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Pourquoi les militants qui traitent leurs adversaires issus de minorités de "native informant" ne sont ni démocrates, ni républicains
©DENIS CHARLET / AFP

"Arabe de service", "nègre de maison" et autres joyeusetés

"Native informant" est une expression de plus en plus souvent employée. Aurélien Marq décrypte ce concept et son impact sur la société.

Aurélien Marq

Aurélien Marq

Aurélien Marq est haut fonctionnaire, auteur de "Refuser l'arbitraire" (Editions FYP, 2023).

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« Native informant ». Une expression de plus en plus souvent employée pour parer d’oripeaux savants ce qui, au fond, ne veut rien dire d’autre qu’« arabe de service », « nègre de maison », « collabeur » ou autres « bounty ». Mais de quoi s’agit-il vraiment ?

Répondre à cette question, c’est voir que des personnes comme Amine El Khatmi, Zohra Bitan, Mohamed Louizi, Fatiha Boudjahlat, Lydia Guirous, Zineb El Rhazoui, Mehdi Aifa, Mohamed Sifaoui ou Driss Ghali, qui malgré leurs différences voire leurs divergences ont en commun de s’être vus affublés de ce terme infamant, ne sont pas des « native informants ». Plus encore, c’est comprendre que les en accuser n’est ni plus ni moins qu’une négation de la République.

Le « native informant », en français « agent de renseignement indigène », est un autochtone qui transmet des informations sur son peuple à un étranger. Parfois un explorateur (le terme a été utilisé dans ce sens par des anthropologues), mais plus généralement un envahisseur.

La sociologie à la mode, c’est-à-dire acquise aux thèses de la gauche qui s’autoproclame « décoloniale », explique que cet indigène agit ainsi parce qu’il est opportuniste et/ou complexé vis-à-vis de cet envahisseur/colonisateur.

Sun Tzu, qui s’y connaissait nettement mieux, est beaucoup plus nuancé dans le chapitre 13 de l’Art de la Guerre, où il détaille les méthodes permettant de retourner à son profit un représentant de la population ennemie, et les multiples motivations pouvant conduire à ce retournement. On me permettra à ce propos un aparté : les sociologues « décoloniaux », qui se veulent l’élite intellectuelle et morale de l’université européenne et nord-américaine, ont donc manifestement au moins deux millénaires et demi de retard sur la pensée chinoise. J’entends d’ici le fou-rire de Xi Jinping.

Reste que le « native informant », ça existe. Toutes les armées déployées hors de leur pays en emploient. Les troupes de Cao Cao dans le territoire de Lü Bu, les Hyksos en Égypte, les Perses en Grèce, les Romains en Gaule, les Arabes au Maghreb, etc. 

Mais cette grille d’analyse n’a de sens que dans le cas d’une puissance envahissant un territoire étranger. Et ça, c’est fondamental : le terme même de « native informant » renvoie à une configuration dans laquelle les camps sont définis par la naissance de chacun. Fixés par l’affrontement de peuples aux intérêts rivaux, et non par les convictions individuelles. Aucun stratège ni historien digne de ce nom ne parlera de « native informants » lors d’affrontements politiques, mais seulement lors d’affrontements ethniques.

Or, n’en déplaise aux « décoloniaux », la France n’est pas une puissance étrangère sur son territoire historique. Stricto sensu, les « native informants » seraient donc les « blancs » qui soutiennent les « racisés » sur le territoire métropolitain ! Mais même dans ce cas, utiliser ce terme revient à faire fi de leurs convictions. Parfois, en effet, il n’y a chez les « blancs » qui défendent les « racisés » qu’une fascination pour la pureté fantasmée du « bon sauvage », mais ne généralisons pas.

De même, quand les « décoloniaux » accusent Amine El Khatmi, Zohra Bitan, Mohamed Louizi, Fatiha Boudjahlat, Lydia Guirous, Zineb El Rhazoui, Mehdi Aifa, Mohamed Sifaoui Driss Ghali et d’autres d’être des « native informants », ils leur dénient le droit d’agir par conviction.

J’insiste, car c’est fondamental : sous prétexte que ces personnes seraient « racisées », les « décoloniaux » les proclament incapables de défendre des convictions. Elles seraient condamnées à poursuivre des intérêts de type claniques déterminés par leurs origines, ou si elles s’en détournent ne pourraient le faire que rendues serviles par un complexe d’infériorité devant le « blanc », ou poussées par des calculs égoïstes. Comme si leurs origines les rendaient définitivement incapables d’accéder à la conscience politique !

En cela, une fois de plus, les décoloniaux montrent que leur vision racialiste du monde est en réalité profondément raciste. Et, ultime paradoxe, elle place les « blancs » sur un piédestal : toujours coupables, mais néanmoins supérieurs. Car dans la pensée « décoloniale », seuls les « blancs » peuvent se détourner de leur ethnie sans être traités de « native informants », et donc eux seuls se voient reconnaître la capacité d’agir par conviction, comme si ce stade de la conscience leur était réservé.

La République repose sur la recherche de l’intérêt général, au moyen de deux outils : d’abord la dynamique de l’affrontement politique via les débats d’idées, puis la prise de décision par l’arbitrage démocratique. A l’inverse, en parlant de « native informant », les « décoloniaux » décrivent la France comme un théâtre de rivalités ethniques, où chacun ne pourrait que servir le camp assigné par sa naissance, sans jamais dépasser ces rivalités tribales par la recherche de l’intérêt général.

En clair, traiter nos concitoyens « racisés » de « native informants » c’est à la fois refuser la légitimité de la République, promouvoir des assignations identitaires racistes, et nier la capacité de l’être humain à défendre d’authentiques convictions.

C’est absurde, et c’est abject.

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