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Pourquoi la possibilité de baisser le point de retraite est en fait une mesure de justice sociale
©Thomas SAMSON / AFP

Equité générationnelle

Le débat autour du système par points tourne souvent autour de ce qu'il signifierait pour les retraités. L'intervention de François Fillon devant les membres de la Fondation Concorde en 2016 est beaucoup partagée ces derniers-jours : l'ancien candidat à la présidentielle évoque l'intérêt d'une réforme par points, qui consisterait à pouvoir ajuster facilement la valeur du point et donc à faire baisser les pensions.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Dans quelle mesure cette facilité du système par points de moduler la valeur du point peut-il être aussi considéré comme juste pour les actifs, qui n'ont pas à subir les problèmes liés à la conjoncture économique ? 

Eric Verhaeghe : La baisse des pensions permet de stabiliser le coût global consacré à la retraite. Une étude de France Stratégie menée il y a quelques mois rappelait que la dépense en matière de retraites représentait environ 14% du PIB, ce qui fait de la France la championne des pays industrialisés sur ce chapitre. On n'a pas assez dit que cette étude préparatoire est au coeur de la réflexion sur la réforme systémique. Le projet d'Emmanuel Macron est de limiter la dépense en matière de retraites à 14% du PIB. Avec le système qu'il veut mettre en place, les retraites baisseront s'il le faut pour être contenues à ce seuil haut. L'argumentation qui le justifie ne manque pas de logique. Elle repose sur l'idée que la cotisation de retraite est du salaire différé dont la stabilité globale doit être maintenue dans le temps. En liant le montant des retraites au PIB, Emmanuel Macron garantit une forme d'équité intergénérationnelle, qui est surtout protectrice pour les futurs actifs. On sait de cette façon qu'à un moment donné, les retraités ne bénéficient pas d'une part de la richesse nationale supérieure à celle de leurs successeurs. On sait aussi, de cette façon, que la solidarité intergénérationnelle ne consiste pas à ponctionner toujours plus les actifs pour maintenir le niveau de vie des inactifs. 

Au passage, on notera que, par une bizarrerie de notre époque, cette idée selon laquelle il n'est pas juste que les retraités ne subissent pas les mêmes aléas économiques que les actifs ne coule pas de source... pour les retraités, qui trouvent tout à fait normal de préserver leur niveau de vie, dussent-ils saigner à blanc tous ceux qui financent leur retraite. On a vu combien il était délicat d'avancer cette explication à l'occasion de la hausse de la CSG, où les retraités considéraient qu'ils fournissaient suffisamment d'efforts pour ne pas être ponctionnés en plus. Du point de vue de la stricte équité, leur position était fort discutable, dans la mesure où la CSG sert essentiellement à financer l'assurance maladie. Et les retraités sont beaucoup plus dépensiers en matière de maladie que les autres catégories de la population. Malgré cette rationalité, rien n'y a fait et Macron s'est fait détester en augmentant la CSG des retraités. 

Plus globalement, le système par points ne permet-il pas de mettre en place une flexibilité, nécessaire puisque l'équilibre du système par répartition doit de toute façon être ajusté chaque année ? 

Tout le débat est bien là, et repose sur une grande illusion, à mon avis. Le système par points permet effectivement d'ajuster chaque année les dépenses de retraite. Vous m'aviez interrogé il n'y a pas longtemps sur l'utilisation que les Suédois ont pu faire de cette facilité. On remarquera que nous possédons à peu près la même en France avec l'AGIRC-ARRCO, qui est aussi un système de répartition par points. Facialement, la mécanique de pilotage permise par le système confie aux administrateurs du dispositif le soin d'équilibrer eux-mêmes le régime, par des décisions techniques qui ne supposent pas d'arbitrage politique. Dans le système proposé par Macron, c'est un conseil d'administration partagé avec les organisations syndicales qui remplira cette fonction. Le Président a l'impression de "tenir" les syndicats de cette façon, et de s'assurer de leur soutien à des mesures impopulaires. 

Le problème est que la réalité est beaucoup plus compliquée que cette vision en chambre. Avant le plan Juppé, la sécurité sociale française était administrée paritairement, et l'Etat n'y avait pas son mot à dire. Ce fut une catastrophe car les syndicats refusaient d'endosser la responsabilité des mesures impopulaires. Le plan Juppé a créé les lois de financement de la sécurité sociale, et a placé les régimes de sécurité sociale sous l'autorité directe de la direction de la sécurité sociale. Cette évolution n'a rien changé, si ce n'est que les mesures d'équilibre sont définies au Parlement, et non dans les régimes. Les syndicats s'entendent pour voter chaque année contre les mesures d'économie apportées par le gouvernement au sein des conseils d'administration.

Il n'y a aucune raison pour que le système futur échappe à cette fatalité. Soit la mission d'ajuster les retraites sera confiée aux partenaires sociaux, et on peut être sûrs qu'elle ne sera jamais menée à bien. Soit le gouvernement devra se substituer aux partenaires sociaux pour faire le sale boulot, et il les trouvera dressés devant lui. 

Pourquoi cet intérêt du système par points n'est-il pas plus défendu dans l'opinion, notamment par les actifs ? 

Une première raison pour laquelle les avantages du système futur ne sont pas défendus par ceux qui y ont le plus intérêt tient au manque de lisibilité de la réforme, et au manque d'explication du gouvernement. Rappelons que la CFDT a conditionné son soutien à la réforme dans des termes qui empêchent cette explication. Depuis plusieurs semaines, Laurent Berger explique que la mise en place d'un système par points ne doit pas servir de prétexte à des mesures d'économie. Dans le cas contraire, il a d'ores et déjà annoncé qu'il ne soutiendrait pas le projet et qu'il rejoindrait la contestation. Ce faisant, il a puissamment coupé l'herbe sous le pied d'Emmanuel Macron et d'Edouard Philippe. Les deux, pour éviter de se fâcher avec la CFDT, ont dû accepter de ne jamais parler de maîtrise des dépenses. Ils ont donc renoncé à un argument qui pourrait convaincre les cotisants. 

Dans la pratique, tout le monde sait que la réforme par points permet de faire des économies. Mais... par ce tabou qui s'explique d'abord par le comportement syndical irresponsable en France, le gouvernement refuse de le dire et de l'expliquer. Il en assume aujourd'hui les conséquences. 

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