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La France est-elle plombée par les "techno-blancs" qui la gouvernent… ou par la pénurie d’idée généralisée ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Mauvaise cible

Interviewé par Paris Match, Gérald Darmanin a expliqué que l'entourage d'Emmanuel Macron manquait certainement de "personnes qui parlent à la France populaire, des gens qui boivent de la bière et mangent avec les doigts". Une déclaration à laquelle, la porte-parole du gouvernement, Sibeth N'Diaye, a répondu que l'équipe ministérielle était "à l'image de notre pays", expliquant que le gouvernement n'était pas uniquement constitué de "technos blancs de 40 ans".

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Atlantico : Alors que Sibeth N'Diaye défend un gouvernement qui n'est pas uniquement constitué de "technos blancs", plus que l'origine ou la formation de ses membres, l'actuel problème du gouvernement n'est-il pas plutôt celui du manque d'idées, de projets concrets ? 

Edouard Husson : Nous avons atteint un point bas du discours public. La France était fondée sur un idéal universel indifférent à l’origine ethniques des personnes. En pratique, jusqu’aux années 1960, la machine à assimiler a bien fonctionné parce que l’école et la société faisaient l’effort de se consacrer pleinement à un petit nombre de personnes, lesquelles choisissaient la France. Le modèle de l’assimilation à la française, inventé par la monarchie et prolongé par la République ne fonctionne plus pour trois raisons: on a laissé entrer des centaines de milliers et non plus quelques milliers par an; on n’exige pas de ces personnes qu’elles aiment la France; on ne fait rien, ni culturellement, ni économiquement, ni socialement, ni politiquement pour les assimiler. Pire, des déclarations comme celles de Sibeth N’Diaye montrent que les accueillis, même intégrés au coeur de la décision républicaine, ne montrent aucune reconnaissance à la France. Il y a un demi-siècle, Madame N’Diaye aurait affiché sa fierté de faire partie d’une équipe gouvernementale française. Aujourd’hui, elle s’approprie le pire du discours multiculturaliste venu du gauchisme américain. C'est bien entendu pour se dissimuler à soi-même que la France ne fonctionne plus quand elle renonce au logiciel de l’assimilation et des devoirs qui accompagnent la citoyenneté. Le modèle socio-économique français ne marche plus car nos dirigeants n’y croient plus. 

Maxime Tandonnet : Ces petites phrases, supposées contradictoires, ne grandissent pas ceux qui les profèrent. Réduire la France populaire à des buveurs de bière se tenant mal à table dénote une piètre image de la France populaire. Cette tirade renvoie sans doute au combat mythologique des « élites éclairées » contre la « peste populiste ». Elle accentue le sentiment de déconnexion que donne l’équipe au pouvoir. Quant à Mme la porte-parole du gouvernement, sa déclaration sur les « technos blancs » n’est pas non plus reluisante. Depuis quand se permet-on de considérer les responsables publics sur le critère de la couleur de peau ? Article 1er de la Constitution : « la France ne reconnaît aucune distinction de race, d’origine ou de religion ». La déclaration de Mme N’Diaye est ainsi contraire à l’un des principes républicains les plus fondamentaux et les plus anciens. Oui, bien sûr elle traduit un réflexe assez classique : le pouvoir politique est en panne d’idées et de projets mais surtout, le quinquennat actuel est une immense déception au regard du « nouveau monde » annoncé en 2017. Dès lors, s’en prendre au « techno blanc » est une manière de désigner un bouc émissaire. Et puis la valse des petites phrases provocantes destinées à faire buzz est une manière de couvrir la morosité générale. En l’absence de réussites à mettre en avant, on n’a rien trouvé de mieux que les petites polémiques pour faire parler de soi. Mais ce qui est quand même frappant, c’est l’apathie du monde médiatique et de la presse face à ces micro-provocations. Imaginez les mêmes paroles du temps de la présidence Sarkozy : une semaine au moins de tollé médiatique !

En 1958, le plan Pinay Rueff a permis à la France de se remettre sur pieds malgré un gouvernement très blanc et très techno, ainsi n'est-ce pas une erreur de blâmer sans cesse l'origine ou la formation des élites plutôt que de pointer du doigt un manque de compétence ou de vision ? 

Edouard Husson : C’est d’une stupidité sans nom de penser que parce qu’une personne a les yeux violets ou les cheveux verts, elle va savoir raisonner ou agir mieux ou moins bien que d’autres. Nous sommes les héritiers de cette « voie romaine » si bien analysée par Rémi Brague: la caractéristique des nations européennes, sur le modèle de l’Empire romain, c’est d’accueillir tout ce qui marche ailleurs, de le transformer et de le mettre en application chez soi. Est-ce que le fait que Mazarin fût italien ou Sarkozy d’ascendance hongroise change quelque chose à leur capacité ? Ce sont deux hommes d’Etat, qui ont bien servi la France. Les erreurs qu’ils ont commises, les bonnes décisions qu’ils ont prises n’ont rien à voir avec leur origine ethnique ou culturelle. Ce qui doit caractériser l’action politique, c’est qu’elle « ne fait pas acception de personnes », pour parler comme la Bible. Ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron est un bourgeois d’Amiens qu’il gouverne mal: son origine sociale ou sa franchouillardise ne changent rien au caractère erratique de son mode de gouvernement. Gérald Darmanin a d’ailleurs tort, autant que la porte-parole du gouvernement: il y a des gens du peuple qui se tiennent mieux à table que bien des énarques. Entre le multiculturalisme à l’américaine et le populisme à trois sous, nous avons affaire au degré zéro de la politique. On ne peut pas toujours avoir le haut niveau des serviteurs de l’Etat en 1958 ; mais ce n’est pas une raison pour passer à l’extrême inverse soixante ans plus tard ! 

Maxime Tandonnet : Nous n’étions pas dans le même monde. A l’époque, la Nation, l’intérêt général, la politique avaient un sens. L’objectif d’un Gouvernement n’était pas, pour l’essentiel, dans la frime ou le paraître, il était dans la recherche du bien commun pour le pays. La composition des gouvernements, l’origine de leurs membres n’était qu’un sujet secondaire. Une seule chose comptait : l’action et les résultats obtenus. Avec le déclin de l’idée nationale et des convictions, la conception de la politique a radicalement changé. Le but principal n’est pas l’avenir d’un pays, auquel on ne croit plus vraiment, même si l’on fait semblant de le prendre en compte. Il est avant tout d’accomplir des rêves individuels et narcissiques. L’objectif central n’est pas dans l’action en vue d’un intérêt général, mais dans l’image donnée par l’équipe dirigeante à l’opinion. Alors, en effet, cette image doit répondre au critère essentiel de la modernité qui est l’apparence de la diversité. C’est ainsi qu’on en vient à donner à la couleur de peau une importance qu’elle ne devrait pas avoir au regard des traditions françaises reposant sur une citoyenneté en dehors de toute notion d’origine. On peut voir dans la tendance qui est à l’œuvre une américanisation rapide de la politique française la rapprochant des pratiques communautaristes. Mais surtout un échec dramatique de la politique en général. D’année en année, pour des raisons multiples, les gouvernements échouent à régler les grands problèmes des Français, chômage, pauvreté, dette, déficits, violence, déclin scolaire, maîtrise des frontières, etc. D’où la fuite dans le culte de l’image, la communication, l’apparence : le paraître plutôt que le faire. L’obsession de l’apparence et des origines, au détriment du débat d’idées et de toute vision de l’avenir, est bien plus qu’une erreur : une faute.

Comment expliquer ce manque d'idées ? Comment expliquer qu'au fil des années les élites semblent avoir perdu en vision d'avenir ? 

Edouard Husson : J’y vois deux causes: d’abord l’effondrement du système éducatif français, consécutif à 1968. De 1945 à 1968, la gauche a progressivement pris en main les leviers du système éducatif public. Après 1968, la droite a fini par appliquer avec zèle un programme entièrement écrit par la gauche, fondé sur une triple haine: celle de la culture (« Une paire de bottes vaut bien Shakespeare »); celle de la réussite française (Je n’ai jamais oublié ce mot affreux, entendu en 1993 de la bouche de mon ancien professeur d’histoire d’hypokhâgne devenu inspecteur général de l’Education Nationale: « Les programmes d’histoire sont trop gallocentrés »); celle de l’émancipation occidentale de l’humanité! A la destruction du système éducatif, que nous avons en commun avec d’autres pays occidentaux, s’est conjuguée une caractéristique française: le rétrécissement du regard au fur et à mesure que le temps passe. Pour la France, renoncer à son universalisme, qu’il soit catholique ou républicain, c’est tomber dans le provincialisme. Vouloir assimiler l’étranger, c’est apprendre à le connaître pour ce qu’il est; au lieu de cohabiter avec lui dans l’ignorance mutuelle. Vouloir l’indépendance française, c’est s’obliger à comprendre le monde. La politique étrangère d’Emmanuel Macron, qui est une série d’échecs retentissants, nous fait mesurer ce que nous avons perdu depuis le Général de Gaulle. 

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