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Parents dangereux : ces violences contre les enfants dont on parle si peu
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Protection de l'enfance

A l'occasion de la Journée internationale des droits de l'enfant, le gouvernement se mobilise afin de lutter contre les violences subies par les enfants. Ce phénomène est malheureusement insuffisamment connu.

Olivia Sarton

Olivia Sarton

Olivia Sarton est directrice adjointe juridique et communication de l'association Juristes pour l'enfance et une ancienne avocate. 

 

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Atlantico.fr : Dans le cadre de la journée internationale des droits de l’enfant, le gouvernement a annoncé hier un plan contre les violences faites aux enfants. Quels sont les chiffres clés qui permettent de prendre la mesure de cette réalité ? 

Olivia Sarton : Les chiffres publiés par le gouvernement esquissent un tableau bien sombre. Ce sont les suivants : en France en 2018,

  • plus de 52 000 enfants ont été victimes de violence, mauvais traitements ou abandons
  • 140 000 enfants sont exposés à des violences conjugales (c’est-à-dire qu’ils en sont témoins et dans plus d’1/5e des cas, ils sont également maltraités physiquement)
  • 131 enfants sont morts sous les coups en 2016, une centaine d’entre eux avaient moins de 5 ans. Pour la moitié d’entre eux, l’auteur des violences était un parent.
  • Plus de 8 000 enfants (le plus souvent des jeunes filles entre 13 et 16 ans) sont victimes d’exploitation sexuelle
  • 12% des sportifs auraient victimes d’abus sexuels (parmi lesquels une grande majorité d’enfants)
  • Plus de 130 000 filles et 35 000 garçons subiraient chaque année des viols ou tentatives de viols, en majorité incestueux. Mais seulement 13% des personnes se déclarant victimes de viol ont déposé plainte. Le nombre de victimes de violences sexuelles qui portent plainte est encore plus faible
  • Environ 700 000 élèves entre le CE2 et le lycée, soit 9% des enfants et des adolescents souffrent de harcèlement scolaire, caractérisé de sévère pour la moitié d’entre eux
  • 51% des adolescents de 15 à 17 déclarent avoir déjà surfé sur un site pornographique et 55% d’entre eux estiment qu’ils étaient trop jeunes lors de leur première exposition à la pornographie.

Ces chiffres sont toutefois inférieurs à ceux présentés dans le Rapport d’Information du Sénat en date du 28 mai 2019 portant sur les infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs. Ce rapport cite le baromètre Santé et Sexualité de l’Agence de santé publique qui avance des chiffres beaucoup plus importants en ce qui concerne les agressions sexuelles sur mineurs.

Mais quels que soient les chiffres exacts, les violences faites aux enfants sont une réalité très présente, avec à ce jour des mesures et des moyens insuffisants pour lutter contre ces violences.

Le plan apparaît toutefois dans un contexte médiatique relativement indifférent. En comparaison, le thème des violences sur les femmes semble plus relayé. Comment l'expliquer ? Comment traiter au mieux dans les médias ce sujet selon vous ? 

Le thème des violences sur les femmes permet un traitement schématique : ce sont des hommes qui exercent des violences et tuent des femmes. C’est binaire. On a d’un côté des bourreaux facilement identifiables et de l’autre des victimes semblables dont certaines succombent sous les coups.

Dans le cas des violences exercées sur les enfants, c’est beaucoup plus compliqué :

  • les violences sont exercés par des hommes ou par des femmes… On ne peut pas stigmatiser par exemple les pères. Dans le cas des infanticides ou des violences physiques, les enfants sont souvent victimes de leur mère.
  • En ce qui concerne les violences sexuelles, ce sont majoritairement des représentants du sexe masculin qui les exercent. Mais ce ne sont pas nécessairement des hommes majeurs : la moitié des violences sexuelles exercées sur des mineurs le sont par d’autres mineurs.
  • Si vous prenez le harcèlement, il est presque toujours exercé par des mineurs.
  • Les mineurs victimes de violence deviennent assez souvent des bourreaux à leur tour, parfois très jeunes (avant 15 ans).

Ces violences se produisent dans des cercles très divers : familles bien sûr, mais aussi écoles, centres sportifs ou culturels, milieux associatifs, institutions (Education nationale, centres pour enfants handicapés, Eglise…), et milieux professionnels (dans le cadre des stages, des apprentissages etc…). C’est donc toute la société qui est remise en cause.

Il y a de l’information sur ces violences. Récemment on a entendu parler des violences sexuelles avec des affaires très médiatisées et le projet de loi non abouti de redéfinition des violences sexuelles sur mineurs. On entend parler des cas dramatiques de harcèlement scolaire. On parle aussi en ce moment de l’Aide sociale à l’enfance qui a en charge aujourd’hui environ 300 000 enfants (c’est-à-dire plus de 2% des moins de 18 ans en France), placés là souvent en raison de violences subies dans le cercle familial.

Aussi, on ne peut pas parler d’indifférence médiatique sur ce sujet, même si le traitement de ces informations ne joue peut-être pas autant sur l’émotionnel que pour le sujet des violences conjugales. Je crois que l’on peut s’en réjouir, car sinon on tomberait dans une forme de voyeurisme.

A propos du plan dévoilé par Adrien Taquet, les mesures vous semblent-elles pertinentes ?

Les 22 mesures annoncées sont bien sûr intéressantes, notamment celles pour la prise en charge des victimes et la mise en place d’un parcours de soin adapté. Les 22 mesures sont développées autour de 6 thèmes : (1) sensibiliser, former et informer ; (2) libérer la parole, favoriser repérage et signalements ; (3) mieux protéger les enfants au quotidien ; (4) mieux accompagner les enfants victimes ; (5) développez les enquêtes et la recherche ; (6) prévenir le passage à l’acte et éviter la récidive.

Mais elles ne sont pas suffisantes. Quelques exemples.

Pour lutter contre les violences sexuelles, une des mesures annoncées est le contrôle systématique des antécédents judiciaires des professionnels exerçant une activité au contact habituel d’enfants. C’est bien. Mais lorsque l’on sait que la moitié des viols sur mineurs sont commis par d’autres mineurs, on voit que l’impact de cette mesure est limité.

Le gouvernement annonce qu’il va renforcer la responsabilité des acteurs sur l’accès des mineurs aux contenus pornographiques sur internet. Mais il se refuse à travailler sur la limitation ou l’interdiction de la pornographie elle-même. Il est bien illusoire de croire que quelques mécanismes de contrôle parental empêcheront les mineurs d’accéder aux contenus pornographiques. Il faut une ambition beaucoup plus large, surtout au regard des ravages exercés par la pornographie chez les adultes également.

Dans certains domaines, il y a un refus d’envisager d’autres possibilités d’actions. Par exemple, le gouvernement veut renforcer la prévention des violences sexuelles à l’école. Mais le seul outil déployé consiste dans les séances obligatoires d’éducation à la sexualité qui doivent être normalement planifiées au nombre de 3 par an dans les établissements scolaires. Or, la qualité de ces séances est diverse et on y « éduque » qu’à l’exercice actif de la sexualité dès que possible, de toutes les façons possibles. Certes, pour lutter contre les violences, ces séances commencent à développer la notion de consentement et de respect. Mais ce n’est pas suffisant. Les organes officiels refusent de réfléchir à l’éducation des jeunes à l’affectivité au sens large. Aux Etats-Unis, des programmes d’éducation à l’abstinence jusqu’à la majorité sont développés dans les lycées. En France, cela semble inenvisageable. On crie au moralisme et au retour au puritanisme. Pourquoi ces anathèmes sur une réflexion de bon sens menée avec succès dans d’autres pays ?

Par ailleurs, on peut aussi interroger la responsabilité de l’éducation nationale et du corps enseignant lorsque celui-ci propose ou impose aux élèves des ouvrages, des films, faisant l’apologie de la violence physique ou sexuelle sous prétexte de description de la société actuelle. Quelle est par exemple la part de responsabilité des adultes dans l’accroissement des violences commises par les mineurs lorsque les livres soumis à la lecture relatent avec force détails et complaisance des scènes de viol avec tortures ou actes de barbarie ?

Le gouvernement évoque les nouvelles formes de prostitution des mineurs. Ainsi s’est récemment développé un phénomène de prostitution dans les établissements scolaires, très préoccupant. Mais l’apparition de cette prostitution juvénile en milieu scolaire est étroitement liée à une culture du sexe coupé de tout sentiment, de tout attachement. Prétendre vouloir lutter contre cette forme de prostitution en continuant à favoriser une telle culture est illusoire.

Ces problèmes paraissent liés plus profondément aux conceptions et aux structures de la famille dans une société à un moment donné. Est-ce que cela plan n'est pas de l'ordre du gadget ? Est-ce que ce n'est pas un projet de société qu'il faudrait interroger ? 

Il faut se réjouir de la prise en compte de la réalité des violences subies par les enfants, et des tentatives qui sont faites pour les juguler.

Mais on peut avoir l’impression que l’Etat se contente d’un cautère sur une jambe de bois. J’ai donné quelques exemples ci-dessus.

Il y a en ce moment en France un vrai déficit de pensée sur la société, la famille, les conséquences des bouleversements apportés par des lois sociétales. Les idéologies emprisonnent le débat et conduisent à des politiques erratiques et contradictoires.

On sait que les enfants ont besoin pour grandir de manière équilibrée, d’une famille stable et aimante composée dans la mesure du possible de leurs parents biologiques. Le projet 1 000 jours du gouvernement piloté également par le secrétaire d’Etat Adrien Taquet, insiste sur le rôle et la place du père auprès de l’enfant dans les 1 000 premiers jours de sa vie.

Et pourtant le Parlement veut voter une loi (le projet de loi bioéthique en cours d’examen devant le Sénat) privant délibérément des enfants de leur père biologique, voire même les privant d’une double filiation (dans le cas de la PMA ouverte à une femme seule). Il s’agit bien d’une réelle violence faite à ces enfants. Priver volontairement un enfant d’un de ces parents est une violence qui lui est faite, et que le projet de loi s’acharne à nier.

Lorsqu’un enfant est victime d’un acte de violence quel qu’il soit, c’est sa qualité de sujet de droit qui est nié. Il est traité comme un objet, en particulier lorsqu’il est victime de violences sexuelles ou de violences physiques récurrentes par un membre de sa famille. L’un des enjeux de la lutte contre la violence exercée sur un enfant est de faire prendre conscience aux adultes auteur des violences qu’ils ont en face d’eux, non pas un objet mais un sujet de droit égal à eux. Mais dans le même temps, des groupes de pression tentent par tous moyens de réifier les enfants en accordant aux adultes des droits exorbitants sur eux (droit de vie ou de mort par le recours à l’avortement ; droit de définir les caractéristiques de l’enfant (sexe, couleur de la peau, des cheveux, des yeux, etc…) comme on peut le faire en recourant à la PMA dans d’autres pays ; droit de le commander et de l’acheter (par la tolérance coupable de l’Etat français vis-à-vis des français qui se rendent à l’étranger pour acheter un enfant via une GPA), droit de le priver de ses parents biologiques). Il y a là une véritable contradiction.

En dehors de cette question de projet de société, se pose aussi le problème des ressources et des moyens affectés.

L’Aide sociale à l’enfance traverse une passe difficile : plus de 300 000 enfants lui sont confiés et elle n’a pas les structures pour les accueillir correctement. Elle manque notamment de familles d’accueil pour des fratries ou des enfants malades ou difficiles. Il n’y a pas suffisamment de familles relais pour accueillir les enfants sur des périodes ponctuelles (fins de semaines, vacances…). Dans les cas de violences exercées par des parents contre les enfants, se pose la question de savoir si le sort de ces enfants sera meilleur ou pire dans le circuit de l’aide sociale à l’enfance que dans leur famille…

La Justice manque cruellement de moyens : parce que les Cours d’Assise sont encombrées, des mineurs victimes de viols sont incités à accepter une requalification des actes subis en agression sexuelle (c’est-à-dire non plus un crime mais un délit) jugée par un Tribunal correctionnel avec des peines bien moindres. Les audiences d’agression sexuelles sont surchargées, comme les prisons. Les peines prévues dans le Code pénal peuvent paraître importantes, mais dans la réalité elles sont souvent légères : l’auteur d’un viol requalifié en agression sexuelle peut se voir condamner à seulement 6 mois de prison avec sursis…  

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