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Et la grande dérégulation financière reprit de plus belle : le monde n’a-t-il vraiment rien retenu de 2008 ?
©Flickr

Un château de cartes sur le point de s'effondrer ?

La confiance dans le système économique mondialisé et financiarisé s’est effondrée après 2008, selon le Financial Times. Pourtant, plus de 10 années ont passé et rien ne semble changer : dettes des états, les banques doivent trouver d'autres sources de financement... Quels sont les blocages de ce système économique instable ?

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Eric Lamarque

Eric Lamarque

Docteur et Agrégé en Sciences de Gestion, Eric Lamarque est professeur et directeur de l’IAE PARIS SORBONNE de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Il dirige également le Master Finance et la chaire « Management et gouvernance des coopératives financières ». Ses recherches portent sur les questions de stratégie, de gouvernance, d’organisation, de gestion des risques et de la performance des institutions financières. 

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Atlantico : Certains analystes pointent les dangers relatifs à la dette publique, laquelle, connait des taux historiquement bas.  Y a t'il un vrai risque que le château de cartes s'effondre ?

Philippe Crevel : En la matière il est difficile de déterminer à l’avance la cause et la date d’un tel évènement car par définition une crise est un déséquilibre non-contrôlé et non surveillé au niveau économique!

Aujourd’hui toutefois, parmi les menaces ciblées, on trouve notamment les dettes des états via des taux d’intérêts très bas voire négatifs. Comme tous les états s’endettent, les alternatives en matière de placement son faible et donc tous les investisseurs acceptent ce jeu. On est un peu dans un système où l’on est passager de TGV mais si on refuse le jeu, en sautant du train, on risque de se faire mal… et tous les trains vont à la même vitesse ce qui empêche de monter dans un autre.

L’endettement des entreprises et des ménages favorisés par la baisse des taux d’intérêt a donné lieu dernièrement à des recommandations de la part des banques centrales européennes et françaises, plus l’état français, afin d’éviter une dérive qui pourrait poser un problème. Ironiquement on incite à l’endettement mais de l’autre on veut le modérer afin de ne pas créer de bulles spéculatives

La politique monétaire non conventionnelle est aujourd’hui devenus une norme ; elle est donc conventionnelle. Elle est une source de déséquilibres et de dangers mais nul ne peut aujourd’hui s’en passer comme l’ont prouvé les évènements de 2019 : un simple ralentissement de la croissance et des tensions commerciales ont imposés de nouvelles baisses des taux directeurs pour les deux plus grandes banques centrales : BCE et FED.

Parmi les autres menaces figure le shadow banquing,tout particulièrement en Chine. Ce financement hors circuit financier régulé pourrait évidemment donner lieu, en cas de ralentissement économique majeur, à des faillites en chaine. Il convient néanmoins de souligner que les autorités chinoises surveillent cela de prés car l’impact pourrait être très important.

Michel Ruimy : Selon les estimations de l’Institute of International Finance, l’ensemble de la dette mondiale devrait dépasser 230 000 milliards d’euros cette année. Désormais, chacun des 7,7 milliards d’êtres humains vivant sur la planète est endetté à hauteur de 30 000 euros environ. La dette semble être sur un chemin incontrôlable. Les générations futures nous reprocheront amèrement notre prodigalité. Pour en prendre conscience, il faudrait avoir un chiffre en tête qui répond à une question simple : combien d’années d’impôts faut-il pour rembourser notre dette ?

Ce niveau, qui n’a jamais été aussi élevé, a été facilité, ces derniers temps, notamment par les « généreuses » politiques monétaires menées par les banques centrales à la suite de la crise de 2008 pour éviter une crise de liquidités. 

Si le passé est un guide pour le futur, toute dette publique se remboursera d’elle-même, si grosse soit-elle, sans qu’il soit nécessaire de lever d’impôt ou de réduire les dépenses. Il suffit d’être patient. L’« alarmisme austéritaire » ne serait pas de mise. Pour certains même (Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI), il est crédible et honorable de fustiger ceux qui s’inquiètent des niveaux d’endettement public à partir du moment où le taux d'intérêt emprunteur serait inférieur au taux d'inflation.

Pourtant, peut-on, aux niveaux d’endettement où nous sommes, continuer comme cela ? Depuis dix ans, on s’endette presque gratuitement. Ceci finira bien par s’arrêter et, à ce moment-là, on ne rira plus du tout. S’il n’existe pas de risque immédiat - le niveau actuellement bas des taux d'intérêt suggère qu'une dette plus élevée peut être tenable au stade actuel -, le niveau élevé de la dette n’offre guère de quiétude. 

C’est pourquoi, il est nécessaire de procéder à un effort budgétaire structurel ambitieux afin de placer la dette sur une trajectoire ferme à la baisse. Avec une hausse des taux, la charge de la dette progressera d’autant plus vite que la maturité moyenne de la dette d’un pays n’est pas élevée : celle de la France, par exemple, s’élève à environ 7 ans et demi contre 14 ans au Royaume-Uni. Si cet allongement représente incontestablement un coût à court terme, il offre une bonne protection contre un éventuel relèvement des taux d’intérêt dans les prochaines années.

Une bonne dette dépend, en particulier, de la capacité d’un État à maîtriser ses dépenses publiques. La France a des lacunes en la matière. Il serait-il opportun d’utiliser les marges budgétaires dégagées par la faiblesse des taux d’intérêt pour parvenir à des finances publiques saines et atteindre un solde primaire suffisamment élevé pour réduire le déficit budgétaire et la dette publique. 

Jean-Marc Siroën : Qui dit dette dit risque d’insolvabilité pour les ménages comme pour les entreprises,  les États et… les prêteurs. Plus la dette augmente, plus le risque est élevé pour les créditeurs comme pour les débiteurs. Néanmoins, pour que le « château de cartes » s’effondre, c'est-à-dire pour que le défaut de quelques-uns tourne en scénario catastrophe – ce que les économistes appellent une crise  « systémique »- , il faut encor que le défaut de paiement provoque la faillite du créancier qui est lui-même débiteur d’autres créanciers mis à leur tour en difficulté et ainsi de suite. C’est le cas lorsque le système bancaire est très engagé vis-à-vis des États défaillants… 

En ce qui concerne la dette publique, le risque de faillite bancaire provoquée par la défection d’un État est aujourd’hui assez limité. Certes le montant de cette dette continue d’augmenter dans de nombreux pays, mais elle reste stable voire en diminution par rapport au PIB. Les taux d’intérêt proche de zéro, voire négatifs, n’ont donc pas encouragé les États à sinon s’endetter du moins se surendetter. Leur bas niveau, y compris dans des pays à très hauts risques il y a encore quelques années, comme l’Italie, prouve que les titres d’état restent considérés par les investisseurs comme des placements sûrs.  Même si le risque était sous-estimé, l’effondrement du château de cartes serait peu probable. Des gros états débiteurs comme le Japon et la Chine se financent en puisant dans leur épargne ce qui limite la propagation d’une crise éventuelle. La situation européenne est plus contrastée et sans doute plus fragile mais pas au point de considérer une crise comme inéluctable ! Quant aux États-Unis, qui continue d’augmenter sa dette publique, le risque d’insolvabilité est à peu près nul puisque le dollar conserve son statut de monnaie de réserve et de paiement,. Il ne reste que les pays émergents où la situation pourrait devenir critique, bien qu’ils aient, dans l’ensemble, mieux résisté à la crise de 2008 que les pays industriels… 

Le risque lié à l’accumulation de la dette publique, contrepartie des déficits budgétaires, est donc ailleurs. En 2008, les États avaient pu accepter des déficits extraordinairement élevés pour relancer l’économie. En cas de nouvelle crise, ils ne pourront plus en faire autant. Donc, si la dette publique a peu de chances provoquer l’effondrement du « château de cartes » elle pèsera sur les instruments généralement utilisés pour l’éviter. 

Eric Larmarque : La situation est très différente dans les pays développés et les pays émergents. Dans les pays développés la dette publique et sa croissance perpétuelle depuis une quarantaine d'années fait qu'elle représente aujourd'hui souvent 100 % du PIB et parfois bien au-delà. Les taux bas pourraient laisser penser que cela ne coute pas grand chose et donc conduire à laisser filer le déficit à la mode japonaise. Le problème est que cette dette est aussi beaucoup moins attractive vu les rendements proposés aux investisseurs. Les assureurs-vie en France, qui investissaient massivement dans cette dette, ne sont plus à même d'offrir des rendements attractifs aux épargnants sauf à se mettre eux-mêmes en danger. La situation n’est pas encore très problématique mais on pourrait avoir une réelle difficulté de financement de cette dette à termes dans ces conditions de taux.

Dans les pays émergents, de façon similaire, la dette publique progresse fortement et son poids dépasse les 150 % du PIB dans certains pays. Là les taux d'intérêts sont encore extrêmement élevés et donc met en danger la solvabilité des états. Aujourd'hui d'ailleurs beaucoup émettent de la dette juste pour payer les intérêts. Ce qui 'a plus aucun effet sur le développement économique. Cela conduit au même comportement des investisseurs qui ne veulent plus acheter cette dette. Si en plus cela se combine avec une instabilité politique, la défiance est à son maximum et les pays sont au bord de la faillite, comme le Liban actuellement, et en grande difficulté pour refinancer leur dette.

Si jamais un ou plusieurs pays font défaut sur leur dette, comme la Grèce en été proche à plusieurs reprises entre 2010 et 2015, alors nous retomberions dans une crise économique et financière plus forte qu'il y a dix ans en raison des masses de dettes concernées.

Les experts dénoncent l'existence de fonds de pension qui ne font qu'augmenter la dette des ménages américains précaires. Une dette qui serait, par la suite, revendue à des banques européennes qui n'ont aucun véritable pouvoir de vérification. Un contexte similaire à 2008.  Est-ce anecdotique ?

Philippe Crevel :J’ai effectivement entendus parler que des Fonds de pension échappent à la vigilance des régulateurs. Ce faisant ils ont effectivement proposés des obligations titrisées ou des actifs sous-jacents dans des emprunts immobilier à des personnes modestes. Toutefois je pense que c’est à titre résiduel et accessoire. La perfection dans la traçabilité n’existe hélas pas. Par ailleurs une crise passe rarement deux fois au même endroit !

Michel Ruimy :L’effet pervers des politiques monétaires menées (assouplissement quantitatif) par les banques centrales a engendré une bulle géante sous forme de crédits à taux historiquement bas voire nuls. 

D’une part, elles ont poussé les ménages et les entreprises à l’endettement et au surendettement. D’autre part, les fonds d’investissement ont également surfé sur cette vague de cash gratuit et réalisé de nombreuses opérations (« leveraged loans » / prêts à effet de levier). Ces crédits à taux variables accordés à des ménages et entreprises déjà très endettés, sont ensuite mélangés avec d’autres titres, plus au moins solides, pour créer un nouveau produit, les CLO (« collateralized loan obligation »). C’est exactement la même mécanique que lors de la « crise des subprimes ».

Or, la plupart de ces fonds ne sont (toujours) pas obligés de publier leurs comptes, ni la composition de leur actionnariat, il est donc impossible de mesurer l’ampleur réelle de ce phénomène. Effet de ciseaux garanti en cas de baisse de croissance ou de retour de l’inflation (qui pousse les taux à la hausse).

Jean-Marc Siroën : On n’est pas tout à fait dans la situation qui prévalait en 2007 lorsque la crise des « subprimes » a mis à mal le système bancaire en culminant avec l’effondrement de Lehman Brothers en septembre 2018. Si on peut s’alerter de la croissance de l’endettement des ménages américains qui retrouve le niveau d’avant crise, on doit être plus nuancé. D’après la Fed (la banque centrale des États-Unis), cette dette ramenée au revenu disponible brut  est revenu sous les 100 % après avoir touché 130 % avant l’éclatement de la crise des subprimes. Par ailleurs, les taux de défaut sur les prêts immobiliers, qui représentent près des trois quarts de la dette des ménages, ont spectaculairement chuté en partie grâce à la plus grande sélectivité des prêteurs et à la chute des taux d’intérêt. A contrario, c’est vrai, une remontée brutale des taux d’intérêt pourrait peser sur les ménages mais certainement pas assez pour rééditer le scénario de 2007. 

Alors que les crises systémiques étaient plutôt à chercher du côté des marchés financiers, la crise de 2008 a révélé que le surendettement des ménages était un déclencheur possible. Dans un contexte de mondialisation financière, la crise initialement circonscrite à quelques institutions spécialisées, s’est étendue à l’ensemble du système financier mondial en raison d’une titrisation excessive et opaque des créances hypothécaires. En effet, les organismes de crédit ne conservaient pas leurs créances dans leur bilan mais les cédaient à d’autres institutions financières qui les diluaient dans des titres tellement sophistiqués que personne n’était plus en mesure d’en évaluer les risques. Cette défaillance a ouvert la porte à des firmes comme BlackRock, aujourd’hui le plus grand gestionnaire d’actifs du Monde, de se présenter comme le garant d’une analyse infaillible des risques en recourant à l’intelligence artificielle (Aladdin). Les fonds de pension ont largement eu recours à ce type d’institutions qui ont peut-être comblé certaines failles des anciennes méthodes, mais qui pourrait croire, à part elles-mêmes, que cela suffirait à nous préserver d’une nouvelle crise ? En effet, même si ces institutions parviennent à mieux mesurer le risque, elles ne l’éliminent pas. Elles pourraient même l’accroître puisque les investisseurs rassurés par la qualité de leur évaluation pourraient être tentés d’en accepter davantage. Il en est de même d’ailleurs de la baisse des taux d’intérêt sur les valeurs « sûres » comme les bons du Trésor. Pour doper le rendement des portefeuilles, ces institutions sont conduites à prendre davantage de risques. 

Eric Lamarque : Il y a deux risques au niveau des fonds de pension américains. Tout d'abord leur capacité à verser les pensions aux ménages qui ont fait des versements dans ces fonds pour qu'ils les capitalisent. Si ces fonds de pension sont sous capitalisés alors ils auront du mal à verser ces revenus aux retraités américains ce qui provoquera de grandes difficultés. Cette incapacité de verser ces fonds est aussi liée au faible rendement des produits obligataires également aux USA.

Par ailleurs, l'endettement total des Américains atteint 13.950 milliards de dollars à fin septembre 2019, dont presque 10 000 milliards de crédits immobiliers, selon les données de la Fed de New York. Nous sommes revenus à un niveau supérieur à 2008! La dette étudiante et les prêts automobile progressent aussi. Les banques américaines ont gardé l’habitude de titriser les crédits et de les distribuer vers les marchés financiers où les investisseurs et les banques peuvent les acheter…ou pas. Les ménages profitent des taux bas. Mais si les défauts de remboursement s’accélèrent les investisseurs seront affectés comme en 2008 par de forte dévalorisations qu’ils devront absorber avec leurs fonds propres. Les mécanismes de contagions existent donc toujours et on ne peut qu’inciter les investisseurs à une certaines prudences face à des produits financiers qui ont l’air très (trop) attractifs.

Pour quelles raisons des réformes plus profondes sur la régulation de la finance mondiale n'ont-elles pas été entreprises depuis 2008 ? Quel est la part de responsabilité des Chefs d'État des grandes puissances mondiales ?

Philippe Crevel : Ce n’est pas vraiment correct. La crise de 2008 avait été provoquée par la titrisation liée à des emprunts immobiliers attribués à des revenus très modeste. Cette titrisation a joué l’effet d’un jeu de dominos et a provoqué la crise financière la plus important depuis 1929.

Depuis les banques centrales en coordination avec les états ont largement durcies la réglementation en matière financière à travers les ratios prudentiels prévus par les accords de Bâle ou à travers la directive Solvency 2. D’ailleurs certains trouvent ces ratios trop contraignants et demandent leur assouplissement. Des crashs test sont mis en œuvre annuellement pour vérifier la solidité des banques et des compagnies d’assurance. La surveillance de la sphère financière s’est donc clairement accrue. Evidemment cela n’empêche pas de nouvelles menaces qui pourraient donner lieu à une nouvelles crise financière.

Michel Ruimy : A la suite de la crise financière de 2008, le G20 s’était engagé à réguler la finance mondiale pour éviter qu’une telle crise puisse se répéter. Ils ont donc confié au Comité de Bâle le soin de renforcer les réglementations prudentielles des banques et à l’OCDE, la tâche de renforcer la transparence fiscale internationale. Dix ans plus tard, si plusieurs mesures ont été adoptées pour mieux encadrer les banques et lutter contre l’évasion fiscale, le bilan de la régulation de la finance mondiale reste insatisfaisant.

En matière de réglementation bancaire, la principale avancée a consisté à renforcer les exigences de fonds propres pour couvrir les opérations risquées des banques. Toutefois, le ratio recommandé par le Comité de Bâle reste trop peu élevé et repose, en partie, sur une pondération des risques calculés par les modèles internes des banques elles-mêmes. En outre, les fonds spéculatifs et autres acteurs de la « finance de l’ombre » (« shadow banking »), qui ont été au cœur des chaînes de risques ayant mené à la crise de 2008, sont largement restés hors du champ des nouvelles réglementations. 

Malgré la négociation d’une trentaine de nouvelles règles internationales, la réglementation bancaire est restée, en fait, un exercice essentiellement national et fondé sur l’autorégulation. Au niveau européen, l’Union bancaire, qui représente la principale réponse de l’Union européenne à l’instabilité financière, reste inachevée. Certes, un Mécanisme de supervision unique a été créé au sein de la Banque centrale européenne pour superviser les banques européennes les plus importantes tandis qu'un Mécanisme de résolution unique est censé privilégier, en cas de crise bancaire, les renflouements internes, financés en priorité par les actionnaires et les créanciers des banques défaillantes, plutôt que les plans de sauvetage externes, financés par les contribuables. Ce mécanisme comporte toutefois de sérieuses limites. 

Or, les déséquilibres financiers et risques systémiques réapparaissent au sein de l’économie mondiale. C’est pourquoi il est nécessaire de prendre des mesures plus ambitieuses pour réguler la finance mondiale et la ramener au service du développement durable. En matière de régulation bancaire, cela implique notamment d’imposer aux banques des ratios de fonds propres suffisants. En outre, au lieu de privilégier l’autorégulation, les gouvernements devraient coopérer pour enrayer les déséquilibres et stabiliser le système financier international. A défaut, ils ne feront que préparer la prochaine crise.

Jean-Marc Siroën : Même dans un système libéral, les règlementations de la finance sont justifiées. Les conséquences des imprudences ou des erreurs de jugements ne se limitent pas à l’institution concernée puisqu’elles se propagent à l’ensemble des économies. Certes les banques centrales peuvent assurer leur fonction de « prêteur en dernier ressort » en fournissant les liquidités qui manquent -elles ne s’en sont pas privées depuis 2008- mais cette intervention n’est pas la panacée. D’une part, l’ « aléa moral » conduit les banques à prendre davantage de risques puisqu’elles sont persuadées qu’en cas de problèmes, elles seront sauvées par l’État ou par leur banque centrale (a contrario, en 2008, en laissant s’effondrer Lehmann Brothers, les États-Unis ont accéléré la diffusion de la crise). De plus on voit bien aujourd’hui que ces interventions mènent à l’impasse de taux d’intérêt anormalement bas et d’injections de liquidités mal contrôlées. 

Des réformes ont été mises en œuvre notamment par le renforcement des normes prudentielles au niveau mondial ce qui signifie une augmentation des capitaux propres proportionnée au niveau de risque des actifs détenus par les banques. Ces décisions ont été prises dans le cadre « multilatéral » du G20 et de la Banque des Règlements Internationaux. Aujourd’hui les banques sont donc mieux armées pour faire face aux risques qu’elles ne l’étaient avant 2008 ce qui ne veut pas dire que ce soit suffisant. Certains pays, comme les États-Unis, ont été plus loin en adoptant des règles qui devaient éviter que les difficultés des activités liées aux placements risquées ne se diffusent aux activités traditionnelles des banques. Néanmoins, cette ébauche de cloisonnement a été remis en cause par le Président Trump.

Ce qui empêche d’aller plus loin c’est que toute règlementation pèse sur la rentabilité des institutions concernées. Le « lobby bancaire » est donc très actif pour rabattre les l’ambition des gouvernements. La baisse des taux d’intérêt  qui contribue elle aussi à peser sur leurs rendements ne peut d’ailleurs que les encourager dans ce sens. 

Eric Lamarque :Il faut nuancer les choses. La régulation bancaire s’est largement renforcée en Europe en dix ans. Nous sommes à même de supporter au niveau de nos banques une crise de la même ampleur que celle de 2008 voire plus forte. Le problème se situe d’abord aux USA, avec une administration Trump clairement hostile à un renforcement de la régulation, en particulier de la finance. Les banques américaines n’ont pas fait les mêmes efforts que les banques européennes. Par ailleurs le vrai problème est l’absence de régulation significative des fonds d’investissement et des fonds de pension sur le sujet de la stabilité financière. Ces fonds n’ont pas d’exigences minimales de fonds propres ou de liquidité comme les banques. Ils sont aujourd’hui plus gros en termes de bilan avec par exemple Blackrock et ses 6000 milliards d’USD d’actifs gérés, là où CITIBANK ne représente « que » 2400 milliards. Si une crise financière globale se produit elle pourra venir aussi de la défaillance d’un de ces fonds en raison de son incapacité à rembourser ses dettes ou de rembourser ceux qui en détiennent les parts. L’autre phénomène déclencheur pourrait être une crise immobilière dans un grands pays développé qui enclencherait une réaction en chaine chez tous les détenteurs de crédit.

Concrètement quelles seraient les conséquences réelles d'une nouvelle crise financière globale, de l'ampleur, voire plus importante, que celle de 2008 si elle advenait ?

Philippe Crevel : Une crise financière globale liée à choc obligatoire aurait un impact fort sur l’ensemble des établissements financier, contraindrait les états à prendre des mesures strictes afin d’éviter la panique. Mais l’arsenal juridique pour y pallier existe. Même s’il est sûr qu’une crise financière aurait un impact sur la croissance, l’emploi, les déficits et les valeurs immobilières.

Mais on est encore loin de cette situation car il n’y pas de véritable menace actuellement. Au passage Les scénarios catastrophe prévus pour 2019 ont eu clairement torts et par voie de conséquence m’ont donné raison ! Je souhaite une seule chose : que l’année 2020 se passe aussi bien ! 

Michel Ruimy : La prochaine crise risque d’être d’envergure car elle devrait être, à la fois, financière, économique et sociétale, l’ordre d’occurrence des facteurs étant indifférent. Son ampleur pourrait s’avérer pire qu’en 2008 car les risques concernent désormais les banques, les États et les banques centrales des différents pôles de l’économie mondiale alors qu'ils restaient largement concentrés au sein du système bancaire transatlantique avant 2008. Le problème est que, contrairement à la crise de 2008, nous n’avons plus d’amortisseurs pour encaisser un nouveau choc…

Reste maintenant à savoir d’où pourrait partir l’étincelle qui mettra le feu aux poudres et à quel moment. Il faut rappeler que même si l’économie utilise beaucoup de modèles mathématiques, il convient aussi de considérer la dimension psychosociologique qui commandent l’économie. Elle induit un élément fortement aléatoire et subjectif à tout niveau.

Viendra-t-elle de tensions géopolitiques, d’une brutale remontée des cours du pétrole, des inquiétudes sur un pays en difficulté comme l’Italie ou de la poursuite du ralentissement chinois ? Les avis sont partagés. Le risque le plus important serait qu’un Etat décide de revenir sur la déréglementation du marché du travail : l’inflation pourrait alors faire son retour et les taux remonteraient très vite. Mais, s’il est difficile de savoir d’où proviendra la prochaine crise, il est certain qu’elle sera grave. Les « pompiers » risquent, en effet, de ne pas pouvoir éteindre l’incendie : les États, déjà très endettés, auront de grandes difficultés à effectuer une relance budgétaire appropriée tandis que les banques centrales ne pourront pas descendre leurs taux beaucoup plus bas.

Jean-Marc Siroën : Les crises financières naissent de bulles spéculatives alimentées par la dette et, tout particulièrement aujourd’hui, par une surabondance de liquidités. L’élément déclencheur est l’accroissement brutale du service de la dette suite par exemple à une hausse des taux d’intérêt, ou à la dépréciation de l’actif support (action, obligation, immobilier, matière première, …). C’est dire que les risques d’une crise sont particulièrement élevés aujourd’hui du fait de la surabondance de liquidités, de la bulle spéculative en formation pour certains actifs (actions, immobilier,…) et de taux d’intérêt excessivement bas et qui ne peuvent que remonter un jour ou l’autre. S’ajoutent à cela des doutes sur l’économie réelle alimentés par le ralentissement économique, les guerres commerciales, les effets du Brexit, l’instabilité géopolitique, etc…

Il y aura nécessairement de nouvelles crises. Il reste à savoir si celles-ci pourront être localisées à un pays (Turquie, Chine,…), à un marché (actions, immobilier…), à certaines institutions financières (hedge funds, …) ou certains types d’acteurs privés (des ménages aux GAFA…) ou, au contraire, se diffuser en franchissant les digues trop timidement posées après la crise de 2008. Si c’était le cas, la crise serait plus grave pour au moins une raison : les cartouches (déficits budgétaires abyssaux, politique monétaire ultra-expansionniste ?...) ont déjà été utilisées et ne pourront plus l’être avec la même ampleur. Ajoutons à cela que le multilatéralisme, qui avait plutôt bien fonctionné après 2008, n’est plus dans l’air du temps et il n’est pas acquis que la crise le régénère.

Eric Lamarque :Nous avons l’expérience de la crise de 2008 ou les pertes associées à la chute de Lehman Brother (entre 450 et 600 milliards USD de pertes selon les estimations) et la restructuration de la dette Grecque (autour de 350 milliards de pertes pour les détenteurs). Il aura fallu bon an mal an un peu moins de dix ans pour retrouver une situation économique aux USA et en Europe proche de celle d’avant 2008 en termes de taux de chômage ou de croissance du PIB. Les crises qui peuvent potentiellement représenter plus de pertes ne peuvent provenir que d’états de grande taille en faillite, ou de fonds d’investissement ou de pension comme je l’ai indiqué. Si l’incident est de la même ampleur, dans des zones non régulées, il est probable que nous nous retrouvions avec les mêmes conséquences en termes de récession et de relance du chômage que nous avons connues en 2009/2010. Si l’incident est deux fois plus important je ne préfère pas imaginer les conséquences.

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