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En renonçant à sa retraite de ‪président, Emmanuel Macron signe la quintessence de la gadgétisation de la politique française
©Reuters

Le gadget en vaut-il la chandelle ?

Emmanuel Macron a renoncé à sa retraite présidentielle ce dimanche 22 décembre 2019. Est-ce juste une annonce parfaitement calculée pour regagner la confiance des citoyens français ? La retraite qu'il a refusé de percevoir après son mandat ne serait en réalité qu'une "abolition des privilèges". Explications.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Emmanuel Macron va renoncer à sa retraite d'ancien président, telle qu'elle est actuellement définie. Pour l'Elysée, c'est une "volonté de cohérence" de la part du chef de l'Etat et non pas une "volonté d'affichage". Faire cette annonce en plein mouvement de grève contre la réforme des retraites (et non pas, par exemple, lors de la présentation du projet de réforme constitutionnelle), n'est-ce pas justement un pur affichage ?

Christophe Bouillaud : Il n’y aura vraiment que les ravis de la crèche, pour user d’une expression bien de saison en cette veille de Noël, pour croire à cette fable.  Le bonimenteur qui fait visiblement office de spécialiste de la communication à l’Elysée a d’ailleurs bien pris soin de démentir l’évidence d’une « volonté d’affichage » en parlant de « volonté de cohérence », signant ainsi son boniment par la dénégation par avance qui signe le plus souvent le gros mensonge qui ne trompe personne chez nos politiques. Il me semble surtout urgent que l’équipe de communication politique de l’Elysée s’octroie des vacances. Le silence est parfois d’or… et, moi-même, j’ai honte de commenter une stratégie aussi foireuse. N’apprend-on vraiment plus rien dans les grandes écoles de la République ? 

Cette annonce a été relativisée par plusieurs responsables politiques de gauche, qui expliquent qu'Emmanuel Macron "peut se le permettre". En faisant l'annonce de son "renoncement", Emmanuel Macron sous-entend-t-il qu'il faut être riche pour être président ?

Cela serait bien le comble si telle devait être l’interprétation retenue par le grand public, et il n’est pas étonnant que l’opposition de gauche en particulier essaye de tourner les choses ainsi en s’appuyant sur le narratif du « président des riches ». Elle se trompe cependant, tout au moins si l’on reconstitue les intentions du camp présidentiel. 

Le message que ce renoncement à sa retraite de Président qu’Emmanuel Macron entend en effet faire passer est bien plutôt celui de l’abolition des privilèges. C’est là dire que, vu par la « macronie »,  toutes les retraites actuelles sont des privilèges qui pèsent indûment sur les contribuables français et que le peuple français, écrasé d’impôts comme avant 1789, ne peut plus se permettre. La France n’est-elle pas devenue si pauvre, si improductive, à force d’alternances droite/gauche depuis 1981, qu’elle doive préparer ses futurs vieux à la misère ? Cela correspond d’ailleurs à l’évolution de fait de la communication gouvernementale sur la réforme des retraites, un peu à l’insu de son plein gré il faut bien le constater. Puisque le pouvoir a complètement échoué à persuader l’opinion – en dehors des retraités non concernés et du noyau dur des sympathisants LREM -  que la retraite universelle par points est juste et apporte vraiment un progrès social, il entend depuis le discours du Premier Ministre devant le CESE se concilier une majorité dans l’opinion en épargnant les classes d’âge nées avant 1975 et aussi quelques autres corporations comme les policiers, les militaires, ou même les routiers. Le site mis en ligne par le gouvernement sur les retraites pour rassurer les Français, https://suisjeconcerne.info-retraite.fr/, est d’ailleurs très illustratif de ce point de vue, avec son titre qui fait penser à une maladie, à un nouvel impôt, ou à un contrôle technique à éviter. De ce fait, la réforme est présentée, sans le vouloir, comme un grand recul, puisque le récit syndical a fini par prendre sur ce sujet – même si la communication du pouvoir continue bien sûr à clamer son excellence et sa justice immanente -, donc il est logique qu’Emmanuel Macron, né en 1977, soit lui aussi parmi les victimes de cette grande régression, c’est l’égalité dans la mouise en quelque sorte pour sauver les comptes publics et le contribuable. Elle permet ainsi de renforcer l’idée centrale dans la communication gouvernementale des jours derniers  qu’il faut en finir avec les « régimes spéciaux », en pratique uniquement avec ces deux bastions ouvriers que sont la SNCF et la RATP. Cette annonce présidentielle correspond donc à la poursuite du bras de fer, médiatisé à l’extrême, entre le gouvernement et ces deux corporations mobilisées. Puisque le Président lui-même renonce à ses propres privilèges, vous devez, bonnes gens de la SCNF et de la RATP, renoncer aux vôtres !

Emmanuel Macron va aussi renoncer à son siège au Conseil constitutionnel (et donc à son indemnité de 13.500 euros par mois). La rémunération des ex présidents doit-elle être assumée par des grands groupes qui les remercieraient post mandat, avec la pratique du pantouflage ou des conférences chèrement rémunérées ?

Effectivement, si Emmanuel Macron ne siège pas au Conseil constitutionnel, il aura toute latitude de monnayer ses conseils et ses bons et loyaux services à qui voudra bien le payer. De toute façon, il ne renonce pas là à grand-chose dans la mesure où cette possibilité offerte aux anciens Présidents de la République de siéger au Conseil constitutionnel constitue un archaïsme injustifiable aujourd’hui au regard de l’évolution de cette institution. 

Par ailleurs, il est vrai qu’il existe en effet depuis une quinzaine d’années une tendance des anciens dirigeants de premier rang en Occident à faire des carrières de super-consultants ou de super-lobbyistes, auprès d’institutions, de pays ou d’entreprises qui peuvent payer ce genre de services. Un Gerhardt Schröder ou un José-Manuel Barroso illustrent assez bien ce fait, qui, d’ailleurs, fait douter a posteriori de la probité de ces personnes dans l’exercice de leurs mandats démocratiques. Il vaut mieux, puisqu’on parle ici de retraites, espérer pour la démocratie française que notre ancien Président ne devienne pas à terme de son ou de ses mandats en 2022 ou en 2027 administrateur de BlackRock, le désormais célèbre fonds de pension américain, le supposé gagnant selon certains esprits torturés de toute cette réforme des retraites. On peut aussi imaginer qu’Emmanuel Macron vive ensuite de sa plume, qu’il écrive ses mémoires, tel un Clinton ou telle une Margaret Thatcher, ou bien qu’il devienne après avoir été Président en France président du Conseil européen. Plus généralement, un personnage comme lui peut bien sûr renoncer à une retraite spécifique d’ancien Président français sachant bien que pour le restant de ses jours, il est désormais dans une sphère où l’ « argent magique » existera toujours. 

La gabegie de dépenses publiques française dépend-elle vraiment des retraites des présidents ?  N'est-on pas là, dans le gadget ?

Bien sûr, les retraites des Présidents de la République ne représentent rien dans la masse des dépenses publiques. C’est de la pure démagogie ou du populisme le plus grossier de prétendre que cela change quelque chose à l’état de nos finances publiques. Cela joue sur le fait qu’une bonne part de nos concitoyens ne maîtrise pas les ordres de grandeur en la matière. Des centaines de milliers d’euros ou des millions  leur paraissent des chiffres importants, alors qu’en matière de finances publiques la vraie dépense un peu sérieuse se compte en milliards. 

Par ailleurs,  tout dépend aussi du rôle public qu’entend jouer l’ancien Président de la République. Un ancien Président est aussi payé par le contribuable pour exercer, au moins dans l’idéal, une autorité morale ou pour avoir une vision politique détachée des obligations de carrière. Le plus vieux Président de la République encore vivant, Valéry Giscard d’Estaing, a ainsi failli donner en 2003-2005 une Constitution à l’Union européenne. On peut discuter à l’infini sur la qualité de ses propositions en la matière, mais il reste qu’il n’est pas resté à rien faire pendant sa retraite. Les anciens Présidents américains sont eux aussi souvent sur ce registre. 

Bref, pas de doute, c’est là un gadget, seulement destiné à alimenter les discussions lors du repas de Noël. 

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