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Comment Daech est né sur les décombres de l'Etat irakien
©REUTERS/Stringer

Bonnes feuilles

Kader A. Abderrahim et Victor Pelpel publient "Géopolitique de l'état islamique : 40 fiches illustrées pour comprendre le monde" aux éditions Eyrolles. Comment Daech s'est-il imposé au Moyen-Orient ? Comment les Etats luttent-ils ? Cet ouvrage aide à y voir plus clair. Extrait 1/2.

Victor Pelpel

Victor Pelpel

Victor Pelpel est collaborateur du directeur de l'IRIS. Diplômé en Affaires internationales et développement à l'université Paris-Dauphine, il s'intéresse particulièrement aux enjeux stratégiques au Moyen-Orient et en Amérique latine.

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Kader Abderrahim

Kader Abderrahim

Kader A. Abderrahim est maître de conférences à Sciences Po, directeur de recherche à l'IPSE et Senior Advisor au Brussels International Center (BIC). Il est également membre du Global Finder Expert des Nations unies qui vise à faire des recommandations au Secrétaire Général de l'ONU sur le dialogue des civilisations et le rapprochement entre le Sud et le Nord.

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La création de l’état islamique n’est pas un accident de l’Histoire. Elle est la conséquence de facteurs multiples, aussi bien sociaux, politiques, stratégiques qu’économiques. L’intervention militaire américaine de 2003 a provoqué une dislocation des institutions et une déstructuration sociale entre les différentes tribus et les communautés religieuses. Daech se constitue alors sur les décombres de l’État irakien. Ses dirigeants se sont rencontrés dans les prisons de l’armée américaine où ils avaient été envoyés pour avoir participé à la résistance à l’occupation ; la plupart d’entre eux sont des membres importants du réseau Al-Qaïda. C’est le cas d’Abou Bakr alBaghdadi qui estime qu’il faut passer à un autre stade et internationaliser la lutte contre les Occidentaux. Au-delà de l’Irak, ce sera la Syrie puis les attentats sur le sol européen. 

LA FRUSTRATION DES SUNNITES D’IRAK 

Les ingrédients de la naissance et de l’expansion de Daech ne sont pas seulement d’ordre militaire. Ils reposent sur une frustration qui ne cesse de nourrir la haine à l’égard des Américains et du pouvoir chiite mis en place à Bagdad. Après leur éviction des affaires de l’État, les élites sunnites sont soumises à un harcèlement constant et doivent souvent choisir l’exil. Cette « fuite des cerveaux » a très vite signifié la fin de l’espoir d’une intégration des sunnites dans le nouveau système politique irakien. 

L’un des principaux responsables de cette situation est Nouri al-Maliki, Premier ministre de 2006 à 2014, qui après deux mandats n’a plus que des adversaires : sa propre majorité au Parlement, les sunnites qui ont subi une répression implacable, les Kurdes d’Irak, et ses alliés occidentaux. Nouri al-Maliki est accusé d’autoritarisme, de corruption, et de favoriser exclusivement les chiites. Les Irakiens l’ont surnommé « le deuxième Saddam  », une comparaison peu flatteuse qui donne une idée du niveau d’exaspération qu’il a nourri dans tout le pays. Finalement, alors qu’il postule à un troisième mandat, Al-Maliki est rejeté par sa majorité. Ses anciens alliés américains s’étaient depuis longtemps détournés de cet idéologue forcené. Préoccupé par la situation sécuritaire, l’Iran a lui aussi fini par prendre ses distances vis-à-vis de l’ancien chef du gouvernement irakien. Le bilan est atterrant : une partie des sunnites enrôlés en 2006 par l’armée américaine dans des milices formées pour combattre Al-Qaïda comprennent qu’ils ne seront pas intégrés dans la police ou l’armée régulière. Beaucoup d’entre eux, marginalisés et sans ressources, choisissent de rejoindre les rangs de Daech. 

LA CONSTITUTION D’UNE STRUCTURE ÉTATIQUE

C’est sur la dénonciation de la corruption des élites et sur l’alimentation de la frustration de la population, notamment sunnite, que Daech va développer sa propagande. Ainsi, l’organisation rend publiques les images des richesses accumulées par certains hauts responsables du régime. L’effet produit est double : il renvoie aux grandes mobilisations populaires de 2010-2011 (notamment en Tunisie après la diffusion d’images tournées dans le palais de Ben Ali), mais également à l’arrivée des soldats américains dans le palais de Saddam Hussein. La frustration alimente l’humiliation, et inversement. Après sa victoire à Mossoul en juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi proclame le califat sur les territoires conquis en Irak et en Syrie, califat qui prend le nom d’état islamique. Les dirigeants de Daech font exécuter publiquement les représentants du gouvernement de Bagdad et les instigateurs de la corruption avant de remettre le pouvoir entre les mains des chefs de tribus et des notables locaux. L’organisation rétablit les services publics, ordonne le réapprovisionnement des marchés, le nettoyage des rues, et assure de nouveau la sécurité. La gouvernance de Daech prend le relais d’un État qui avait délibérément abandonné les régions sunnites. 

Les chefs de l’organisation peuvent alors déployer le projet qu’ils nourrissent depuis 2006 lorsqu’ils ont constitué une coalition de groupes terroristes appelée «  l’alliance des embaumés  » (hilf al-mutayibin), avant la création de « l’état islamique en Irak » (Dawlat islamiya fil Irak). Sur le plan conceptuel, Daech conteste l’idée de gouvernement, de souveraineté et même d’identité nationale. Les théoriciens de l’organisation pensent le monde arabe à travers un prisme exclusivement islamique et tous ses habitants comme appartenant à l’Oumma (la communauté des croyants). Ceux qui refusent de se soumettre à cette vision sont traités en ennemis. 

Daech est très visible par ses actions, mais il reste un mouvement clandestin, contraint à la méfiance et à une défense constante de ses positions. Daech a réussi de façon fulgurante à passer d’une organisation qui participe à l’insurrection irakienne à un proto-État. Ainsi, à partir de 2014, Daech est solidement implanté à cheval sur deux pays, l’Irak et la Syrie. De facto, les frontières n’ont plus la même valeur.

FOCUS

La majorité de la population irakienne (63%) est de confession chiite, tandis que 33 % sont sunnites. La chute de Saddam Hussein, qui permet aux chiites de récupérer le pouvoir et exclut les sunnites, relance les tensions ethniques et cultuelles. L’Irak voit également la minorité kurde (20 % de la population, très largement sunnite) réclamer son indépendance : un référendum, non reconnu par Bagdad, s’est tenu en 2017. Le pays, par sa structure ethnoreligieuse, reste au cœur des tensions régionales. Les pays du Golfe, au premier rang desquels l’Arabie saoudite, craignent plus que tout l’influence de l’Iran, proche du pouvoir chiite de Bagdad. La survie de l’Irak en tant qu’État ne tient donc qu’à l’absence d’accord régional et international sur son éventuelle disparition. Daech aura finalement été le seul acteur à enterrer complètement l’idée d’État irakien.

A RETENIR

Pris dans une spirale incontrôlable faite d’enjeux régionaux et de rivalités stratégiques, l’Irak est depuis près de quarante ans le théâtre de guerres successives : guerre contre l’Iran (1980-1988), guerre du Golfe (1990-1991), occupation américaine (2003), dislocation de l’État irakien et guerre civile (20052008), guerre confessionnelle sunnites/chiites, sans oublier la féroce répression du régime de Saddam Hussein pendant qu’il dirigeait le pays (1979-2003). L’exclusion des sunnites de toutes les administrations a achevé de casser la société irakienne. Le résultat a mené à la constitution de l’état islamique sur les terres, généralement sunnites, abandonnées par l’État central irakien.

Extrait du livre de Kader A. Abderrahim et Victor Pelpel, "Géopolitique de l'état islamique : 40 fiches illustrées pour comprendre le monde", publié aux éditions Eyrolles. 

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