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Royaume-Uni : des législatives parties pour marquer l’histoire
©DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

1979 all over again

Les Britanniques votent, ce jeudi, pour renouveler les 650 membres de la Chambre des communes. A l'issu du vote, Boris Johnson pourrait rester en poste ou se voir remplacer par son adversaire du parti Travailliste, Jeremy Corbyn.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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La fin de la prédominance des débats économiques

L’anecdote est restée célèbre. Durant la campagne présidentielle américaine de 1992, James Carville, stratège politique de Bill Clinton avait écrit sur un écran pour l’équipe de campagne: « The economy, stupid !». Avec « le changement » et « la santé », c’était un des trois piliers de la campagne. C’est celui qu’on a retenu. Bill Clinton utilisa, en effet à son avantage la petite récession dans laquelle était entrée l’économie américaine pour empêcher la réélection de George Bush senior. Surtout, on était au début de quinze années qui ont repoussé les limites du possible, en termes d’exubérance financière et de mondialisation, avant que la crise de 2007 et 2008 ramène brutalement les sociétés occidentales à la réalité. Dans ces quinze années, il a semblé qu’il n’y avait plus de débat politique. Conservateurs et sociaux-démocrates étaient devenus libéraux. Le slogan de Margaret Thatcher, « There Is No Alternative » avait été détourné de son sens (l’ancien Premier ministre britannique voulait sortir de la dictature des syndicats et de l’étatisme de l’après-guerre) pour signifier qu’il n’y avait plus qu’une politique économique possible, celle des « marchés », de l’austérité budgétaire, des privatisations tous azimuts, de la désindustrialisation des pays avancés au profit des pays émergents à faible coût de la main d’oeuvre. 

Pour résumer la campagne électorale britannique qui s’achève ce jour, on pourrait au contraire forger le slogan « Politics, stupid! ». Après les trois coups du nouveau spectacle que fut la campagne présidentielle française de 2007 - épisode suivi d’un feu de paille -, l’élection de Donald Trump en 2016, l’installation durable de Viktor Orban aux commandes de la Hongrie ou la propulsion, apparemment sans lendemain, de Matteo Salvini au coeur du jeu politique italien, l’élection au Parlement britannique, troisième du genre en quatre ans, marque définitivement le retour de la politique ! 

Trois ans et demi où les dirigeants britanniques et européens ont fait la sourde oreille

Le peuple britannique, voici trois ans et demi, s’est prononcé politiquement, pour la sortie de l’Union Européenne. Mais les partenaires de la Grande-Bretagne et la classe politique britannique - au moins pour partie - ont voulu rester dans les coordonnées de « The economy, stupid ». Il faut se souvenir des crises de nerfs dans les classes moyennes supérieures britanniques au petit matin, le lendemain du référendum; ou les airs profonds que prenaient les Européistes de tous bords pour vous expliquer que le Brexit ne se ferait jamais. Nous voici trois ans et demi et des centaines d’heures de débat parlementaire britannique plus tard, le peuple britannique n’a pas cédé; en 2017, lors des élections déclenchées par Theresa May, il a fait confiance aux hommes politiques conservateurs et travaillistes qui lui promettaient de respecter le résultat du référendum. Deux ans plus tard, aux élections européennes, il a voté un sévère avertissement à ces deux grands partis, s’abstenant ou bien votant plutôt pour le Brexit Party et les Libéraux-Démocrates que pour les piliers traditionnels du parlementarisme britannique incapable de tenir leur parole. 

Sans préjuger du résultat de ce 12 décembre 2019, on peut d’ores et déjà constater un fait très simple: Boris Johnson a revigoré les Conservateurs, qui dépasseront les 40%. Il y a réussi, d’abord en rouvrant le jeu avec Bruxelles. On disait l’accord obtenu par Theresa May impossible à renégocier. L’Union Européenne souriait d’aise d’avoir enfoncé, avec le backstop, un coin dans le Brexit: la question nord-irlandaise était instrumentalisée à la sauce technocratique. Boris Johnson a fait de la politique: il a parlé avec le Premier ministre irlandais, il a tenu tête à Angela Merkel, ignoré les roulements de mécaniques d’Emmanuel Macron et décidé du calendrier de ses rencontres avec les chefs d’Etat et de gouvernement sur le continent. Et l’Union européenne a cédé, renonçant à la clause qui voulait maintenir indéfiniment l’Irlande du Nord dans l’union douanière européenne; le Parlement britannique a voté l’accord révisé, avant de refuser de voter les lois d’application; alors Boris Johnson a obtenu la dissolution du Parlement et de nouvelles élections. Tout cela a l’air linéaire; c’est plutôt le résultat de la plus impressionnante action politique de ces dernières années; la plus limpide aussi: le Conservateur Johnson a simplement décidé d’ignorer TINA (« There Is No Alternative »), une formule qui est la négation de la politique et donc de la démocratie. 

La politique est de retour

Nous verrons bien ce soir si Johnson a gagné son pari d’un retour définitif de la politique au coeur du jeu. Mais remarquons comme la vie politique britannique est à nouveau polarisée selon des termes politiques et non plus seulement sociologiques. Aux élections européennes de mai 2019, on avait pu penser que la Grande-Bretagne était rattrapée par la maladie des démocratie, dont nous connaissons bien le cycle, à présent: fin du débat au sein des élites, qui organisent d’abord une fausse alternance puis un grand parti du centre; organisation en miroir d’un populisme qui se veut transversal, lui aussi à la droite et à la gauche. Le malaise de nos pays, la crise de la politique viennent de là. Or la réconciliation entre les « nomades de la mondialisation » (les Anywheres de Goodhart) et les « enracinés » (les « somewheres ») que Boris Johnson essaie de faire aboutir chez les Tories a produit en retour une repolarisation opposée autour du Labour. Jeremy Corbyn incarne une politique très à gauche; il a vu aussi venir à lui des électeurs Remainers, ce qui explique qu’il ait fait remonter le parti au-dessus de 30%. S’il échoue ce 12 décembre, le Labour entrera dans une profonde crise; mais elle sera salutaire car le parti, tout en ayant le groupe le plus important après les conservateurs, sera obligé de se redéfinir. 

Les élections politiques britanniques de 2019 représentent bien une césure aussi importante que 1945 - l’avènement de l’Etat-Providence; et 1979 - le début du néolibéralisme thatchérien. Les césures britanniques surgissent toujours à des moments où les élites ont cessé de faire de la politique (l’union nationale du temps de guerre; le consensus étatiste paralysant des années 1970; le règne de TINA aujourd’hui). Sauf imprévu, la Grande-Bretagne entre demain pour une génération dans un nouveau cycle politique. 

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