Calendrier 2020- 2022 : l’art de la réforme… ou du trompe l’œil ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron
Emmanuel Macron
©Reuters

Calendrier des réformes

Voici les projets dans les prochains mois du gouvernement et du président de la République Emmanuel Macron concernant les réformes à venir et la politique du pays. Qu'annonce le calendrier 2020-2022 du gouvernement Français ? Sera-t-il un "calendrier en trompe-l’œil" ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico :Alors que débute une semaine décisive pour l'exécutif dans le cadre de la réforme des retraites, le président de la République a l'intention de poursuivre son action dans les premiers mois de l'année 2020. Un séminaire gouvernemental sera organisé le 15 janvier à l'Élysée afin d'évoquer tous les chantiers pour 2020. Selon des informations du JDD, l'écologie et la lutte contre le communautarisme seront au cœur des préoccupations d'Emmanuel Macron dans les prochains mois.

Sébastien Lecornu, ministre chargé des Collectivités territoriales, songerait notamment à systématiser les contrôles de légalité, par le préfet, des décisions de maires suspectés de ne pas respecter les valeurs républicaines. L'octroi de subventions à des associations, l'aménagement des horaires des piscines ou l'utilisation de ses pouvoirs de police seraient notamment scrutés. Certains maires pourraient être suspendus ou révoqués.

L'écologie et l'environnement auront une place importante cette année également avec une grande conférence internationale sur la biodiversité en juin à Marseille, le Congrès mondial de la nature. Les résultats de la convention citoyenne seront également dévoilés.

Le chef de l'Etat souhaite également voir se concrétiser le projet des Maisons France Services avec la garantie d'apporter les services publics sur tout le territoire.

Parmi les autres objectifs, une loi de programmation pluriannuelle sur la recherche est en préparation. D'autres chantiers sont engagés sur les métiers de la santé et de l'éducation ou contre les violences conjugales. Un « rendez-vous important » sur le handicap doit intervenir en février prochain.

Atlantico : Quelle est la marge de manœuvre d'Emmanuel Macron sur le plan politique en ce début d'année 2020 après la réforme de la SNCF, la crise des Gilets jaunes et au regard de l'actuelle gestion de la réforme des retraites ?

Christophe Bouillaud : Ces informations données par le JDD, sans doute grâce à la volonté de l’Elysée, correspondent surtout à une stratégie de clôture du conflit autour de la réforme des retraites. En faisant montre de sa volonté de penser dès aujourd’hui à l’après, Emmanuel Macron considère qu’il a déjà gagné, et que, de toute façon, les syndicats ont épuisé toutes leurs cartouches, en particulier parce qu’à la RATP et à la SNCF les grévistes sont de moins en moins nombreux. Tous les autres secteurs mobilisés (éducation, santé, énergie, etc.) sont considérés par le pouvoir comme sans importance. Il reste que cette  possible victoire, obtenue contre le sentiment de la majorité des personnes directement concernées par cette réforme des retraites, c’est-à-dire contre la majorité des actifs, va laisser une immense rancœur dans le pays. Emmanuel Macron aura certes épuisé les secteurs de la population active les plus mobilisés, mais il aura aussi créé les conditions de son impopularité durable dans les gros bataillons du salariat. 

On verra déjà quel sera l’écho de cette rancœur dans le cadre des municipales. Toutefois, comme Président de la République, disposant d’une majorité solide à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron peut continuer à mener toutes les réformes que son bon plaisir lui suggère – sauf des réformes constitutionnelles, puisque la majorité sénatoriale lui reste hostile et puisqu’il ne saurait trop faire appel lui-même à l’arme référendaire tant son impopularité est ancrée désormais dans le pays. 

C’est tout le paradoxe de notre système politique à ce stade de sa perte de fonctionnalité démocratique: le pouvoir conserve tous les moyens institutionnels de réformer sans plus disposer d’aucune légitimité autre que sa seule légalité acquise en 2017. Tous les caprices sont donc permis au Prince, puisqu’il ne se soucie guère de l’opinion de gueux dont il sent bien qu’ils ne lui seront guère utiles pour sa réélection. Ils s’abstiendront, ou voteront en vain pour le RN.

Edouard Husson : Tout le monde s’était moqué d’Alain Juppé, Premier ministre de Jacques Chirac, expliquant, en 1995, qu’il restait « droit dans ses bottes ». Que dire de l’actuel président de la République? Le discours des voeux, par sa mise en scène, a confirmé la raideur du personnage; l’inversion de la dynamique de son quinquennat, aussi: le président marcheur est devenu un président immobile. Cela ne l’empêche pas d’être un président volubile. Alors, oui, le message est: on continue « la réforme », sans se laisser émouvoir. Emmanuel Macron est convaincu que sa volonté, qui est intacte, lui permettra de surmonter tous les obstacles.

Il a bien donné rendez-vous aux Français en 2024 pour l’achèvement du chantier de la rénovation de Notre-Dame. Cependant, dans un 3000 mètres steeple, vous aurez beau penser à l’obstacle ultime, vous pouvez bêtement vous ramasser sur la barrière la plus proche de vous. Quelle est la crédibilité d’un gouvernement qui a présenté une réforme des retraites avec un amateurisme qu’on n’avait même pas rencontré durant le quinquennat de François Hollande - et ce n’est pas mettre la barre très haut que de choisir ce repère? Et puis à peine Emmanuel Macron avait-il prononcé ses voeux télévisés que des voitures se mettaient à brûler dans de nombreuses villes de france, en particulier des villes moyennes ! 

Le calendrier dévoilé pour les prochains mois laisse-t-il présager de réformes de grande ampleur ou plutôt d'un calendrier en trompe l'œil ?

Christophe Bouillaud : De fait, avec les réformes faites depuis 2017, et avant cela dans la seconde moitié du quinquennat Hollande sous l’influence d’un Emmanuel Macron, conseiller puis Ministre de ce dernier, les grandes réformes d’inspiration néo-libérale sont désormais faites : le marché du travail est flexibilisé, l’assurance-chômage est réduite et étatisé, la formation professionnelle est individualisés, le parcours des jeunes au  lycée et à  l’université est devenu sélectif et « darwinien », la fonction publique est en voie d’extinction, etc. Bref, le gros des réformes qui sont censées faire de la France la « start-up nation », celles annoncées lors de la campagne de 2017, sont votées et entrent dans la phase de mise en œuvre. Il reste certes la réforme sur la fusion des minima sociaux, destiné à mettre en place un « workfare » à la française, mais les assistés de nos banlieues ou de nos campagnes semblent de toute façon ne guère compter pour ce pouvoir, en bien ou en mal d’ailleurs. Du coup, de ce point de vue néo-libéral, d’utilisation de tout le pouvoir de l’Etat pour imposer des réformes se voulant libérales de l’économie, il ne reste que des réformes plus sectorielles, comme sur l’Université ou la Recherche. Cela peut provoquer un conflit dur avec les personnes concernées, mais cela restera un conflit localisé. 

Du coup, le « macronisme » pour continuer à donner l’impression de bouger doit chercher des innovations ailleurs, à savoir à droite et à l’extrême-droite, dans la lutte contre le communautarisme (alias l’islamisme), et chez les écologistes, avec un affichage d’une lutte pour la sauvegarde de l’environnement. De ce dernier point de vue, personne ne sait ce qui va sortir du chapeau à la suite de la Convention citoyenne sur l’environnement : la majorité actuelle sera-t-elle prête à vraiment suivre des recommandations radicales si elles émergent du débat citoyen ? J’en doute quelque peu.   Il me parait difficile pour la majorité actuelle de faire vraiment le job à la fois de l’extrême-droite ou de la droite sur les enjeux de communautarisme et des écologistes sur l’environnement. Ni dans un cas ni dans l’autre, ce n’est leur culture ou leur préoccupation. Ils pourront faire semblant, c’est tout. 

Edouard Husson : Hier le Président a tweeté pour dire sa solidarité avec les Australiens en cette période d’incendies ravageurs d’une partie de leur pays. Vous admettrez que c’est peu crédible: on aurait aimé qu’Emmanuel Macron tweete pour dire sa solidarité aux habitants de Strasbourg, Nantes, Grenoble, Cannes, Besançon et toutes les villes où il y a eu des incendies de voitures et de bâtiments la nuit du 1er janvier; qu’il exprime sa solidarité avec les pompiers qui se sont fait caillasser. Un extrémiste musulman poignarde des individus à Villejuif et le président, toujours par Twitter, se contente de parler de « violence aveugle », alors que le meurtrier a épargné un de ses coreligionnaires ! Un autre extrémiste, se réclamant de la même religion, est heureusement arrêté avant de commettre le pire par la police, trois jours plus tard: avez-vous vu un tweet de félicitation du Président aux policiers - en particulier pour leur sang froid: sans tomber dans les clichés, aux Etats-Unis l’agresseur aurait été purement et simplement abattu? La réalité, c’est que le corps social s’agite de partout: jusqu’à présent, Emmanuel Macron s’est vu épargner une explosion généralisée mais il n’est pas sûr qu’il le puisse jusqu’en 2022. Alors oui, ce calendrier de réformes à l’horizon est un décor pour faire comme si. 

Qu'est-ce que ce calendrier en trompe-l’œil nous dit sur la vision politique d'Emmanuel Macron, sur le parti La République en marche et sur la stratégie globale de la majorité présidentielle ?

Christophe Bouillaud : Visiblement, Emmanuel Macron et LREM veulent s’emparer de tous les sujets qui préoccupent les Français, qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche. Ils ne veulent laisser le monopole d’aucun thème ressenti par l’opinion publique à leurs adversaires. Cela les mène d’ailleurs à proposer des choses irréalistes. Par exemple, les propositions de Sébastien Lecornu pour un contrôle accru des maires, que vous avez citées, sont contradictoires avec l’idée, issue du Grand Débat de l’année dernière à la suite de la crise des Gilets jaunes, que les solutions viennent du terrain, et surtout contre-productives à quelques mois des municipales. La suspension ou la révocation de tel ou tel maire serait interprétée par les électeurs comme une intolérable intervention gouvernementale dans les affaires de la commune, et le maire suspendu ou révoqué ne manquerait pas d’être sans doute réélu en mars prochain. 

Cette volonté de tout embrasser est tout à fait logique pour un parti qui prétend rester longtemps au pouvoir, mais la « stratégie du coucou » ne trompe guère les électeurs en réalité. Les soutiens et les oppositions à Emmanuel Macron et à son parti sont structurés pour longtemps par une opposition de plus en plus nette entre la France qui gagne, ou qui croit gagner, aux réformes néo-libérales engagées depuis le début du quinquennat et la France qui y perd, ou qui croit perdre. La distribution des soutiens et des oppositions à la réforme des retraites est archétypale de ce point de vue. Les seules catégories solidement pour la réforme de la retraite (des autres) sont les +65 ans, justement les seuls non concernés…  On ne saurait faire pire en matière d’acceptabilité sociale d’une réforme.

Edouard Husson : De Gaulle servait une France qui surplombait les Français: mais cette plus grande France vers laquelle il hissait ses compatriotes les protégeait. Emmanuel Macron sert un projet « global » où la France doit s’adapter au monde d’avant la crise de 2007, qui n’existe plus. Le président a cru que les institutions de la Vè République, parce qu’elles peuvent être pratiquées dans le sens d’une concentration extrême du pouvoir, lui permettraient d’imposer sa volonté. Une fois élu, il a quasiment oublié sa majorité politique. Il ne voit en elle que des exécutants. Alors que Nicolas Sarkozy est allé chercher de vrais talents de la société civile et que François Hollande, malgré son enfermement à l’Elysée, avait gardé un entourage en partie politique, Emmanuel Macron ne sait faire qu’avec des hauts fonctionnaires.

Le fameux « grand débat présidentiel » a été un long monologue devant les maires de France. Et le Président traite ces derniers, au fond, comme des fonctionnaires locaux: à la dernière Assemblée des Maires de France, ne sont entrés dans la salle que ceux jugés dociles. Les autres ont suivi le discours sur écran dans une autre salle. D’une manière générale, tout est pensé, dans la Macronie, comme partant du centre et descendant vers le terrain. Le tout premier acte du quinquennat a été le limogeage du Chef d’Etat Major des Armées qui avait naïvement cru qu’un président nouvellement élu était disposé à écouter les retours du terrain. Je veux bien que l’on se mette à contrôler les maires trop sensibles aux arguments d’associations islamistes, mais vous faites quoi une fois que vous aurez révoqué un maire? Vous en nommez un autre? Ou bien vous en laissez élire un autre plus ouvert encore aux idées des musulmans radicaux ? 

Comment le gouvernement d'Edouard Philippe et le président de la République pourraient sortir de ce calendrier en trompe-l'œil ? Quelles seraient les réformes vitales dont le pays a besoin et les ajustements nécessaires à mener de la part du gouvernement et d'Emmanuel Macron afin de laisser une empreinte durable dans le quinquennat ?

Christophe Bouillaud : Pour ce qui est de laisser une empreinte durable dans la seconde partie du quinquennat, je ne crois pas devoir me tromper beaucoup : la première partie du quinquennat engage complètement la seconde partie. Toutes les réformes néo-libérales ne vont donner leur plein effet que dans les deux années qui viennent. La réforme de l’assurance-chômage ne va voir ses effets se déployer que progressivement à mesure que des chômeurs seront concernés par les nouvelles règles. Les premiers lycéens du bac Blanquer n’arriveront à la fin de leur parcours qu’en juin 2021. Etc. Je pourrais multiplier les exemples. La vraie question est de voir si ces réformes, dont aucune n’a eu l’aval des ressortissants des politiques publiques ou des personnels concernés devant les mettre en œuvre, aboutissent  à des résultats perçus comme positifs par les Français dans leur majorité. 

Le sociologue, dénoncé à son époque comme un terrible libéral, Michel Crozier, avait théorisé, contre l’infatuation « modernisatrice » des hauts fonctionnaires gaullistes, que « l’on ne réforme pas la société par décret ». Paradoxalement, tout en ayant proclamé vouloir faire le contraire lors de la campagne de 2017, Emmanuel Macron et sa majorité font depuis leur arrivée aux affaires une vaste expérience de réforme de la société française par décret sans se soucier aucunement de la base, des personnes concernées, que ce soit comme usagers ou comme travailleurs. Jamais dans l’histoire récente de la France, les réformes n’ont en fait reposé sur une expertise aussi limitée, en pratique sur  la vision de quelques économistes néo-libéraux et de quelques hauts fonctionnaires. L’absence de pluralisme dans l’expertise et la volonté de négliger toutes les réflexions venues du terrain, de la France d’en bas, fût-elle d’ailleurs formée d’éminents professeurs de médecine, réflexions considérées comme toujours « corporatistes », « irrationnelles » et « dépensières », est frappante. Est-ce que cette conformation du réel de la France à la théorie néo-libérale, dans sa version pour hauts fonctionnaires de l’Inspection des Finances, va réussir ? On verra. Pour ce qui est de la hausse de la taxe carbone, les Gilets jaunes ont déjà dit ce qu’ils en pensaient, et l’on a vu le résultat. Il n’était pourtant pas très difficile de lire les statistiques sur l’augmentation de la distance domicile-travail depuis 1970 et de réfléchir sur la dépendance de la France périurbaine et rurale à l’automobile, le plus souvent à moteur diesel en plus. 

Du coup, la vraie nouveauté serait qu’Emmanuel Macron et son équipe prennent en compte les bonnes raisons d’autrui, et même, rêvons un peu, les expertises disponibles dans tous les secteurs. C’est d’ailleurs exactement ce qu’a promis le Président au sortir de la crise des Gilets jaunes. Or tout le déroulement du conflit social autour de la réforme des retraites montre qu’il n’en est rien. Le distingué économiste, François Bourguignon, d’une orthodoxie néo-classique sans faille, qui avait été l’un des soutiens d’Emmanuel Macron en 2017, a même souligné dans un texte donné aux  Echos l’absence de vraie analyse économique des différents scénarios, telle que d’autres pays ayant réformé leurs retraites l’ont produite pour alimenter la discussion. L’incapacité d’Emmanuel Macron et de toute son équipe à vraiment écouter, voire à préparer sérieusement leurs réformes, constitue la marque de son quinquennat. Or il faut remarquer que certains secteurs professionnels, comme celui de la santé, font de leur côté des efforts admirables pour communiquer le sens éthique de leur protestation. Ce gouvernement n’a pas compris que les personnes qui mettent en œuvre les politiques publiques ou celles qui en sont les bénéficiaires ou qui y sont assujetties n’acceptent pas la caporalisation, les ordres venus du sommet au nom de la Raison. Nous sommes en 2020. La majorité des jeunes générations nées et éduquées en France ont désormais le BAC ou plus, nous ne sommes plus en 1950, et quand elles se font traiter par Emmanuel Macron et son équipe comme si elles ne comprenaient rien à rien, elles ne peuvent que se radicaliser à l’encontre de ce pouvoir. 

Donc la vraie réforme serait déjà de donner plus de place à l’opinion réelle de la majorité de nos concitoyens. Il faudrait arrêter d’entendre parmi les membres de cette majorité ce qu’on a envie d’entendre pour faire avancer à toute force leurs belles idées rationnelles supposées sauver la France. Un bon début serait déjà de se donner les moyens institutionnels de consulter plus facilement le peuple. Le recueil de signatures pour avoir plus de 4 millions de signatures pour permettre le lancement d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris a déjà dépassé les 1 million de signatures. Emmanuel Macron pourrait sans doute s’autoriser de ce fait pour lancer de sa propre initiative un référendum sur le sujet. Pourquoi pas en lien avec les résultats de la Conférence citoyenne sur l’environnement ? Bien sûr, il ne le fera pas, préférant se retrancher derrière l’échec de ses promoteurs d’atteindre d’ici le mois de mars ce seuil impossible de plus de 4 millions de signatures – seuil fixé en 2008 par les représentants de la vieille politique pour rendre cette procédure totalement impossible à mettre en œuvre, tout en l’affichant comme une concession aux volontés populaires. 

La grande nouveauté serait donc de faire les Français un peu moins sujets et un peu plus citoyens, mais comment un pouvoir se sachant impopulaire pourrait-il faire ce choix ? Et puis, doit-on encore lui faire crédit d’une sorte de fausse conscience des résultats réels sur le terrain de son action ? Lui faire crédit de la bonne volonté de celui qui croit vraiment et sincèrement faire le bien d’autrui, mais qui, par maladresse, présomption et bêtise, fait son malheur ? Ou doit-on se résoudre, peut-être de manière simplement réaliste, à admettre que tout n’est qu’un jeu d’intérêts bien compris ? La polémique qui se développe autour du rôle du gestionnaire de fonds BlackRock dans la conception même de la stratégie gouvernementale en matière de retraites me parait significative de ce changement en cours dans l’opinion publique. La perception d’une corruption intrinsèque du pouvoir pourrait finir ainsi par s’imposer. Ce ne serait bien sûr pas la première fois qu’un pouvoir républicain souffre depuis 1870 d’une telle mauvaise réputation, mais n’est-ce pas tragique de devoir constater que la nouvelle politique promise en 2017 se trouve ainsi normalisée en deux ans ? 

Edouard Husson : Je ne sais pas si c’est encore possible. Plus le temps avance, plus le Président voit que la société fait des trous dans le beau décor mondialiste dont il s’était entouré. En fait, il y avait, au sortir de la crise des Gilets Jaunes, une occasion pour se mettre à l’écoute des Français. Il fallait changer de Premier ministre, nommer un notable. Et le laisser gouverner. Gérard Larcher n’aurait pas été une mauvaise idée. Le président, prenait du recul, se mettait « en cohabitation », écoutait les maires de France, donnait à voir sans jamais le dire (à la Mitterrand) qu’il avait changé  etc...Au lieu de cela, nous avons eu un long monologue et puis, une fois les sondages rassurants arrivés et, surtout, les meubles sauvés aux européennes, le Président est reparti en 2017. Et il se renforce lui-même régulièrement dans ses certitudes. On pouvait difficilement imaginer plus mauvaise candidate que Nathalie Loiseau aux élections européennes. Et pourtant la liste a fait 22%.

Comment ne pas s’attribuer ce demi-succès, après six mois de cauchemar « Gilets Jaunes »: même des individus moins atteints de solipsisme auraient raisonné ainsi. Le gouvernement est particulièrement médiocre dans la gestion de la réforme des retraites? Eh bien Emmanuel Macron se persuade qu’une fois de plus il rétablira la situation. Alors pourquoi ne pas laisser l’orchestre de la « France en marche » continuer à jouer l’air de la réforme permanente sur une musique de technos? Si le Président voulait traiter les vrais sujets, il faudrait qu’il se demande comment dégager un budget militaire conséquent, comment recruter dans la police, comment déconcentrer l’Etat pour inverser la logique recentralisatrice asphyxiante des dix dernières années.

Il faudrait abandonner sans le dire le programme écologique « top down », très loin des besoins des Français. Il faudrait reconnaître que les efforts de Jean-Michel Blanquer ne porteront pas leurs fruits si le système de l’Education Nationale n’est pas mis en concurrence avec un nouveau système scolaire éducatif privé fondé sur un secteur associatif dynamique. Il faudrait une révolution mentale et non plus des gadgets comme la « réforme de l’ENA » dont on n’a plus entendu parler depuis les grandes déclarations du printemps.  

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