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Qassem Soleimani
Qassem Soleimani
©STR / AFP

De fâcheuses conséquences...

Suite au décès du général Qassem Soleimani, tué le 3 décembre 2019 dans un raid américain, l'Iran menace les Etats-Unis de lourdes représailles. Quelles sont les problèmes que posent la mort du général ?

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les problèmes que posent la liquidation du général Soleimani

Le major-général Soleimani était tout sauf un enfant de cœur. Il était un « petit soldat » (selon sa propre expression) au service du régime des mollahs. Chargé des opérations extérieures, il est évident qu’il ne « faisait pas dans la dentelle » et qu’il est vraisemblablement responsable - en tant que donneur d'ordres - de la mort de nombreuses personnes. Sa disparition "au combat" semble donc logique surtout du fait que c’est cela qu’il a toujours appelé de ses voeux. Il était un ennemi prioritaire des États-Unis, d’Israël et de l’Arabie saoudite. Il est donc parfaitement normal que ces pays se réjouissent de sa disparition d’autant qu’il posait un problème supplémentaire : il avait l’outrecuidance  d’être un chef charismatique respecté de ses hommes et de la majorité du peuple iranien. Il avait toujours pris garde à ne pas se mêler de politique intérieure sauf au moment du "mouvement vert" de 2009 quand il avait signé un avertissement aux manifestants assurant Ali Khamenei, le Guide suprême de la révolution, de son total soutien. Depuis, il avait démenti toutes les rumeurs qui lui prêtaient des ambitions politiques. Plus fort encore est le fait qu’il était estimé à l’étranger, même par ses adversaires. Des anciens chefs du Mossad avaient souligné ses compétences et la dangerosité qui en découlait. Mais les Israéliens s’étaient bien gardés de s’attaquer directement à sa personne alors que ne nombreuses opportunités s’étaient certainement présentées à eux car Soleimani n’était pas vraiment discret depuis le déclenchement de la guerre civile syrienne. Ses nombreux déplacements en Syrie, au Liban et en Irak (quand ce n’était pas à Moscou) devaient être suivis à la trace par la centrale israélienne. À tout moment, il aurait pu être transformé en chaleur et lumière par l’État hébreu (on pense beaucoup à un triste "accident" pouvant survenir à un avion le transportant) et cela n'a pas eu lieu. La raison est simple : Israël connaît la complexité du Proche-Orient et sait qu’un écart peut provoquer une catastrophe non maîtrisable dans la durée.

Une parenthèse au sujet du "travail" des services de renseignement US. L'armée américaine aurait été officiellement prévenue par les autorités aéroportuaires de Bagdad que Qassem Soleimani arrivait de Damas en mission "diplomatique". Il devait rencontrer Adel Abdel-Mehdi, le Premier ministre irakien (qui gère les affaires courantes ayant démissionné en décembre) pour recevoir une proposition de négociations faite par Riyad à Téhéran. Si cette information est vérifiée, cela voudrait dire que la frappe était plus d'opportunité (avec demande d'autorisation préalable au président Trump) que programmée. Il en résulterait que les "menaces" pesant su les Américains qui auraient justifié cette opération homo seraient sujettes à caution même si l'agence Reuter vient de sortir comme par hasard le "plan" d'attaque concocté par Soleimani contre les forces américaines en Irak. Il fallait bien justifier le communiqué du Département de la Défense US déclarant : "sur ordre du président, l'armée américaine a pris des mesures défensives décisives pour protéger le personnel américain à l'étranger en tuant Qassem Soleimani". Il est vrai que la meilleure défense, c'est l'attaque! N'étant pas à une absurdité près, le vice-président Mike Pence a tweeté que Soleimani était lié à des kamikazes du 11/09 ayant facilité leur passage en Iran... Au moment où tout le monde s'offusque des fake news, peu d'observateurs soulèvent celles lancées par les États-Unis (administration et presse).

Le président Trump est arrivé sur ses entrefaites. Tel un mammouth dans un magasin de porcelaine, hurlant « America first », il a personnellement décidé de faire assassiner (pardon, de faire neutraliser) le prestigieux général iranien qui aurait été derrière les nombreux incidents déclenchés à la fin 2019 en Irak et en particulier la mort d'un contractor puis la tentative d'invasion de l'ambassade US à Bagdad (c/f le "plan" évoqué précédemment). Il semble qu'il redoutait un scénario à la libyenne quand l'ambassadeur américain Christopher Stevens avait été assassiné en septembre 2012 dans le consulat de Benghazi.

Bien sûr, cette opération rondement menée est acclamée à Jérusalem (c’est là qu’il a fait transférer son ambassade) et, beaucoup plus discrètement à Riyad qui craint des mesures de rétorsions à son égard (ainsi que très momentanément par une poignée de manifestants chiites irakiens place Tahrir).

Peut-être que le président Trump a raison et que Téhéran, conscient de sa faiblesse militaire, n’osera pas répliquer sérieusement car l'Iran pourrait espérer qu'il s'agit d'un dernier "coup d'éclat" qui permet à Trump de quitter l'Irak affirmant que le "job is done" . Mais il est aussi possible que cela n'ouvre la voie à une nouvelle guerre régionale et, comme d’habitude, ce seront les populations locales qui vont être les premières victimes. Trump n’en a cure tant que ses concitoyens ont été évacués à temps. Il a pris toutefois un petit risque déclenchant cette opération homo avant évacuation… D'ailleurs, pour l'instant, il est plutôt question de renforcements pas pour faire la guerre à Daech mais pour protéger les militaires US en place. Par mesure de précaution, toute assistante militaire occidentale aux forces de sécurité irakiennes et kurdes est désormais interrompue et les ressortissants américains et canadiens sont invités à évacuer le pays le plus rapidement possible (les Européens devraient logiquement suivre). Les Unités de Mobilisation Populaires (Hach al-Chaabi) soutenues par Téhéran auraient donné comme consigne à l'armée et à la police irakiennes de s'éloigner à plus d'un kilomètre des infrastructures tenues par des soldats américains avant dimanche 5 janvier soir mais rien de sérieux ne s'est passé en dehors du tir de quelques roquettes à Bagdad...

En plus d'une brigade de la 82e Division aéroportée qui serait en route pour la région, la 26e Unité expéditionnaire de la Marine rejoindrait aussi la région annulant une manoeuvre prévue avec l'armée marocaine. Le président Trump a affirmé être prêt à faire bombarder 52 sites iraniens si l'Iran déclenchait des représailles. Or, elles vont certainement avoir lieu. L'angoisse c'est de savoir où et quand ?

La position officielle irakienne

Le parlement irakien a voté dimanche la fin de l'opération internationale anti-Daech menée dans le pays. Cette décision doit encore être examinée par le gouvernement - qui n'est pas encore formé suite à la démission du Premier ministre - et, de toutes façons, ne pourra être mise en oeuvre logistiquement parlant que dans la durée (des experts militaires parlent d'un an). Mais si cela a lieu, le départ des 5.200 Américains plus des conseillers des autres nations engagées dans l'opération inherent resolve serait une grande victoire posthume du général Soleimani. Toutefois, Trump réplique en déclarant que si les Américains doivent partir, il déclenchera contre l'Irak des sanctions encore plus dures que celles lancées contre l'Iran (à moins que Bagdad consentent à payer des "milliards de dollars).

Le dilemme de Téhéran

Et même, il n'est pas certain que ce départ annoncé suffise à Téhéran mais le régime est devant un dilemme. La mort de son "héro" a fait cesser toute manifestation à l'intérieur du pays, en Irak et peut-être demain au Liban (de fortes rumeurs laissent entendre que la CIA n'était pas étrangère à ces contestations intérieures comme elle l'a été en Centre-Europe puis dans les révolutions de couleurs et enfin lors des printemps arabes).  L'union des chiites est aujourd'hui reconstituée. Même des sunnites les rejoignent sous couvert d'un anti-américanisme traditionnel... (seul Pompeo semble persuadé que le peuple irakien apprécie la présence US).

Les forces "étrangères" devraient quitter l'Irak (encore une fois, ce n'est pas fait). Ce n'est peut-être pas le moment pour Téhéran de se livrer à une provocation trop identifiable qui, automatiquement, entraînerait une réaction violente de Washington qui taperait en Iran même. De plus, les moyens de coercition iraniens restent limités sauf s'ils utilisent leurs proxies: les milices irakiennes et le Hezbollah libanais. Mais les Iraniens n'ont pas la même notion du "temps" que les Occidentaux et "la vengeance est un plat qui se mange froid". Ils ont donc tout le loisir de monter des opérations futures qui nuiront aux Américains mais, si possible sans les désigner directement à moins qu'ils ne parviennent à prendre des otages, ce qui est la crainte numéro UN des capitales occidentales.

Le "cas" Donald Trump

Toutes les manifestations qui ont lieu de par le monde des derniers mois réclament l’arrivée de nouveaux responsables non corrompus ne faisant pas partie de la "classe politique". Trump qui en est le parfait exemple devrait servir d’avertissement. En plus, sauf accident, il va se faire réélire car le chômage n’a jamais été aussi bas aux États-Unis et la croissance reste correcte. Il est vrai que les électeurs apprécient que leurs dirigeants s'occupent d'abord d'eux - et de leur situation personnelle -  avant d'aller voir ailleurs ! Cela rend d'autant plus incompréhensible l'élimination de Soleimani. Il est par contre vrai que les USA n'ont jamais changé de président lors d'élections survenant en temps de guerre. Donc une petite aventure contre le "nain" iranien ferait-elle partie de la stratégie du candidat Trump ? Cette option n'est pas à exclure car il a prouvé qu'il n'avait pas froid aux yeux même s'il est versatile.  

Mais ce qui commence à faire peur, c’est que lorsqu’une personnalité attire l’ire de Trump, il peut la faire « éparpiller façon puzzle » (c/f Michel Audiard dans les Tontons flingueurs) et, même si le principe est compréhensible, c’est le fait de le clamer ensuite sur tous les toits (exception faite de la Corée du Nord où l’inénarrable Kim Jung Un est « un type formidable ») qui est extrêmement déplaisant. Le processus est simple : on déclare unilatéralement l'intéressé comme "terroriste" puis l'organisation à laquelle il appartient devient aussi "terroriste" - ou inversement - (ici, les pasdarans - c'est une première qu'une institution d'un Etat officiellement reconnu par l'ONU soit déclarée de la sorte, le cas du Hezbollah étant un peu différent -). Pour justifier la neutralisation de Soleimani, Trump n'a pas hésité à affirmer que ce dernier était responsable de la mort de "milliers" d'Américains et directement ou indirectement de "millions" de personnes. Cerise sur le gâteau, il serait "haï" en Iran ce que tous les observateurs un peu informés savent comme étant totalement faux.  Mais l'individu ainsi désigné devient alors une cible légitime, bien sûr sans jugement ! C'est la Loi comme elle est conçue dans les westerns dont Trump est le digne héritier. En réalité, c'est le début du règne de l'injustice et de l'arbitraire puisque plus aucune loi internationale n'est respectée par l'Amérique toute puissante (certes, ce n'est pas un fait nouveau mais la première puissance mondiale ne devrait-elle pas montrer l'exemple?). On a moins parlé de la mort d'Abou Mehdi al-Mouhandis, un Irano-irakien commandant militaire des milices de mobilisation populaire irakiennes. Lui aussi était sur la liste des "terroristes" désignés par Washington. Problème: il servait les autorités irakiennes. On peut comprendre que Bagdad soit pour le moins "embarrassé". 

Nous attendions tous pour voir ce qu’allait donner ce président US d’un nouveau style. Cela est désormais clair : c'est un grossier personnage doublé d’un menteur patenté et d'un "autiste" (dans le sens où il semble ne pas avoir de sentiments de compassion ou alors il les cache bien)  qui peut déclencher une déstabilisation planétaire - entre deux parties de golf - pour sa plus grande satisfaction. D'ailleurs, les Européens sont désormais considérés par l'administration US comme négligeables. Ainsi, dans une interview à Fox News, Mike Pompeo a déclaré le 3 janvier : « J'ai parlé à nos partenaires dans la région (NdA: sans doute Israël, l'Arabie saoudite et peut-être la Turquie) pour leur expliquer ce que nous faisions, pourquoi nous le faisions, et pour leur demander leur assistance. Tous ont été fantastiques [...] Mais mes discussions avec nos partenaires dans d'autres endroits n'ont pas été aussi bonnes. Franchement, les Européens n'ont pas été aussi utiles que j'aurais espéré qu'ils le soient ». En clair, l'Europe est "inutile" aux yeux de Washington. C'est très inquiétant pour l'avenir... 

Pour terminer, en dehors du Japon, jamais aucun pays n'a capitulé en raison des bombardements - même massifs - qu'il subissait. Il a toujours fallu aller chercher le responsable ennemi à la baïonnette dans son trou pour amener sa reddition. Donc, les Américains, s'ils vont au bout de leur logique, devront envahir l'Iran, un pays d'1 656 000 km2 et fort de 82 millions d'habitants. C'est beaucoup plus gros à gérer que l'Irak et l'Afghanistan. Washington sera obligé de se trouver des alliés et, en dehors des va-t'en guerre habituels, il est imaginable qu'ils auront du mal à créer une coalition vraiment internationale.

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