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La colonisation, "une faute de la République" ? Une affirmation d’Emmanuel Macron moins évidente qu’il n’y paraît
©LUDOVIC MARIN / AFP

Discours

Lors d'un discours à Abidjan en compagnie du président ivoirien Alassane Ouattara, le samedi 21 décembre, Emmanuel Macron a affirmé que le colonialisme a été une "faute de la République".

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Le président de la République en visite en Côte d’Ivoire a déclaré que « Trop souvent aujourd’hui la France est perçue » comme ayant « un regard d’hégémonie et des oripeaux d’un colonialisme qui a été une erreur profonde, une faute de la République », appelant à « bâtir une nouvelle page ». Une déclaration du président Français faite lors d’une conférence de presse à Abidjan en compagnie du président ivoirien Alassane Ouattara, et donc au caractère hautement symbolique. Ce n’est pas la première fois, ni le premier président de la France, à croire dans cette sorte de catharsis consistant sur un mode expiatoire à s’accuser de tous les maux. Ici, pour tenter de tourner la page du passé colonial, présente surtout encore dans les esprits en raison de l’usage idéologique qui en est fait par ceux qui entendent faire oublier des difficultés de la Cote d’Ivoire et de l’Afrique en général, qui n’ont que peu de choses à voir aujourd’hui avec l’héritage colonial. Les adeptes de la repentance présents dans une large partie de la presse internationale entretiennent aussi ce mythe, derrière quoi se cachent même parfois des enjeux d’influence, dans une concurrence entre grandes puissances où on compte encore la France (mais pour combien de temps).

Faire de la morale avec l’histoire c’est créer des malentendus

On doit s’arrêter d’abord à une faute que l’historien ne peut que relever. Cette façon de faire croire que l’histoire pourrait se réécrire selon les bons sentiments du moment, en marche arrière, ne sert qu’à faire de la morale avec elle ignorant avant tout ce qu’elle est. La commande politique du présent doit tout à cette méthode. Un opportunisme politique qui ne fait qu’en rajouter dans un domaine où on a déjà connu tous les malentendus, qui sont devenus en France même un véritable fonds de commerce politique comme le CRAN (Collectif représentatif des associations noires de France) ou les Indigènes de la République savent l’exploiter, jusqu’à l’outrance. Si le principe même de la colonisation est contestable, condamnable, surtout après coup, on ne peut complètement ignorer qu’il fut un des faits majeurs, à des fins politiques et économiques, de l’histoire du monde, dès le XVe siècle, avec une expansion européenne liée à la découverte des nouveaux territoires. Il s’est inscrit dès le XVI siècle pour la France monarchique comme l’une des exigences de développement dont aucune grande puissance ne pouvait faire l’économie, avec tous ses travers, voir les horreurs commises parfois, que ce processus a pu impliquer. Il fut largement le fait de rois bien plus que des républiques. Ce n’est donc pas la République qui a inventé la colonisation, elle en a largement hérité des royautés. La colonisation qui marqua le plus la France dans les esprits, celle de l’Algérie, eu lieu en 1830 en pleine Restauration monarchique, sous Charles X.  Lorsque la France entreprend la conquête de ce territoire devenu depuis la Côte d’Ivoire, c’est une bien curieuse République que voilà, la Troisième naissante, qui n’a pas encore de Constitution. Et si elle se lance, à peine remise de la guerre perdue de 1870, dans la conquête d’une majeure partie de l’Afrique occidentale et équatoriale, sous le prétexte affirmé de civiliser et l’espoir de débouchés économiques, elle le fait en réalité davantage par rivalité avec les autres puissances coloniales, dont la puissante Angleterre. C’est d‘ailleurs la véritable cause de la première guerre mondiale, qui commence avec la déclaration de Guillaume II à Tanger en mars 1905, qui réclame pour une puissance allemande en pleine expansion, sa « place au soleil », c’est-à-dire sa part d’influence coloniale en rapport avec ce qu’elle représente alors en Europe. La colonisation a été synonyme de soumission à un envahisseur, avec des crimes de guerre dans un certain nombre de cas, on ne peut donc défendre qu’elle ait été positive, pour autant, elle a aussi laissé derrière elle contradictoirement une administration qui fait partie de l’héritage, des plantations de café et de cacao, des réseaux routiers et le chemin de fer, des écoles et des postes médicaux.

On voit déjà, sans poursuivre plus loin, à l’addition de ces différents points, combien parler de la colonisation est un fait d’histoire qui mérite quelques précautions, au regard de l’affirmation du type jugement de valeur, faite par le président. Cela, d’autant plus que, la France républicaine fut à l’origine même de l’idée de la libre disposition des peuples, comme elle l’écrira dans le préambule de sa constitution de la Quatrième République. La République s’est construite par étapes successives à partir d’une première idée, celle d’émancipation des anciens cadres propres au pouvoir arbitraire d’une monarchie qui monopolisait avec la noblesse toutes les places, alors héréditaires, ancrées dans le pouvoir personnel et l’arbitraire (Ier République proclamée le 22 septembre 1792). La République elle, est un pouvoir impersonnel et non héréditaire, qui est devenu de plus en plus celui d’une liberté dont le monde s’est largement inspiré, et bien des pays africains dont les institutions sont proches des nôtres mais plus difficiles à appliquer dans des contextes territoriaux et communautaires aux nombreuses divisions ethniques et linguistiques. Si le colonialisme est à regarder comme une forme de domination en contradiction avec l’idée que nous nous faisons de la liberté aujourd’hui, c’est l’aboutissement d’un processus historique de prise de conscience qui ne s’est pas fait en un jour, et que l’on ne saurait attribuer ainsi unilatéralement à notre république. Il n’y a pas de faute, qui supposerait le même état de conscience que le notre des acteurs historiques d’un autre temps, mais des constructions historiques dont on doit tirer des enseignements pour nous permettre de ne jamais plus laisser les mêmes erreurs, les mêmes tragédies parfois, se reproduire. Il s’agit plus de comprendre que de juger.  

Dans cette perspective, le fait qu’en février 2017, Emmanuel Macron alors candidat à la présidentielle a déclaré sur une chaîne algérienne que « la colonisation fait partie de l’histoire française », et qu’elle serait « un crime contre l’humanité », rejoint la même démarche politique. Exagérer ici n’avance à rien et ne fait que semer le trouble.  

La décolonisation n’a pas tout réglé, les problèmes sont ailleurs

La décolonisation de l’Afrique n’a pas tout réglé, loin s’en faut. On a créé l’illusion que c’était le seul obstacle au développement, comme passif, et ce discours du président français le laisse à penser, même si c’est pour dire qu’il faut regarder devant et pas derrière. L’Afrique est structurellement en difficulté : La pauvreté y domine largement, les difficultés d’éducation en raison de la démographie galopante qui rajoute aussi à la pauvreté, les divisions tribales et communautaires qui rendent toute unité complexe, le nationalisme n’est pas non plus absent du tableau susceptible de brouiller les possibilités de coopérations, le manque d’infrastructures encore criant, l’immigration qui vide des villages de leurs jeunes, comme cela s’observe au Mali, dont le continent a tant besoin, la corruption de certains dirigeants, une partie de l’aide apportée aux pays africains s’évaporant encore aujourd’hui dans la nature…. 

On oublie aussi un peu vite d’autres questions comme la question religieuse, qui est devenue la principale préoccupation, avec un islam radical qui s’est largement diffusé en Afrique noire, même si le christianisme reste la première religion du continent avec un animisme encore très présent. Le djihadisme est en toile de fond de toute réflexion sur l’évolution du continent. La Côte d'Ivoire est un pays membre de l’Organisation de la coopération islamique. D'après le recensement de 2014, les religions les plus pratiquées en Côte d’Ivoire sont l’islam avec 42,9 % et le christianisme avec 33,9 % (dont catholicisme 17,2 % et christianisme évangélique 11,8 %).  

L'Afrique a besoin de capitaux et les pays du Golfe en regorgent, ceci ayant pour conséquence que les relations économiques entre ces deux régions du monde ne cessent de se renforcer. La présence d'Al Jazeera en Afrique contribue à accroître cette influence. L'exemple de l’Arabie saoudite est significative, avec une présence active de nombreux groupes saoudiens dans le domaine minier, agricole, de la construction et du tourisme religieux. Ce qui ne va pas sans une influence religieuse qui passe par les madrasas (écoles coraniques), qui fait évoluer un islam africain longtemps discret, tolérant, vers une affirmation forte et revendicative voire radicale.

Tourner la page de la colonisation pour faire du neuf, est-ce si sûr ?

Mais cette idée selon laquelle la République aurait commis une faute va avec une autre, toute aussi opportune, celle selon laquelle tourner cette page du passé irait avec un monde nouveau qu’incarnerait le président français. Invitant à le bâtir, fondé sur un partenariat d’amitié, il développe : « Moi j’appartiens à une génération qui n’est pas celle de la colonisation. Le continent africain est un continent jeune. Les 3/4 de votre pays n'ont jamais connu la colonisation », cherchant la proximité avec le peuple ivoirien sous le signe d’un discours où tout avec lui serait neuf, quitte à évacuer par un tour de passe-passe ce qui pourrait y faire obstacle. Mais c’est la grande illusion. 

Pour faire bonne mesure, il a rajouté "Parfois les jeunes reprochent à la France des troubles, des difficultés qu'ils ont pu vivre auxquelles la France ne peut rien. Alors, je sais, on (la France) est parfois la cible toute désignée, c'est plus simple (...) Quand c'est difficile, on dit c'est la France", a-t-il poursuivi. C’est tout notre président que ce en même temps, dont les ficelles sont énormes. C’est de la clarification dont on a besoin, pas de remords de circonstance cherchant à faire passer une idée fausse pour un fait vrai, avec une République qui paye la note des desseins présidentiels. 

Un tableau dans lequel les relations économiques entre les deux pays restent l’essentiel : « Je souhaite que les entreprises françaises restent des acteurs majeurs de cette croissance. Des acteurs heureux et harmonieux. » On voit là l’objectif de cette visite et des mots utilisés, du pur management. Il n’y a aucune ambition pour la France, il s’agit ici de sauver le marché quitte à mettre du plomb dans l’aile à ce que nous avons de meilleur. Affaiblir par ce genre de raccourci la République c’est affaiblir la France, et ne rendre plus rien intelligible. La République contient en elle des principes de justice et de progrès qui la poussent à s’élever en dépassant les contradictions dans lesquelles l’histoire la projette, c’est cela qui devrait faire réfléchir. La France n’a jamais été aussi influente que lorsque qu’elle ne fait qu’une avec sa République, ce qu’Emmanuel macron n’a toujours pas compris. 

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