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Parlement ou Haute autorité à la transparence de la vie publique : cette vraie culture du contrôle qui manque à la France
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Contrôle, vous avez dit contrôle ?

Après les révélations sur les "omissions" de Jean-Paul Delevoye, comment expliquer que la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), en charge du contrôle de la déclaration des intérêts des hommes politiques, n'ait pas relevé ces oublis ?

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Un, deux, et trois, et treize, puis finalement quatorze mandats non déclarés pour Jean-Paul Delevoye apprend-t-on depuis quelques jours. La haute autorité à la transparence n'a semble-t-il rien vu de ces mandats omis, qui pour certains, comme son poste de président au Conseil économique, social, et environnement (CESE), étaient pourtant connus...

Comment expliquer que la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), en charge du contrôle de la déclaration des intérêts des hommes politiques, n'ait pas d'elle-même relevé les "omissions" de Jean-Paul Delevoye ? A-t-elle une quelconque efficacité dans sa mission ? 

Christophe Bouillaud : Si l’on suit sa propre présentation d’elle-même à propos de la prévention des conflits d’intérêt, la HATVP aurait sans doute dû détecter assez vite que l’implication, même bénévole, du nouveau ministre dans le monde de l’assurance, posait problème, et cela d’autant plus que son poste de Haut Commissaire, un fonctionnaire de très haut rang,  avant qu’il ne soit nommé ministre cet automne rentrait sans doute dans le champ de son contrôle.  Mais a-t-elle les moyens de mener des investigations en ce sens ? Pour ce qui est des aspects de revenu et de patrimoine, elle est sans doute plus à même de trouver des éventuelles incongruités dans les déclarations, puisqu’elle peut s’appuyer sur les services fiscaux – ce qui n’empêche pas bien sûr des personnes habiles de dissimuler en usant des possibilités de placement à l’étranger. De fait, l’absence de réaction de la HATVP sur les omissions de revenu annexes par le Haut Commissaire, puis par le nouveau ministre, est particulièrement intrigante. 

Pour ce qui est de l’efficacité, ne faudrait-il pas constater qu’après tout Monsieur Delevoye a fini par démissionner ? La création de la HATVP en 2013 correspond à la montée en puissance dans l’opinion publique d’une demande de probité des élus et de contrôle de l’influence des groupes d’intérêt sur la décision publique. Or, grâce au simple fait que Monsieur Delevoye ait omis, « à l’insu de son plein gré » si l’on veut bien le croire sur parole, de bien remplir sa déclaration justement sur un lien possible avec le monde de l’assurance et qu’une journaliste du Parisien ait eu l’information, un scandale est né, et, de fil en aiguille, le personnage a été emporté dans la tourmente – car, à mesure que les jours avançaient, c’est tout le large réseau social de Monsieur Delevoye, accumulé dans des décennies de carrière politique, qui se voyait mis au jour. Cette affaire Delevoye est dans le fond une grande réussite, non pas tant pour le fonctionnement au jour le jour de l’HATVP, que pour l’idée qu’elle incarne : nos politiques et nos hauts fonctionnaires doivent être probes et agir en toute circonstance pour le seul intérêt général. Personne ne peut plus échapper à cet affichage. Probablement, le vieux politicien, né en 1947, qu’est Monsieur Delevoye n’a pas compris que les règles à respecter par un responsable public ont changé ces dernières années – ce déphasage constitue d’ailleurs un argument pour imposer un âge de la retraite aux hauts fonctionnaires et aux élus qui se croient souvent aussi « inoxydables » qu’ « indispensables ».

Par ailleurs, dans le cas d’espèce, avec la révélation de ce lien entre Monsieur Delevoye et le monde des assurances, beaucoup de gens ont eu en quelque sorte une révélation : ils pensaient se trouver face à une réforme des retraites conservant le principe de la répartition, ils ont découvert tout à coup qu’il s’agissait peut-être en fait d’une réforme menant par des moyens détournés vers la capitalisation. On peut bien sûr discuter des mérites respectifs des deux systèmes, mais celui qui est en charge au nom de la communauté nationale de la réforme des retraites ne peut pas être lié à un secteur économique, l’assurance, dont la capitalisation représente l’un des marchés possibles. 

Régis de Castelnau : Je pourrais répondre de façon provocante à votre question relative à la défaillance de la HATVP : « parce qu’elle n’est pas là pour ça ! ». Il faut quand même rappeler que cette « autorité administrative indépendante » qui est venue rejoindre la cohorte impressionnante de ces structures créées à tort et à travers depuis 20 ans, a vu le jour après l’affaire Cahuzac. Comme à chaque fois qu’éclate un scandale mettant en cause la corruption du monde politique, on a fait adopter une loi au Parlement destiné à laver plus blanc, et on a créé des structures soi-disant chargées de contrôler dont on a confié la direction le fonctionnement à de vieux amis politiques. Qui a suivi la création et ensuite l’activité de la HATVP ne peut pas être surpris de ce qui est quand même le scandale dans le scandale. Puisque ceux, dont c’est la mission de contrôler à la fois le patrimoine des hommes politiques et leurs liens avec la sphère privée, ont été tout bonnement défaillants. Ce qui est quand même extraordinaire dans cette affaire, c’est que dès sa nomination le 17 septembre 2017 par le président de la république par un décret pris en conseil des ministres en application de l’article 13 de la Constitution, Jean-Paul Delevoye devait déposer une déclaration complète auprès de la HATVP. L’invraisemblable discordance entre ce que le haut-commissaire aux retraites a produit et une réalité que tout le monde aurait dû connaître ne serait apparu à personne ? Ce n’est pas très sérieux. Cela s’aggrave encore après l’entrée de Jean-Paul Delevoye au gouvernement le 3 septembre 2019 avec la violation grossière de l’article 23 de la Constitution sur les incompatibilités professionnelles qui frappent un membre du gouvernement. Il a fallu que ce soit la presse qui soulève le « lièvre », l’autorité administrative indépendante ayant adopté depuis le début le rythme de la tortue. Le scandale Cahuzac dont tout le monde savait au parti socialiste ses rapports avec l’argent, a fourni à François Hollande toujours tacticien l’opportunité de créer deux structures visant à protéger ses amis et lutter contre ses adversaires. Le PNF tout d’abord dont on a pu vérifier l’étonnante partialité politique à plusieurs reprises, et notamment avec la disqualification judiciaire du candidat de la droite à l’élection présidentielle de 2017. La HATVP ensuite dont la direction a été confiée à un ami politique de toujours, le magistrat en retraite Jean-Louis Nadal. Jusqu’à présent le bilan de l’activité de cette haute autorité est quand même assez maigre, son tableau de chasse n’étant garni que de petit gibier. Emmanuel Macron, issu de la matrice social-libérale et ayant bénéficié d’un soutien massif d’une grande partie du parti socialiste a récupéré à son profit ces deux outils. 

Au fond la seule question face à cette incontestable défaillance est de savoir si l’on est en présence d’une négligence ou d’un oubli volontaire, probablement une synthèse des deux. 

Peut-on espérer réformer la HATVP pour enfin obtenir un véritable contrôle des élites politiques françaises ? 

Christophe Bouillaud : Probablement, cette institution pourrait être renforcée dans ses moyens. Elle doit surveiller, selon ses propres chiffres, près de 15.000 personnes. Par contre, je ne suis pas certain que la présente majorité soit prête à aller beaucoup plus loin que ce qui existe, vu son orientation idéologique. Le point le plus simple à réformer serait déjà de revenir sur le fait que des déclarations de patrimoine des députés et sénateurs sont consultables uniquement en préfecture, alors que le reste des informations rendues publiques se trouvent sur le site de la HATVP. Déjà en 2013, cette exception, permettant certes de faire passer la loi auprès de nos chers élus, avait été vue comme un passe-droit, aujourd’hui elle apparait encore plus incongrue. Nos élus, s’ils croient autant à la République qu’ils le disent, auraient intérêt à comprendre que, s’ils veulent que le niveau de confiance à leur égard augmente – et non pas diminue comme il le fait depuis des décennies -, il faut désormais donner des preuves tangibles qu’ils n’ont pas des choses à cacher. Et s’ils en ont, ce qui peut arriver, eh bien qu’ils prennent leur retraite bien méritée… 

Régis de Castelnau : Non, la voie de l’autorité administrative indépendante est une impasse. Car ce qui est grave dans cette affaire, c’est une fois de plus la démonstration de l’absence dans une partie de la haute fonction publique, de la neutralité et de l’impartialité républicaine. La fusion opérée par Emmanuel Macron de ce que Jérôme Sainte-Marie appelle « le bloc élitaire » a eu pour conséquence le ralliement au pouvoir de ceux dont la mission est précisément de le contrôler et de l’équilibrer. Pour des raisons politiques, idéologiques, sociologiques et économiques, les quatre grands ordres juridictionnels, chapeautés par nos quatre cours suprêmes n’exercent plus véritablement leurs missions. Le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation, le Conseil d’État, la Cour des Comptes sont les grands fournisseurs des cadres qui occupent des fonctions, en général confortablement rémunérées, au sein de ces « autorités administratives indépendantes ». Indépendantes statutairement peut-être, mais impartiales c’est une autre histoire. L’affaire Delevoye et le silence obstiné de la HATVP pendant plus de deux ans démontre le contraire. Le plus grave étant quand même que ce dossier recèle une jolie collection d’infractions pénales, de la prise illégale d’intérêts à la concussion en passant par le faux et usage de faux, et l’abus de bien social. Et que jusqu’à présent cela n’ait pas ému grand monde, surtout que les plus hauts personnages de l’État ont prestement donné leur absolution. Du président lui-même qui regrette le départ de l’étourdi au premier ministre qui évoque sa bonne foi, en passant par Darmanin qui dit qu’il n’y a pas mort d’homme (!), et Nicole Belloubet Garde des Sceaux venue à la radio donner ses consignes au parquet : « Jean-Paul Delevoye n’a pas triché, il n’est pas un tricheur ». Dossier clos, classement sans suite, affaire suivante…

Si les autorités administratives indépendantes sont incapables d'exercer ces contrôles, peut-on espérer du Parlement qu'il exerce son rôle de contrôle du gouvernement et puisse se voir confier la vérification des conflits d'intérêt ? 

Christophe Bouillaud : D’une part, c’est bien sûr le rôle théorique des parlementaires de contrôler le gouvernement. Nous restons dans un régime parlementaire. D’autre part, il est tout aussi évident que la majorité actuelle LREM-MODEM représente la caricature d’une majorité aux ordres du pouvoir exécutif. La plupart des députés de la majorité ont été faits sans aucun poids politique personnel préalable par la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle et par le choix, supervisé par un certain Monsieur Delevoye, de leur candidature au nom de la future majorité présidentielle à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas pour rien que ces mêmes députés se font traiter publiquement par leurs opposants les plus virulents de « Playmobils », ils ressemblent en effet étrangement aux « Godillots » gaullistes - l’expérience politique et militante en moins.  Dans le cadre de notre régime politique tel qu’il fonctionne actuellement, la majorité parlementaire ne contrôle en fait rien, et les minorités peuvent juste publiciser par la voie du débat parlementaire les difficultés en la matière. 

Par ailleurs, ce n’est pas pour rien que le législateur a créé en 2013 une institution ad hoc, c’est un travail que ne peut pas faire un Parlement – sauf partiellement au moins, si l’on créait  pour les Ministres, comme au Parlement européen pour les Commissaires européens, des auditions préalables à leur nomination par les deux Chambres. Par contre, le législateur peut définir encore plus précisément qu’actuellement ce qu’il entend condamner sous ce terme. Il me semble qu’il faut distinguer le conflit d’intérêt et de sa dissimulation. Chacun d’entre nous représente une expérience particulière de la vie, un intérêt, et personne n’a un accès direct et évident à l’intérêt général. Donc, dans le fond, tout le monde se trouve en « conflit d’intérêt », quand il intervient dans l’espace public. C’est la vision pluraliste et libérale élaborée tout au long du XIXème siècle, et personne n’aurait heureusement l’idée aujourd’hui d’interdire aux gens de s’associer pour défendre leurs intérêts communs. Par contre, ce qui est éminemment critiquable, c’est d’avancer masqué, de prétendre agir au nom de l’intérêt général, et de faire l’inverse en ne défendant que son intérêt ou pire celui de quelqu’un qui vous paye ou vous influence discrètement pour cela. 

Enfin, il n’y a pas seulement besoin de lois pour améliorer ce contrôle du conflit d’intérêt. Il faut surtout de la liberté d’expression, une presse libre, et des lecteurs attentifs. Et les fruits pourris tomberont… 

Régis de Castelnau : Ce serait effectivement la voie la plus normale dans une démocratie représentative. Encore faudrait-il que la France dispose d’un véritable Parlement et que la Justice une fois saisie en cas de découvertes de manquements fasse son travail avec impartialité. On rappellera ce sujet tous les classements sans suite à la suite des signalements du Sénat à propos des dépositions devant la commission d’enquête Benalla.

Le couplage du mandat présidentiel et de celui de l’Assemblée nationale a complètement faussé le fonctionnement des institutions. Depuis 2002, les choses se sont encore aggravées, les élections législatives ne sont plus qu’une opération technique visant à donner au président élu les outils lui permettant d’exercer son mandat comme il l’entend. La catastrophe démocratique des élections législatives de juin 2017 qui grâce à une abstention sans précédent, a envoyé des gens recrutés n’importe comment (par Jean-Paul Delevoye précisément…) garnir les bancs du Palais Bourbon a transformé le principal organe législatif, non pas en assemblés de godillots mais en simple bureau d’enregistrement des desideratas de l’Élysée. Cette situation a permis à Emmanuel Macron de fusionner pouvoir législatif et pouvoir exécutif. Et le ralliement à ce dernier de la Justice démontré par la répression du mouvement social des gilets jaunes, fait que prétendre que le régime actuel de notre pays repose sur la séparation des pouvoirs et une plaisanterie. 

Alors, si le Parlement français était rénové et l’Assemblée nationale restaurée dans sa mission et ses fonctions, il est assez clair que des commissions parlementaires conjointes Assemblée nationale/Sénat serait probablement la voie à explorer.

Malheureusement, Emmanuel Macron n’en a aucune envie. Comme l’établit l’épisode de la proposition de Sylvie Goulard au poste de commissaire européen, où le président de la république a dit ne pas comprendre le refus du Parlement européen d’une candidature d’une personne encombrée de casseroles notoires. Et avait déjà dû quitter son poste de ministre de la défense pour cela…

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