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Otan : avec des amis comme les nôtres, nous n’avons pas besoin d’ennemis
©Tatyana ZENKOVICH / POOL / AFP

Amis, amis ?

Entre Washington et Paris, les choses sont pour le moins tendues. A lors qu'Emmanuel Macron et Donald Trump sont ce mardi à Londres pour les 70 ans de l'Otan, les relations entre les deux chefs d'Etats sont loin d'être au beau fixe.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les relations France - États-Unis sont historiques depuis que le marquis du Motier de La Fayette a contribué à la création de cet immense pays entre 1775 et 1783. Les Américains sont venus ensuite aider nos anciens lors des deux guerres mondiales, une première fois en 1917 (pour mémoire, la guerre avait débuté en 1914) puis juste après avoir été directement attaqués à Pearl Harbor par les Japonais le 7 décembre 1941 (la guerre avait débuté en 1939). Que ces propos ne soient pris à contresens ; je mesure ce que nous devons aux GI’s qui ont tout quitté pour venir mourir sur le sol européen sans vraisemblablement bien comprendre ce qui leur arrivait.

Ensuite, la France est intervenue dans le cadre de l’ONU en 1950 lors de la Guerre de Corée. La contribution a été limitée (un bataillon)  mais l’armée française était alors mobilisée en Europe face à la menace soviétique et ses unités professionnelles servaient en Indochine. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Washington qui voyait d’un très mauvais œil les "puissances coloniales" ne nous a pas particulièrement aidé durant ce conflit (et c’est même un euphémisme). En Algérie et à Suez, cela a été pareil. Tout contents d’avoir "récupéré" le Vietnam suite au départ de la France d’Indochine en 1955 après la défaite de Diên Biên Phu, leurs résultats ont été à la hauteur de leurs ambitions : un retrait lamentable et honteux en 1975.

Cela n’a pas empêché la France de participer aux côtés des Américains à la première guerre du Golfe pour libérer le Koweït en 1990-1991 (opération Daguet, 19 000 hommes, 15 navires, 60 avions, 120 hélicoptères, 40 chars de combat, 700 blindés légers, 18 pièces d'artillerie).

Ensuite, à l'appel de ses dirigeants, le peuple américain a été rendu furieux vis-à-vis de la France qui n'est pas intervenue lors de l’invasion de l’Irak de 2003. Le président Jacques Chirac bien informé par ses services de renseignement, avait compris que les prétextes avancés par Washington était totalement faux : la possession d’armes de destructions massives et le soutien à Al-Qaida par Saddam Hussein. Il a alors pris une des seules décisions courageuses de son mandat : ne pas s’aligner pour ne pas cautionner le principe de l’"intervention internationale". Par contre, il s’est ensuite confondu en "excuses" car déjà les États-Unis prenaient des mesures coercitives de représailles sur le plan économique, c’est une des grandes spécialités de cette démocratie qui tape au portefeuille pour sanctionner ceux qui ne sont pas dans sa ligne. Cela plait d’ailleurs beaucoup aux hommes d’affaires US qui voient ainsi écarter des concurrents qui pourraient se révéler gênants.

Les États-Unis continent d’ailleurs à considérer l’Europe en général et la France en particulier, comme un ennemi économique qu’il convient de pourrir de l’intérieur tout en donnant des leçons de "démocratie" (en aparté, il conviendrait aussi que la France cesse de donner des leçons de "morale universelle" conçue par des intellectuels de Saint-Germain des Prés). Le président Trump vient de faire un discours en marge du sommet de l’OTAN de Londres en affirmant que les déclarations du président Macron considérant l’OTAN en état de "mort cérébrale" comme "inamicales". Plus fort, il a raillé l’économie française qui « va mal » (il n’a pas tort mais les États-Unis participent largement à cet état de faits par une guerre commerciale déséquilibrée n’hésitant pas à distribuer des amendes astronomiques aux sociétés françaises qui n’ont pas respecté la Pax Americana ou en emprisonnant des hommes d’affaires qui sont allés contre leurs intérêts. Point de négociations possibles avec eux si l’on ne se soumet pas à leur bon vouloir. Le "complexe du sheriff". Il a également évoqué la gestion de la crise des Gilets Jaunes. Pour un pays qui se plaint des actions d’entrisme (russes et chinoises) dans sa politique intérieure, il y a là sujet à question. Les professionnels du renseignement savent bien quelle influence les États-Unis ont toujours joué à l’extérieur, même avec des pays déclarés "amis". Point ne leur est besoin d’utiliser l’une de leurs 17 agences de renseignement, les ONG financées pour partie par le Congrès font l’affaire.  En retour, est-ce Paris va dénoncer sur la place publique la politique US vis-à-vis de sa population hispanique (le fameux "mur" entre le Mexique et les États-Unis) ou afro-américaine ? Qu’en est-il des massacres à l’arme à feu et des dérives de l’extrême-droite via les survivalistes ? Va-t-on parler du crime organisé (mafias italo-américaines, irlandaise, gangs de rues, cartels latino-américains, bandes de motards, etc.) tout puissant sur le sol américain qui nuit à l’ensemble de la planète ? En un mot, les leçons de morale données par le président Trump sont plus que malvenues sans entrer dans la polémique certes intérieure qui concerne sa propre mise en cause judiciaire actuelle… À titre personnel, je trouve également que c’est un grossier personnage machiste mais cela ne regarde que moi. Ce sont les citoyens américains qui l'ont élu et qui auront éventuellement à le refaire. Il convient de respecter leur choix. 

Mais ces dernières années, la France s’est comportée en bon vassal des États-Unis, voire a devancé ses desideratas par exemple en Libye où elle a fait le "sale boulot". La réintégration dans la structure intégrée de l’OTAN a même été considérée comme un succès de la diplomatie américaine au prix de quelques postes de responsabilité attribués à des officiers généraux français ravis de l’aubaine. Je ne veux pas faire référence à l’ "héritage gaulliste" car ceux qui s’en revendiquent ne l’ont généralement même pas rencontré. Mais le président Macron tente de suivre une voie comparable en se plaçant entre Washington, Moscou et Pékin et ce, dans l’intérêt de ses concitoyens dont il doit défendre les intérêts. Ce qui embête Washington, c’est que la France est encore une puissance nucléaire indépendante (à la différence de Londres, la clef britannique de ces armes étant à Washington), pas que nous allions nous "fritter" avec eux, mais cela résonne comme une indépendance qui déplait dans les cercles américains néoconservateurs.

Mais dans ce domaine, Washington désigne à la vindicte mondiale l’Iran et la Russie. Certes, leurs dirigeants sont tout sauf sympathiques. Un dîner avec les présidents Poutine et Xi Jinping ne doit pas pousser à la franche rigolade… Mais comme d’habitude, Les États-Unis exagèrent considérablement la menace - sans doute avec des arrières pensées électoralistes internes - mais ils veulent nous entraîner avec eux. Pas d’angélisme dans cette réflexion, Moscou et Téhéran ne sont pas favorables aux intérêts européens, les deux capitales défendant les leurs propres et c’est tout à fait logique. Mais à la France, éventuellement suivie par d’autres pays européens qui ne sont pas systématiquement aux ordres de Washington, de faire entendre sa voix. Je sais ce que l’on va répondre : les Américains ne nous soutiendront plus au Sahel (ce qu’ils font effectivement avec une grande efficacité à l’heure actuelle). Mais il faudra bien interrompre un jour ce chantage perpétuel ou alors accepter de ne plus être qu’une "colonie" US.

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