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Ce que Macron planifie pour l’Europe… mais que l’Europe n’attend pas
©Eliot BLONDET / POOL / AFP

Stratégie européenne

Clément Beaune, le conseiller d'Emmanuel Macron sur la question de l'Union européenne vient d'accorder une interview à la rédaction de Politico. Il revient notamment sur la vision et sur le projet européen d'Emmanuel Macron. Le chef de l'Etat a-t-il encore des alliés en Europe et peut-il encore réussir sur la scène européenne ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Le conseiller d'Emmanuel Macron sur la question de l'Union européenne, Clément Beaune, a accordé un entretien à Politico au sujet de la politique européenne d'Emmanuel Macron.

Clément Beaune souligne dans cet entretien que la vision de l’Europe développée par le président français est désormais en train d'être mis en œuvre par l'UE. Pourtant, alors qu'Emmanuel Macron est au pouvoir depuis deux ans sa vision de l'UE semble encore davantage diviser que rassembler, n'est-ce pas là donc du "wishfull thinking" ? Pourquoi se "voiler la face" de la sorte ? 

Christophe Bouillaud : Le conseiller pour les affaires européennes a raison de souligner que des postes-clés au niveau communautaire (Commission et Banque centrale européenne) sont tenus par des personnalités prêtes à mettre en œuvre tout ou partie des demandes de Paris. Cet entretien vise aussi à affirmer la détermination de Paris à ne pas abandonner ses objectifs affichés depuis 2017.  Cependant, il me semble que Clément Beaune tend à y sous-estimer largement l’état réel des rapports de force entre capitales. Il voudrait ainsi que les sujets de migration soient enfin résolus et qu’on passe à un système automatique de répartition des réfugiés sauvés en Méditerranée. La Commission Juncker s’est déjà cassé les dents sur cette affaire, je ne vois pas bien ce qui pourrait faire évoluer la situation : les dirigeants nationaux qui refusent cette répartition, en Pologne et en Hongrie en particulier, sont soutenus par une majorité relative de leurs électorats respectifs, et tout indique, comme par exemple la situation politique suédoise, que l’accueil de réfugiés sur son sol est très coûteux politiquement pour un gouvernement, et pour les forces centristes en particulier. Evidemment, si l’on suppose qu’il n’y aura pas de réfugiés à répartir à l’avenir, un accord est sans doute possible, mais face aux réalités d’un monde avec de plus en plus de réfugiés potentiels, politiques, climatiques, économiques, il faudrait un miracle pour que cela passe. Ou alors, on fera comme pour le récent accord sur les objectifs climatiques de l’Union européenne, adopté en dépit du blocage polonais attaché à son charbon : on en exemptera les récalcitrants, avec la conséquence de fait en matière migratoire de rendre permanent ce qui se fait déjà aujourd’hui. Seuls quelques pays volontaires accueilleront des réfugiés récupérés en mer. 

Après, je suppose que, dans les domaines cités, comme un SMIC européen  par exemple, le gouvernement français pense pouvoir rassembler une majorité derrière lui, et en jouant sur les mécanismes qui permettent de contourner les oppositions d’un ou plusieurs Etats d’avancer tout de même. Cela signifie une Europe à géométrie très variable, mais pourquoi pas ? Cela comporte tout de même le risque de créer de fait plusieurs droits européens, et une multiplicité d’exceptions et de passe-droit. Mais après tout, l’Union européenne a déjà avancé ainsi pour son projet majeur des trente dernières années : l’Euro. 

Si Macron pouvait compter, à l'origine, sur le soutien d'Angela Merkel, elle semble l'avoir plus ou moins abandonné notamment en raison de la situation de son propre pays, Macron a-t-il donc toujours des alliés en Europe ?

Le diable étant dans les détails, il faudrait voir au cas par cas le niveau de contrainte qu’une éventuelle décision européenne dans les domaines cités par le conseiller présidentiel ferait réellement peser au niveau national. De fait, si l’on prend l’exemple récent du budget spécifique à la zone Euro, il existe bel et bien, mais il se trouve à un niveau d’engagement financier tel qu’il ne change pas grand-chose à l’architecture d’ensemble des rapports financiers entre Etats européens. L’obligation que se font les Européens de trouver des accords, même a minima,  tout en les habillant d’oripeaux les faisant paraître historiques pour complaire leur initiateur, doit inciter à la plus grande prudence. Surtout à ce stade, Macron a sans doute des sympathisants parmi les dirigeants nationaux, ou plutôt des non-opposants, ne serait-ce que les libéraux liés à l’ALDE, devenu Renew Europe, mais il n’a pas dans l’espace public européen de dirigeant qui affiche vraiment sa proximité avec lui. Le couple franco-allemand parait effectivement bien faible, et, pour l’instant, rien ne le remplace, ne serait-ce sans doute parce que par les temps qui couvrent les dirigeants des pays européens sont d’abord préoccupés de rester au pouvoir dans leur propre pays. 

Avoir un projet pour l'ensemble de l'Europe et penser que celui-ci peut fonctionner n'est-il un leurre aujourd'hui tant l'UE est divisée et manque cruellement de vision d'ensemble ? Macron a-t-il tout de même une chance de réussir ?

Sur le papier, la vision que déploie Clément Beaune est séduisante. Il souhaite une Europe qui devienne un « pouvoir » à l’échelle mondiale avec une vraie vision à long terme, en particulier autour de la lutte contre le réchauffement climatique. Mais cela néglige que, pour l’instant, chaque Etat membre reste largement prisonnier de sa propre vision de l’avenir, de ses propres ambitions régionales, de ses propres craintes. Une fois que tous les Européens ont communié dans le grand discours sur l’Europe puissance du XXIème siècle, tout le monde court prendre ensuite des assurances à court ou à moyen terme auprès des autres puissances anciennes ou émergentes, Etats-Unis, Russie ou Chine. Il faut constater aussi qu’en pratique, aucun gouvernement européen, y compris le gouvernement français, n’est prêt à ce stade à montrer vraiment les crocs pour réduire les émissions de CO2 à l’échelle mondiale. A ma connaissance, aucun gouvernement européen n’a proposé un embargo européen total contre le Brésil de J. Bolsonaro tant que ce dernier ne donnerait pas de preuves tangibles et incontestables que pas un hectare supplémentaire de forêt amazonienne ne disparaissait pour devenir de la pâture pour du bétail ou des champs de soja, nous étant destinés directement ou indirectement comme consommateurs des pays riches. Or, si l’on était cohérent avec notre volonté affichée de sauver le climat et de respecter les Accords de Paris de 2015, c’est pourtant bien ce qu’il faudrait faire – quitte d’ailleurs à indemniser ensuite largement le Brésil  redevenu raisonnable pour le fait de ne pas détruire l’Amazonie. 

Pour généraliser un peu, comme je l’ai déjà dit dans vos colonnes à de multiples reprises, Macron réussira à imposer pleinement ses vues, qui, dans le domaine européen, correspondent à une vision pré-fédérale, seulement et seulement si les menaces se font vraiment plus réelles pour tous les Européens. Les canicules qui se sont succédé depuis quelques années sur l’Europe ont achevé de convaincre tout le monde ou presque qu’il fallait vraiment avancer sur la « neutralité carbone », mais cela aboutit encore  à une approche prudente et peu conflictuelle. Une crise économique majeure ou une crise géopolitique auront, espérons-le, un effet similaire, mais là encore, osera-t-on enfin au niveau européen jouer vraiment le grand jeu comme au Japon ou aux Etats-Unis pour relancer la machine et en finir vraiment avec le chômage de masse et l’inactivité forcée des femmes, des jeunes, des seniors ? 

Pour retrouver l'article de Politico : ICI

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