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OMC : le système d’arbitrage des conflits commerciaux poussé à la panne sèche par les Etats-Unis
©Fabrice COFFRINI / AFP

Vers des guerres commerciales sans issue ?

Le conseil général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se réunit du lundi 9 au mercredi 11 décembre. Depuis des mois, l’administration américaine se refuse à nommer de nouveaux juges au sein de l’Organe de règlement des différends (ORD), la "cour d’appel" de l'OMC.

Bernard Carayon

Bernard Carayon

Bernard Carayon est ancien député du Tarn, maire (LR) de Lavaur, Avocat au barreau de Paris. 

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Atlantico.fr : Les américains bloquent le renouvellement des juges-arbitres de l’instance d’appel de l’OMC (2 juges sur 3). Cela affaiblit le rôle de cette "cour internationale" dans le règlement des litiges, pourtant un des rôles clés dévolus à l’OMC.

L'OMC fut créée en 1994 dans la lignée du GATT. A ce titre elle constitue la plus pure expression de la vision anglo-saxonne du commerce international après-guerre. Pour quelles raisons revenir dessus ? 

Bernard Carayon : L’OMC a été créée dans le but de consolider la libre-circulation des marchandises et des capitaux à une époque où la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique laissaient penser que le monde allait se réunifier sous l’empire des lois économiques. C’est l’époque de la « mondialisation heureuse » et du primat de l’économie. C’est aussi l’époque où les Etats-Unis forcent tous les pays à ouvrir leurs marchés, « y compris à la barre de fer » pour reprendre les mots de Madeleine Albright ! C’est la traduction d’un libéralisme pur et dur et sans nuances : consommation, individualisme et ouverture des marchés en surmontant les règles de souveraineté nationale. Nées pour s’en affranchir, dans la lignée du GATT, les institutions comme l’OTAN et l’OMC sont en situation de « mort cérébrale », à l’instar de l’ONU. Leur crise traduit leur impuissance et l’obsolescence de leur organisation autant que les contradictions internes de leurs communautés. Elles sont devenues ainsi des facteurs bloquants pour les Etats-Unis qui ont fait le choix de les contourner, formellement ou fondamentalement, tout en mettant en place de nouvelles méthodes de coercition sur leurs alliés ou rivaux. 

Quel est le pouvoir de nuisance/blocage des États-Unis sur cette institution ? Le gouvernement américain souhaite-il à moyen terme faire voler en éclat l'institution qu'ils ont eux-mêmes créés ? Le peuvent-ils ?

Il faut d’abord savoir que Trump n’est pas le premier président à avoir bloqué la nomination de juges à l’ORD, c'est aussi Obama ! L’un et l’autre s’appuient sur des arguments fallacieux. Tout à tour ils ont estimé que les juges étaient trop bien payés -argument assez rarement utilisé dans les pratiques américaines du business- et d’autre part, ont fustigés les dépassements systématiques des délais de traitement des affaires (3 mois). Autant de prétextes qui traduisent l’abandon latent, puis aujourd’hui explicite, du multilatéralisme aussi bien commercial que politique. En bloquant la nomination des deux juges sur les trois qui subsistaient dans le bureau de l‘ORD initialement composé de sept, les américains sclérosent totalement un système dont ils ont dicté les codes de conduite et les règles de fonctionnement. 

C’est la traduction de la dichotomie idéologique fondamentale des Etats-Unis, au service de leurs intérêts, qui ne date pas d’hier. Ainsi, lors du dernier discours sur l’état de l’Union de l’administration Clinton, ce dernier, pourtant Démocrate et loin d’être le stéréotype du « Faucon », dît bien clairement que l’ambition des Etats-Unis est d’obtenir la « suprématie mondiale ». Ce n’est pas un terme de Libéral ! C’est une revendication d’hégémonie qui est même aux antipodes de la pensée libérale. Les discours de ce type sont multiples, comme les propos de Brezinski dans son ouvrage « Le grand échiquier » et la nécessité de tenir solidement les « vassaux ». Les Américains ont construit une politique économique internationale destinée à exercer cette politique de suprématie, à la disposition de leurs services de renseignement et de leurs entreprises en particulier stratégiques. Les faits sont probants et d’ailleurs l’histoire de l’interventionnisme politique US dans l’économie est ancienne : en 1933 le « Buy American Act » de Roosevelt, auquel succède la « Small Business Administration » en 1955,  puis la loi sur le CIFIUS en 1975 par le président Ford qui inaugure également, au passage, le concept d’extraterritorialité du droit américain. On peut citer la loi sur le secret des affaires dont je m’étais inspiré en portant une proposition de loi : le COHEN ACT en 1996. En 1999, on assiste à la création d’un Fonds d’investissement par la CIA : In-Q-Tel. Il est destiné à servir autant les services de renseignement que les grandes compagnies commerciales des Etats-Unis. Enfin on ne peut omettre de mentionner le « Patriot Act » qui met à disposition les données personnelles aux services de renseignement autant dans la perspective du contre-terrorisme que dans celle des intérêts commerciaux américaines. On pourrait multiplier à l’envi les exemples.

Pour résumer, les Etats-Unis imposent à leurs partenaires des règles libérales dont ils s’exonèrent si souvent de l’application.

Que nous dit cet épisode sur la réalité des rapports de forces géoéconomiques mondiaux et leurs évolutions ? 

C’est la défaite de Fukuyama et sa théorie sur la « fin de l’histoire ». C’est aussi la défaite des thuriféraires de la « mondialisation heureuse » d’Alain Minc et la victoire de Samuel Huntington et de son « Choc des Civilisations », aussi bien sur le plan religieux que sur le plan politique :  c’est le retour des rapports de force au détriment des velléités de pacifications nées à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, c’est le retour des Etats et de l’« éloge des frontières » pour reprendre l’expression de Régis Debray. Le mot souveraineté fait un retour en force. Au sein même des formations politiques qui se réclament d’une forme de libéralisme. Ainsi Gérald Darmanin invoque la souveraineté pour lutter contre les déficits publics ou plus anciennement, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, qui parlait de souveraineté numérique. Cet évènement qui secoue l’OMC n’est qu’un épiphénomène alors que certaines élites françaises ont fait le deuil depuis longtemps de la protection de nos intérêts nationaux. Plusieurs de nos grands groupes ont été abandonnées à nos concurrents étrangers : Pechiney, Arcelor, Technip, Alstom et aujourd’hui Latécoère. Elles se sont soumises sans protester à l’extraterritorialité du droit américain dont ont fait les frais plusieurs de nos banques…Voilà même la DGSI qui renouvelle sa confiance à la société américaine d’exploitation de données Palantir, créée par la CIA. Ce sont ces mêmes élites dirigeantes qui passent du côté de nos rivaux : Barroso chez Goldman Sachs, JC Trichet chez Pimco, Borloo conseillant Huawei ou encore JP Raffarin qui va jusqu’à justifier le système Chinois de surveillance des populations au nom de la lutte contre la pollution…. On ne contestera pas le droit de chacun à travailler pour une entreprise étrangère mais il est en revanche particulièrement grave de se mettre au service de nos concurrents les plus redoutables lorsque l’on a exercé des fonctions ministérielles, des responsabilités de haut-fonctionnaires dans des ministères régaliens ou dirigé des entreprises stratégiques mariées avec les intérêts de l’Etat. 

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