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Réforme des retraites : le tabou de la natalité
©Reuters

Alerte enlèvement sur la politique familiale

L'une des origines du déséquilibre du système des retraites est lié à la démographie. La croissance du taux de natalité permettrait de compenser l'allongement de la durée de la vie.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico.fr : Alors que la réforme des régimes de retraite semble conduire le pays vers une crise sociale majeure, il semble nécessaire de rappeler qu'une des origines du déséquilibre du système est démographique, et que certaines solutions politiques peuvent se trouver de ce côté-là.

Qu'est-ce qui a participé, en France et en Europe, à la dégradation du ratio de dépendance démographique (qui mesure le rapport le nombre de personnes en âge d'être à la retraite et le nombre de personnes actives) ? 

Laurent Chalard : Plusieurs facteurs sont à l’origine de la dégradation du ratio de dépendance démographique en France et en Europe, d’ordres structurel et conjoncturel.

Le premier facteur structurel, le plus important de tous, est la progression constante de l’espérance de vie depuis les années 1960, à l’origine d’un accroissement important du nombre de personnes âgées inactives. En effet, alors que l’espérance de vie sur le continent européen pour les deux sexes était de 68 ans en 1960, elle est de près de 79 ans en 2018. Dans un contexte où pendant longtemps l’âge de départ à la retraite a été stable, autour de 60 ans, cela sous-entendait que mécaniquement le nombre de retraités augmentait, d’où une dégradation du ratio de dépendance démographique.

Le deuxième facteur structurel, souvent oublié lorsque l’on aborde ce sujet sensible, est l’allongement de la durée des études, à l’origine d’une moindre croissance de la population active qu’escomptée si la situation dans ce domaine n’avait pas évolué. En effet, alors que beaucoup de personnes travaillaient dès 16 ans, voire 14 ans, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, à partir du moment où les études secondaires puis universitaires se sont généralisées à une large partie de la jeunesse, il s’est constaté un recul dans l’entrée dans l’âge actif.

Un troisième facteur, d’ordre conjoncturel, est l’arrivée de générations pléthoriques du baby-boom (1945-1975) à l’âge de la retraite alors que les générations d’âge actif sont moins nombreuses du fait de la très forte dénatalité constatée en Europe depuis les années 1970, avec des indices de fécondité autour de 1,5 enfant par femme en moyenne à partir des années 1990, largement inférieurs au seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme). 

La combinaison de ces trois facteurs explique la forte détérioration du ratio de dépendance démographique en Europe et en France.

Pour le moment, dans quelle mesure est-ce l'immigration qui a permis à beaucoup de pays européens d'équilibrer leurs régimes des retraites sans trop changer ses paramètres ?  

Etant donné qu’il paraissait impossible d’agir sur les facteurs structurels (tout le monde est content de vivre plus longtemps, d’autant que les gains d’espérance de vie se font en bonne santé, et l’allongement des études est indispensable dans un contexte de montée en gamme de l’emploi des sociétés des pays développés), le seul moyen était d’agir sur le phénomène conjoncturel de l’arrivée de générations moins nombreuses à l’âge actif. Dans ce cadre, la plupart des Etats européens, suivant les recommandations de l’ONU et de l’Union Européenne, ont choisi de recourir à une immigration dite de « remplacement » (« replacement migration » en anglais), entendue que les nouveaux arrivants en âge de travailler doivent permettre de compenser la dénatalité constatée en Europe depuis plusieurs décennies. Sur un plan purement économiciste, c’est une solution assez simple, d’autant que les candidats à l’immigration vers des pays riches sont potentiellement très nombreux. Cependant, cette solution n’est efficace qu’à court-terme. Les immigrés adoptant les comportements de basse fécondité des autochtones, cela ne fait que décaler le problème dans le temps.

Est-ce qu'une des solutions ne serait pas d'encourager la croissance du taux de natalité, pour compenser l'allongement de la durée de vie ? Quelles politiques natalistes donnent de bons résultats ? 

Effectivement, outre le recours à l’immigration, qui, comme nous venons de le voir, ne résout nullement le problème à long terme, il existe une seconde solution, beaucoup plus pérenne, pouvant conduire au même résultat, qui est de tenter de faire remonter la fécondité au niveau du seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme) dans les pays concernés, ce qui permettrait de stabiliser les effectifs de la population active à long terme, à défaut d’empêcher la dégradation inéluctable du ratio de dépendance démographique. Si les autorités européennes ont envisagé à un moment d’adopter cette solution, on ne peut guère dire qu’elles l’ont privilégiée car il ne semblait pas possible de faire remonter la natalité à un niveau suffisamment satisfaisant, étant donné l’ampleur de la dénatalité sur le continent. En effet, la totalité des politiques natalistes apparaissent comme des échecs par rapport aux objectifs affichés, atteindre le seuil de remplacement des générations. Si des politiques natalistes ont pu temporairement faire illusion en approchant de ce seuil, en Suède et en France, sur le long terme, l’objectif n’a pas été atteint, d’autant que ces pays devaient en partie à l’immigration leurs relatives moins mauvaises performances dans le domaine. Aujourd’hui, aucun pays développé au monde, à l’exception du cas très particulier d’Israël, n’a réussi à relancer sa natalité, d’où le maintien de l’injonction à l’immigration au sein de leurs élites respectives pour résorber, au moins partiellement, les déséquilibres démographiques consécutifs de cette situation. Comme bien souvent chez les politiques, c’est la solution de facilité qui a tendance à l’emporter plutôt que la projection à long terme.

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