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Ce raid des Chinois sur le capital de Daimler qui ébranle les certitudes allemandes
©John MACDOUGALL / AFP

Bras de fer

La Chine a menacé l’Allemagne de représailles si Huawei était retiré du marché du déploiement de la 5G sur son sol. La Chine est le plus gros marché mondial pour certaines entreprises allemandes, dont Daimler. L’Allemagne prend-elle conscience qu’elle n’évolue plus dans un monde où sa production est irremplaçable ?

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Atlantico.fr : La Chine a récemment menacé l’Allemagne de représailles si Huawei était retiré du marché du déploiement de la 5G sur son sol. Or la Chine est le plus gros marché mondial pour plusieurs motoristes allemands, dont Daimler. Une démarche bien plus politique qu’économique quand on mesure le poids de l’industrie automobile dans l’économie allemande [et mondiale].

L’Allemagne prend-elle conscience qu’elle n’évolue plus dans un monde où sa production est irremplaçable ? En un mot qu’elle a perdu sa prépondérance, sur plusieurs marchés, face à la Chine dont la technologie a bondi en quelques années ?

Bruno Alomar : L’Allemagne, confrontée à la chute du Mur de Berlin a eu un choix, dont elle n’était pas nécessairement consciente. Soit se refermer compte tenu de la concurrence liée à l’entrée de plusieurs milliards d’individus sur le marché, option qu’elle a rejetée, compte tenu des implications politiques que le protectionnisme a pour parti engendré au siècle passé. Soit demeurer ouverte, mais alors d’une part monter en gamme industrielle, d’autre part accepter que les allemands les moins formés en souffrent. C’est ce second choix qu’elle a fait.

L’Allemagne, comme le reste du monde, s’est considérablement trompée sur la Chine. De deux manières. D’abord, l’Allemagne, et les pays qui ont poussé à l’entrée à l’OMC de la Chine avec un statut d’économie en développement, ont cru que le « doux commerce » (Montesquieu), qui est l’ADN de l’Union européenne, permettrait progressivement à la Chine de se démocratiser : c’est le contraire qui s’est passé, avec un Etat chinois plus puissant et plus intrusif que jamais. Ensuite, l’Allemagne et l’Occident, oublieux de l’Histoire, ont perdu de vue que la Chine a été jusqu’au 16em siècle, quand l’Europe de la Renaissance a pris le relais, le lieu de l’innovation technologique. Marco Polo décrit bien dans le Livre des Merveilles (en français) la réalité d’une Chine capable d’inventer la poudre, le boulier, le papier monnaie, l’exploitation du charbon, la diplomatie etc.

Aujourd’hui, l’Occident et l’Allemagne sont confrontés à un pays, la Chine, qui souhaite s’assurer la domination du monde, et qui s’en donne les moyens, notamment économiques. L’étonnant est que les dirigeants nationaux et européens qui nous ont placé dans cette impasse soient encore là…

La Chine demande à l’Allemagne de choisir entre la sécurité de ses réseaux ou bien celle de ses marchés extérieurs stratégiques. Peut-on parler d’une déclaration de guerre économique ?

Ce n’est pas une déclaration de guerre. C’est plutôt l’explicitation – un peu brutale – d’une réalité : l’Allemagne, et, c’est plus grave, l’UE, sont dans une terrible situation de fragilité à l’égard de la Chine. L’Allemagne, entre 1975 et 2015, avait la France pour premier partenaire commercial. Depuis 2016, c’est la Chine. Cette dernière, en protégeant Huawei, ne fait qu’exercer le pouvoir que les européens et les allemands, par leurs renoncements, lui ont accordé. La servitude est, selon le mot de La Boétie, toujours volontaire. C’est, au fond, la même chose dans le domaine énergétique. Par idéologie, l’Allemagne a décidé d’une sortie brutale du nucléaire après Fukushima, dont l’une des conséquences majeures et une dépendance accrue à l’égard du gaz russe (lequel représente plus de 40% de la consommation allemande). L’une des conséquences est d’ailleurs de rendre impossible tout progrès vers une politique énergétique européenne un peu plus intégrée, et d’accentuer encore la dépendance énergétique de l’Europe à l’égard du reste du monde. On pourrait continuer. 

La Chine elle, n’a pas ces pudeurs, qui conquiert méticuleusement les infrastructures énergétiques européennes, qui a pris des dispositions pour « nettoyer » les administrations publiques de composants électroniques étrangers etc.

L’Allemagne a-t-elle de quoi réagir ? Fait-elle face à son déficit de poids politique sur la scène internationale en se faisant enfermer dans ce genre de dilemmes ?

Que l’Allemagne ait peu de poids politique sur la scène internationale est non seulement un fait : c’est une nécessité. N’avons-nous pas assez appris des erreurs commises par l’Allemagne depuis qu’unifiée au 19em siècle, elle a prétendu s’intéresser aux affaires du monde ? Il est sage pour l’Allemagne de ne pas se mêler de « grande politique » et, effectivement, de se cantonner à un rôle de puissance économique, de puissance civile. C’est d’ailleurs une opinion largement répandue en Allemagne, et pas seulement chez les Verts. Beaucoup d’autres pays européens, eux, devraient s’inspirer de la rigueur de l’Allemagne dans de nombreux domaines du champ économique.

En revanche, il est tout à fait dommageable que, ce faisant, elle entraîne avec elle toute l’Union européenne. Car, tout à sa crainte de voir en particulier son automobile attaquée par les chinois ou les américains, l’Allemagne, qui tient la plupart des leviers européens et notamment la Direction générale du commerce (dont la Directrice générale, Sabine Weyand est allemande), exporte en quelque sorte sa faiblesse. La France, il faut le dire, a eu raison de s’opposer à la conclusion au cours des derniers mois d’un accord commercial « à la va-vite » sous pression américaine. Mais c’est de toute façon reculer pour mieux sauter. Car, fondamentalement, l’Union européenne est trop divisée pour pouvoir mettre rapidement en place ce qui est inéluctable : un puissant protectionnisme européen. N’est pas la Chine ou les Etats-Unis qui veut…

Au total, malgré l’onde de choc provoquée par l’achat de Kuka par l’entreprise d’électroménager Midea, l’Allemagne semble incapable de mettre en œuvre une protection de ses pépites technologiques, se résolvant, de fait, au dépeçage annoncé. Pour s’être crus meilleurs que les Français ou les Italiens, sans manifester de solidarité avec eux, les Allemands, si rien n’est changé rapidement et profondément, sont condamnés à subir, hélas, le même sort : devenir un laboratoire d’incubation pour les technologies que se disputeront les géants américains et chinois…

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