa, en janvier 1943. Le plan d’Anfa prévoyait la création de huit divisions d’infanterie motorisée, de trois divisions blindées et la livraison de 450000 tonnes de matériel. 

Cette situation évolua peu à peu, accompagnant le déclin de l’autorité réelle de Giraud. Réorganisé au retour de Giraud des États-Unis dans l’été 1943, le CFLN voyait l’évadé de Königstein passant commandant en chef, tout en demeurant officiellement coprésident. Au nom de la subordination du commandement militaire au pouvoir civil, Giraud ne pouvait que s’effacer de sa coprésidence devenue formelle. La participation des troupes de la France libre aux combats de Tunisie vit leur armement assuré par les États-Unis. Dans le même temps, de Gaulle créait, en marge du CFLN, un Comité de défense nationale. La nouvelle armée en voie de formation devenait une armée sous l’autorité de De Gaulle, désormais maître de la politique de guerre. L’éviction de Giraud de son commandement en avril  1944 ne fit que consacrer un état de fait; elle ne suscita aucune réaction du côté des États-Unis. Le réarmement était en bonne voie et le commandement suprême des troupes était, de toute manière, entre leurs mains. 

À  l’automne 1943, une note du Comité de défense nationale, à l’endroit des Américains, avançait le chiffre de 575000 hommes et femmes sous les drapeaux. Aux deux tiers ils étaient issus d’Afrique du Nord et d’Afrique noire. Chiffre gonflé de beaucoup car ne répondant nullement aux normes américaines. 

La France libre apportait peu en regard. À Eisenhower qui l’interrogeait sur les forces françaises en Angleterre, de Gaulle avançait le chiffre de 2000  hommes. De Gaulle, dans ses Mémoires de guerre, apporte les précisions suivantes : « Il est vrai que la France libre amenait 15000 jeunes soldats [dans l’Empire], que la Corse fournit 13000 combattants, que 12000 garçons s’évadèrent de France par l’Espagne, que 6000 femmes et jeunes filles entrèrent dans les services. » 

La majorité se trouvant encore à l’incorporation, on n’en saisit que mieux la suite du propos de De Gaulle : « Le recrutement des gradés et des spécialistes disposait d’insuffisantes ressources. » Doux euphémisme… dont ne peut mieux rendre compte la rapidité de certains avancements dans l’« armée de Gaulle », plus riche au départ en capitaines qu’en colonels ou en généraux. 

Il restait à réaliser la fusion des services spéciaux. Ce qui est accompli en novembre 1943 sous la forme d’une Direction des services secrets (DSS), confiée à Jacques Soustelle. 

La fusion souhaitée entre des troupes venant d’horizons différents ne se révéla pas moins difficile. Du côté de l’armée d’Afrique, on accusait les gaullistes d’entretenir les désertions et de traiter de manière injurieuse ceux qui en suivant Giraud semblaient être restés pétainistes. 

La marine, bien que réunifiée, demeurait un monde à part car toujours largement d’inspiration maréchaliste. Cette difficile et imparfaite fusion ne fit qu’ajouter au vieux malentendu entre de Gaulle et la « vieille » armée. Il remontait à l’avant-guerre et n’avait fait que s’alourdir dès juin 1940. Au total : cinquante unités de divers tonnages et quatre-vingts bâtiments légers. 

La fusion ne posa pas de difficultés comparables dans l’aviation. Arme récente, elle ne s’accompagnait pas du même cortège d’usages et de traditions, et sa technicité propre favorisait les rapprochements. Dès l’automne 1940 avait été créé à Londres un groupe aérien, Île-de-France, autonome par rapport aux Anglais. 

À  l’été 1943, les Forces aériennes françaises libres (FAFL) se composaient de deux groupes de chasse et de deux groupes de bombardiers au matériel anglais. En URSS, volait le groupe Normandie, équipé de matériel russe. L’aviation d’Afrique se composait de vingt-cinq groupes équipés d’avions obsolètes. 

Encore importait-il que ces forces, de Gaulle puisse en disposer. Or, en cette fin d’année 1943, leur commandant en chef demeure Giraud. De Gaulle va mettre à profit un incident survenu avec les Américains à propos de la campagne à prévoir en Italie après sa capitulation. En accord avec Giraud, Eisenhower avait prévu l’engagement de quatre divisions françaises. La première à être mise sur pied, désignée par Giraud lui-même, est une division « gaulliste ». S’ensuit un refus du commandant interallié en Italie, qui la juge mal équipée. Giraud obtempère et remplace cette division par une unité de l’armée d’Afrique, décision approuvée par Eisenhower. Fureur de De Gaulle, qui joue de l’argument de la souveraineté nationale. Il fait savoir à Eisenhower que s’il admet parfaitement que les opérations militaires reviennent au commandement interallié, en revanche il revient au seul gouvernement français de décider de celles des forces qui lui seront affectées. Et de poser plus généralement un problème fondamental à ses yeux, celui de la place de la France dans la libération de son propre sol le jour venu. Seul ce front – et non le seul front italien jugé par lui marginal – importe vraiment. Les troupes alliées devront entrer dans Paris avec des troupes françaises. 

Au terme d’un vif débat, Eisenhower impose au commandement allié en Italie la division « gaulliste » et laisse entendre par le biais de son adjoint qu’il n’entrera pas dans Paris sans troupes françaises. On saisit le sens de la manœuvre chez de Gaulle. L’entrée de ces troupes devrait consacrer sa prééminence politique en France, prééminence qu’il soupçonne de voir remise en cause jusqu’au dernier moment par les Américains. Toutefois, si de Gaulle pense avoir convaincu Eisenhower de cette exigence militaire, il ne peut ignorer qu’in fine un seul homme décidera au moment crucial  : le président des États-Unis. A-t-il pu espérer qu’Eisenhower pourrait influencer Roosevelt ? De Gaulle a mis à profit l’incident pour jouer sur un autre registre, celui de l’autorité sur l’armée. Le débat ainsi situé au niveau de la souveraineté nationale, se pose le problème de la direction non plus simplement militaire, mais bel et bien politique de l’armée. C’est de la direction politique de la guerre qu’il s’agit. Et celle-ci ne peut relever que de l’autorité politique qu’incarne de Gaulle. C’est à ce moment que se produit le tournant décisif. Un décret sur l’organisation du haut commandement vide de tout contenu les pouvoirs de commandement de Giraud.

Extrait du livre de Jean-Paul Cointet, "De Gaulle, Portrait d’un soldat en politique", publié aux éditions Perrin

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