Prospective politique : l'avenir du populisme en France<!-- --> | Atlantico.fr
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©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Prévisions 2020

A l'occasion de ce début d'année 2020, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de s'interroger sur l'année à venir. A quoi pourrait bien ressembler 2020 ? Eric Deschavanne nous dresse le portrait de l'avenir du populisme en France.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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La prospective politique est un art impossible, tant est grande la diversité des facteurs susceptibles d'influer sur le cours de l'histoire. A cette réserve près, il n'apparaît pas déraisonnable d'affirmer que l'arrivée au pouvoir du populisme en France au cours de la décennie qui s'ouvre est, sinon une quasi-certitude, du moins fortement probable. Cette alternance politique pourrait se produire en 2027, voire dès 2022. Deux séries d'analyses, l'une de la situation politique, l'autre de la situation idéologique, permettent de justifier cette prévision, abstraction faite des craintes ou des espérances que celle-ci peut susciter.

Sur le plan politique, nous vivons un moment de décomposition accélérée. Avec trois ans de recul, le sens de l'élection de 2017 apparaît assez clair. La "révolution" macronienne ne portait aucune rupture idéologique avec "l'ancien monde", tout juste une tentative de radicaliser le réformisme en cours depuis les années 80 visant à adapter la France aux réalités économiques de la mondialisation. En revanche, l'élection d'Emmanuel Macron a dégagé le terrain sur le plan politique et dessiné un nouveau clivage (entre "progressistes" et "populistes"), lequel paraît destiné à s'inscrire dans la durée dans la mesure où il coïncide avec une sociologie électorale : l'opposition entre "bloc élitaire" et "bloc populaire", excellemment diagnostiquée par Jérôme Sainte-Marie. Les anciens partis dominants se sont effondrés électoralement avec une vitesse déconcertante. Le mouvement chaotique des gilets jaunes a prolongé la décomposition sur le terrain social, le discrédit des syndicats laissant place au vide, c'est-à-dire à l'expression continue d'une colère sociale désordonnée, sans finalité claire ni perspective de progrès. Ceux qui voient dans l'actuel mouvement social contre la réforme des retraites l'occasion d'un renouveau de la gauche politique et sociale se bercent d'illusions. Il ne s'agit que d'un retour de flamme avant l'extinction définitive. Sur quelles propositions alternatives cette contestation pourrait-elle en effet déboucher ? Le retour à la retraite à 60 ans ? La restauration des régimes spéciaux ? On voit mal comment ce mouvement syndical émanant du "secteur protégé" pourrait fonder un projet politique crédible, tandis que le mouvement des gilets jaunes, dont le nihilisme dessine en creux un besoin inassouvi de représentation, devrait trouver un jour sa traduction politique, de même que l'alternance politique de 1981 a pu constituer, à certains égards, une traduction politique de mai 68.

En réalité, s'il y a de la place pour une opposition de gauche et pour une opposition de droite à Emmanuel Macron, cet espace est réduit par le fait que ni l'une ni l'autre ne semblent en mesure de mordre suffisamment sur le "bloc populaire" pour pouvoir espérer autre chose qu'un effondrement du Président et de son mouvement afin de gagner une place de finaliste contre le Rassemblement National. La droite peut faire valoir quelques personnalités, François Baroin, Xavier Bertrand, par exemple, aptes à remplacer Emmanuel Macron en 2027, ou dès 2022 en cas de défaillance, tandis qu'à gauche l'éparpillement et les contradictions idéologiques sont telles que la perspective de reconquête est fort mince. Encore faut-il ajouter que les espoirs des adversaires d'Emmanuel Macron ne reposent que sur les handicaps jugés quasi-insurmontables de la principale force politique qui, en France, incarne le populisme. Le Rassemblement National est isolé, idéologiquement trop marqué par son origine, l'extrême-droite, que le nom de son leader interdit d'oublier, et il apparaît démuni des compétences nécessaires pour former un gouvernement. Le populisme en France n'a pas encore trouvé son Boris Johnson, un leader susceptible d'être accepté par une partie de l'élite et qui saurait s'adresser au peuple des invisibles pour répondre à ses aspirations. Il est cependant assez probable que, d'une manière ou d'une autre, le populisme finisse par triompher, en surmontant ses handicaps, voire en dépit de ceux-ci. Son principal atout est en effet constitué par la situation idéologique du pays.

Le champ politique est structuré non seulement par l'héritage historique (les clivages politiques passés) et les nouveaux clivages sociaux (générés par les effets de la mondialisation, de la désindustrialisation et de la métropolisation de l'économie), mais aussi par le débat et les enjeux idéologiques. Les grandes questions n'ont cependant pas toutes le même impact politique. Nul ne peut par exemple contester l'importance de la question écologique. De toute évidence, la rhétorique écolo va nourrir les campagnes électorales à venir. Il est revanche peu probable, pour diverses raisons, que l'écologie contribue fortement à structurer le clivage politique. D'abord parce qu'elle est inscrite au programme de toutes les forces politiques. Ensuite parce que, s'agissant des enjeux les plus importants, telle la question climatique, le problème se pose à l'échelle mondiale et ne peut se régler au plan national. Enfin, parce que cette préoccupation n'est véritablement jugée politiquement prioritaire qu'au sein du "bloc élitaire", lui-même idéologiquement divisé sur la question (entre partisans de la décroissance et partisans de la "croissance verte"). 

A la différence de ce qu'il s'est passé en Grande-Bretagne avec le Brexit, la question européenne n'est pas non plus en mesure, à court et moyen terme, de structurer le clivage politique en France. Les souverainistes, comme les tergiversations de Marine Le Pen entre les deux tours de l'élection de 2017 l'ont montré, sont neutralisés par le problème que constituerait la sortie de la zone euro, dont la perspective suscite davantage de crainte que d'espoir dans l'opinion; tandis que les européistes sont neutralisés par l'impossibilité de la convergence de vue entre la France et l'Allemagne sur une éventuelle réforme politique de l'UE ou de la zone euro. La portée du débat sur la politique économique, du fait d'une part de l'appartenance de la France à la zone euro, et d'autre part de la faiblesse de la marge de manoeuvre budgétaire, se trouve également fort limitée : la dépense publique dévolue soit à l'investissement productif soit à la protection sociale dépend aujourd'hui étroitement de la capacité d'endettement de l'État, elle-même dépendante de la politique des taux pratiquée par la BCE. 

Que cela plaise ou non, le seul sujet véritablement clivant est aujourd'hui la question de l'immigration et de ses effets, notamment le problème que constitue l'acclimation de l'islam en France et en Europe. Deux clivages idéologiques peuvent à cet égard structurer fortement l'opposition entre "progressistes" et "populistes": le premier, sur l'immigration, oppose le libéralisme (au nom des droits universels ou au nom de l'harmonie des intérêts fondé sur le libre-échange) au protectionnisme national (social et culturel, en l'occurrence); le second, sur l'intégration, oppose les partisans du multiculturalisme et ceux de l'assimilation. Bien entendu, les diverses forces politiques peuvent être ambivalentes sur ces sujets, et l'on peut, sur le plan théorique, concevoir bien des nuances. Mais la vie politique fait rarement dans la nuance et la bipolarisation du débat favorise les parti-pris sans équivoque. On a vu comment, au Royaume-Uni, la question du multiculturalisme a transformé la gauche et du même coup favorisé le triomphe de Boris Johnson. L'amertume du commentaire de Mélenchon à propos de la défaite de Corbyn tient sans doute au constat qu'il a pu faire par anticipation de la faillite de sa propre stratégie... laquelle lui est pourtant imposée par l'évolution conjointe de la sociologie et du débat idéologique. La question du multiculturalisme sera de toute évidence, dans les années à venir, un piège pour la gauche, une source de division pour la droite et une chance pour le populisme, lequel pourra en outre surfer, tant qu'il sera dans l'opposition, sur le mécontentement social.

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