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Vous avez dit « peuple » ? Comme c'est joli, et comme ça ne veut rien dire...
©PASCAL GUYOT / AFP

Langage trompeur

Ce concept a été, et est toujours, utilisé à tout bout de champ. Il offre en effet tous les avantages émollients de la parole magique.

Benoît Rayski

Benoît Rayski

Benoît Rayski est historien, écrivain et journaliste. Il vient de publier Le gauchisme, maladie sénile du communisme avec Atlantico Editions et Eyrolles E-books.

Il est également l'auteur de Là où vont les cigognes (Ramsay), L'affiche rouge (Denoël), ou encore de L'homme que vous aimez haïr (Grasset) qui dénonce l' "anti-sarkozysme primaire" ambiant.

Il a travaillé comme journaliste pour France Soir, L'Événement du jeudi, Le Matin de Paris ou Globe.

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Il y a dans Atlantico un entretien intéressant avec Martin Gurri un géopolitologue américain qui dès 2014 avait analysé la révolte de ce qu'il appelle « le public » contre « les élites ». Notons qu'il s’abstient intelligemment de se servir du mot « peuple ». En effet, les Gilets Jaunes dont il parle ne sont certainement pas le peuple et, en tout cas, pas à eux seuls...

C'est bien vu. Pour autant Martin Gurri se trompe dans son diagnostic quand il affirme que le principal conflit du XXIème siècle n'est pas celui qui oppose la gauche à la droite et l'Occident à l’islam mais celui qui oppose le « public » aux « élites ». Sur le premier point, il n'a pas tort pour une simple et bonne raison : la gauche n'existe plus, et la droite se garde bien de se dire de droite. Mais sur le deuxième, il est dans l'erreur.

Tous ceux qui sont arrivés au pouvoir contre « les élites » ont gagné avec une rhétorique ardemment anti-immigrationniste et violemment anti-islamique. Donald Trump, Boris Johnson, Matteo Salvini, Viktor Orbán et plusieurs autres dans l'Europe post communiste. Il y a là, pour le moins, un réveil du nationalisme et un rejet d'une culture et d'une religion jugée étrangères et hostiles aux valeurs occidentales.

C'est l'occasion de s'interroger sur la notion même de peuple. Il y a le « peuple » pendant si longtemps adoré par la gauche. Il y a le « peuple français » que chérissait la droite. Et il y a aussi, et hélas, autre chose qui surgit par éclipse et par bouffée de colère : la populace.

Le peuple, selon l'historiographie convenue, prend la Bastille en 1789. La populace se livre trois ans plus tard aux sanglants et abominables massacres de septembre. Le peuple est sur les barricades de Paris en 1944. Aussitôt après la victoire, la populace tond les femmes coupables d'avoir couché avec des Allemands. Le peuple – revenons aux Gilets Jaunes – manifeste sur les ronds-points. La populace saccage l'Arc de Triomphe.

Le peuple c'est simplement ce qu'on dit (par intérêt ou par foi) être le peuple. Un épisode de 1968 en Tchécoslovaquie l'explique assez bien. Quelques mois avant d'y envoyer ses chars, Brejnev était en visite à Prague pour tenter de convaincre Dubček de rentrer dans le rang. Le chef du pc Tchécoslovaque l'emmena visiter les usines Škoda.

Là, des milliers d'ouvriers d'ouvriers réunis crièrent : « Vive Dubček ! Vive la liberté ! ». Dubček se tourna vers Brejnev : « Tu vois camarade, le peuple est avec moi ». Brejnev lui lança un regard hautain et méprisant. Et pointant un doigt sur sa poitrine lui rétorqua froidement : « Le peuple, c'est moi ». Depuis cette histoire, je me méfie du mot « peuple ». Martin Gurri a été sage de parler de « public ».

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