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5 décembre : radioscopie des attentes des Français vis-à-vis d’Emmanuel Macron
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Enjeux de la mobilisation

A quelques jours de la mobilisation du 5 décembre, l'analyse des mots employés par les Français permet de tirer de nombreux enseignements. Quels sont les mots et les thèmes abordés par les Français que le président Emmanuel Macron devrait aborder et gérer dans le cadre de son opération reconquête ?

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico.fr : Voilà une semaine qu'Emmanuel Macron est en opération reconquête auprès des Français, avant un mois de décembre qui s'annonce compliqué. L'entourage du Président craint en effet une mobilisation populaire importante. 

Quels sont les reproches qui sont les plus récurrents dans les mots qu'utilisent les Français à propos du Président ?

Chloé Morin : Une des manières de répondre à votre question est de partir d’une analyse de l’ensemble des conversations et des mentions concernant le Président sur le web - et je tiens ici à préciser que ce champs d’investigation est loin de se limiter à Twitter : il comprend également toutes les discussions publiques sur Facebook, Instagram, Youtube, mais aussi les mentions sur les sites des médias, nationaux comme plus confidentiels, ainsi que les blogs, ce qui représente au total un champ d’observation très vaste. Entre le 16 et le 23 novembre, Emmanuel Macron à fait l’objet de près de 660000 mentions, soit plus de 75000 mentions par jour. Un pic a été atteint le 22 novembre, autour de son passage à BFM TV et suite à son passage à Amiens, avec 125000 mentions dans la journée tous supports internet confondus.

Parmi ce vaste champ d’observation, Synthesio (filiale d’Ipsos spécialisé dans l’analyse des données web) a cartographié l’ensemble des hashtags les plus associés au Président de la République. Incontestablement, ces mots d’ordre sont pour la plus grande part connotés négativement : 

- on y trouve majoritairement des éléments associés aux réformes contestées actuellement, comme #retraites #1andecolere, #giletsjaunes, #violencespolicieres...
- y apparaissent des mots d’ordre plus politisés, visant directement le Président, comme #macrondestitution ou #anonymous
- le déplacement à Amiens a suscité beaucoup de discussions, autour de #whirlpool et #MacronAmiens
- de manière plus neutre, le Président est associé à #maires, #lrem, #france ou #politique

Lorsqu’on analyse, cette fois-ci non pas les hashtags associés au Président, mais le contenu des propos déployés sur Twitter, Facebook, YouTube, les blogs et sites internets en tout genre, l’immense majorité des propos recueillis relève de sentiments négatifs. En dehors de quelques sujets rapportés de manière factuelle et neutre, notamment le congrès des maires et la visite à Amiens (pour une partie des propos touchant à ces sujets), on trouve des champs sémantiques illustrant le sentiment de colère sociale :

- des mots appartenant désormais à la rhétorique habituelle des Gilets jaunes, mettant en scène un “peuple” en colère contre des “élites” déconnectées voire nuisibles : colère, gilets, mouvements, sociale, pouvoir, peuple, riches, médias...
- de nombreux propos focalisés sur les “violences” : police, policiers, casseurs... Il convient d’ailleurs de noter que Castaner est le seul membre du gouvernement apparaissant parmi les conversations les plus récurrentes portant sur le Président, signe qu’il se trouve lui aussi dans l’œil du cyclone des critiques, au moins pour la partie de son action liée à la gestion de l’ordre public.

Globalement, la tonalité des conversations en ligne portant sur le Président est donc très marquée par l’actualité sociale, la perspective de la manifestation du 5 décembre, et les reproches adressés aux réformes gouvernementales tout comme à la méthode de maintien de l’ordre employée. Au regard de l’ensemble de ces données, la personnalité du Président est certes au cœur des critiques, et visée à travers ses actes et réformes, mais se trouve beaucoup moins ciblée à travers des traits de caractère qui lui seraient reprochés , comme cela a pu être le cas dans certains épisodes de tensions passés. De toute évidence, le volume très important de ces discussions escamote pour le moment toute capacité gouvernementale ou présidentielle d’imposer un autre agenda, en tout cas sur le web.

La stratégie du Président et de son équipe a semble-t-il été de renforcer son image de proximité et d'ancrage dans un territoire. Est-ce une stratégie qui peut être gagnante au regard de ce que les Français reprochent à Emmanuel Macron ? Certains estiment qu'une "chiraquisation" peut entamer l'image d'activité et d'autorité qu'il a accumulé...

Ses propos devant le congrès des maires, ses récentes visites sur les territoires... il existe en effet de nombreux exemples récents où le Président affiche une forme de proximité dont on lui a reproché de manquer ces deux dernières années. Tenter d’atténuer les traits d’images et perceptions négatives qui se sont accumulées avec le temps dans les représentations collectives est une tactique courante en politique (et pas seulement).
La difficulté de la tâche est double : 

- d’une part, la cohérence et la sincérité perçues sont aujourd’hui essentielles, car elles sont le gage de l’authenticité et donc de la confiance. Un responsable politique qui chercherait à modifier trop profondément son image serait immédiatement soupçonné de “manipulation”, et se verrait opposer un mur de suspicion réduisant ses efforts à néant. Pas de rupture de cohérence, c’est un mot d’ordre important je crois
- second point, il est souvent plus facile de réactiver les points forts (autorité, volontarisme, dynamisme) que de gommer les défauts perçus, surtout lorsque ceux-ci sont ancrés de longue date. Donc la question, pour le Président, sera celle de la part d’efforts qu’il va dédier à réactiver ses points forts, ceux qui l’ont rendu populaire dès son apparition sur la scène politique il y a 4 ans, et la part des efforts consacrée à atténuer ou gommer ses “défauts” perçus. 

Un sondage Ipsos pour Le Point a montré cette semaine que Nicolas Sarkozy était la personnalité préférée des sympathisants LREM. Que devrait en retenir le Président ? 

Il y a des limites à la comparaison des personnalités politiques considérées comme “retraitées”, comme l’est Nicolas Sarkozy, et des personnalités en fonction. 

Les unes peuvent se reposer sur notre tendance, liée à nos biais cognitifs, à “réécrire l’histoire”, à trier parmi nos souvenirs et reconstruire une image un peu idéalisée (ou diabolisée, mais c’est plus rare) d’une figure publique. Les “ex” sont d’autant plus avantagés qu’on leur prête souvent l’envers des défauts reprochés aux responsables politiques en place : ainsi, dans les discussions sur Nicolas Sarkozy, on entend souvent sa capacité à “comprendre” les gens comme nous, par contraste avec un Président Macron moins “ancré” dans la réalité quotidienne. 

Par contraste, les responsables politiques en place concentrent sur eux toutes les attentes, les frustrations, les espoirs. Par conséquent, le niveau d’exigence entre un Macron et un Sarkozy, même aux yeux des sympathisants LREM, n’est sans doute pas du tout le même et je ne garderais de tirer trop de conclusions de la comparaison de leurs cotes de popularité.

Cela dit, il est vrai que contrairement à François Hollande, dont il s’est distancé très tôt, Emmanuelle Macron a entretenu une forme de lien relevant au moins de la courtoisie républicaine, voire sur certains sujets de la proximité idéologique revendiquée. Des lors, il n’est pas anormal que ses propres troupes ne voient pas en l’ex-Président un “ennemi”, et lui reconnaissent des qualités que Emmanuel Macron semble lui-même lui reconnaître.

Emmanuel Macron peut-il dénouer les griefs qui lui sont faits d'ici le 5 décembre, ou du moins détendre la situation ? Comment ? 

Souvenez-vous du tournant de l’an dernier : de nombreux commentateurs se déclaraient alors sceptiques sur la capacité d’un président qu’ils décrivaient comme assiégé et désemparé à dégonfler le mouvement des gilets jaunes. Puis, à la faveur d’un tournant stratégique, reposant sur l’affirmation d’une certaine fermeté et sur l’ouverture du Grand Débat, le Président avait finalement renversé la vapeur. Donc je pense qu’il faut être prudent et ne pas délivrer de pronostic définitif sur le sujet.

Il est vrai que le contexte social est très tendu, avec la multiplication de revendications relevant de catégories - hospitaliers, cheminots, étudiants, etc - ttes différentes. Cette diversité des mots d’ordre est une force pour le mouvement, car chacun peut potentiellement se reconnaître dans au moins un des mots d’ordre, qu’il s’agisse de la précarité, de la peur de travailler jusqu’à l’épuisement sans toucher sa retraite, de la souffrance au travail, ou des difficultés à boucler ses fins de mois. Il y a, sur le papier, la possibilité d’une “grève par procuration”, concept inventé en 1995 et dont j’avais personnellement cru, jusqu’à ce que les Gilets jaunes ne prouvent le contraire, que la fragmentation de la société, la montée du repli et de l’individualisme et la disparition des solidarités de classe l’avaient rendu obsolète. 

Mais en même temps, cette diversité des revendications et des points de vue pourrait être un atout pour le gouvernement : la voie de sortie la plus évidente pour lui (peut être pas la seule, mais en tout cas la plus évidente) serait de diviser le mouvement en mettant en évidence les divergences d’intérêt entre les différents acteurs du mouvement. Beaucoup d’actifs, par exemple, soutiennent la mise à bas des “privilèges” que sont à leurs yeux les régimes spéciaux de retraite, par exemple. Sur les retraites, les retraités actuels sont souvent les plus attachés à des chemins de réforme plus ambitieux sur la maîtrise de la dépense publique, alors que la principale préoccupation des actifs actuels serait plutôt de maintenir l’espoir d’avoir une retraite sans pour autant entamer leur pouvoir d’achat actuel à travers une hausse des cotisations. De même, selon que l’on occupe un emploi plus protégé, et plus ou moins bien rémunéré, la perception de la réforme de l’assurance chômage récemment entrée en application sera bien différente... etc. Dans ces divergences, le gouvernement peut, en théorie, s’engouffrer. 

S’agissant précisément d’Emmanuel Macron, le dilemme est le suivant : conserver son image d’autorité et de volontarisme, sans pour autant paraître amplifier les reproches qui lui sont faits en “déconnexion” ou en excès de “verticalité “. Un équilibre délicat à trouver...

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