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Les années 2010 ou la lente et douloureuse traversée de la mer des taux d’intérêts bas
©Pixabay

Bilan des années 2010

A l'occasion de la fin de l'année 2019, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de dresser un bilan de la décennie, des années 2010. Jean-Paul Betbeze revient sur les taux d'intérêts bas et sur l'impact de la grande crise de 2007 et 2008.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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La mer des Sargasses des taux d’intérêt bas : c’est là que nous sommes. Ce sont, tout autour de nous, des taux courts et longs effondrés depuis la Grande crise de 2007-2008. Juste avant l’éclatement de la bulle « des subprimes », ces crédits structurés faits à des ménages américains fragiles, les taux courts étaient à 5% aux États-Unis et à 4% en zone euro, les taux longs à 5,1% aux États-Unis, à 4,3% en Allemagne et à 4,7% en France. Les voilà désormais à 1,75% pour les taux courts et à 1,9% pour les taux longs aux États-Unis, à 0% pour les taux courts en zone euro et, pour les taux longs, à -0,25% en Allemagne et à 0,06% en France !

L’éclatement de la bulle du crédit a partout fait plonger l’activité, monter le chômage, mobilisé en réaction les politiques budgétaires (creusement des déficits) et monétaires (baisses des taux). Mais ce qui est nouveau, et inquiétant, c’est que ces politiques de secours, avec des achats de bons du trésor et d’obligations d’entreprises pour faire baisser les taux longs (quantitative easing), n’ont pas beaucoup fait repartir la machine économique. La croissance s’établit à 2% aux États-Unis, à 1% en zone euro. L’emploi est surtout reparti aux États-Unis et en Allemagne, il se remet lentement en Italie et en Espagne. Il repart doucement en France, cohabitant avec un taux de chômage de 8,6%. Surtout, l’inflation est méconnaissable : elle se situe à 1,8% aux États-Unis, malgré les soutiens monétaires et budgétaires (1 trillion de dollars de déficit), malgré le plein emploi. Elle stagne à 1% en zone euro, malgré les soutiens monétaires partout, le plein emploi en Allemagne, les soutiens budgétaires en France.

Des politiques monétaires et budgétaires très actives, un emploi qui s’ébroue voire se rétablit, mais une inflation très en retard avec une croissance toujours modeste : comment ne pas penser à une Mer des Sargasses des taux d’intérêt ? Faite de varech accumulé, découverte par Christophe Colomb au large des Bermudes, elle est calme, sans vent, sans vague et ralentit ses bateaux. Trois semaines pour en sortir, à seulement 3 km/h : ce qui nous attend ?

On voit les risques de cette lente traversée. Entreprises zombies : les taux trop bas permettent à des entreprises déficitaires de poursuivre leur course en s’endettant. Ceci promet un plus important sinistre quand les taux remonteront, ce qui arrivera bien un jour. Grandes et moyennes entreprises qui s’endettent à taux quasi nul pour acheter, cher, leurs concurrents : faute d’un vent de croissance pour elles-mêmes, elles achètent les clients des autres. Elles embarquent alors d’importants goodwills (écarts d’acquisition), qui peuvent se dégonfler si la croissance ne repart pas. Ménages qui s’endettent à 25 ans pour acheter, d’autant plus loin une maison d’autant plus chère au mètre carré que les taux sont bas. États qui s’endettent d’autant plus aisément que les réformes sont politiquement chères et l’argent à taux négatif ou nul (allusion à la France ?). En pleine Mer des Sargasses des taux bas, les économies avancent lentement et s’endettent plus, cet alourdissement ne leur pesant pas… encore ! Mais après ?

Vers quelle nouvelle mer allons-nous ? Une mer sans inflation du fait des nouvelles technologies qui renforcent la concurrence, optimisent les lieux et chaînes de production et font travailler, pas cher, une main-d’œuvre peu qualifiée entourée de robots ? Une mer où seuls les plus gros bateaux, entreprises et états, pourront flotter ? Une mer où les premières hausses de taux, même modestes, pourront faire des ravages dans les entreprises, ménages et états endettés, surtout émergents ? Une mer où une armada américaine pourrait se frotter à une armada chinoise en « mer de Chine » ou dans le détroit d’Ormuz ? Une mer avec des armes nouvelles, dans l’espace lointain mais aussi, près de nous, pleine de nuées de drones ? Une mer où gagnera celui qui brouillera le mieux les messages et enverra les mieux contrefaits ?

Ou bien une mer nouvelle, où nous bénéficierons des nouvelles technologies ? Une mer où les flottes devront apprendre à échanger et cohabiter, sans se frôler de trop près. Où il faudra former et instruire les équipages européens et français. Pour Christophe Colomb, ces sargasses devaient annoncer une terre proche : ce n’était pas le cas et ce n’étaient pas les Indes qu’il allait découvrir ! Les États-Unis semblent s’en sortir, mais combien de temps avant de comprendre et de s’endetter un peu moins, « comme avant ». Comment vont-ils se comporter ? Et nous, qui bloquons les trains du changement ?

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