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Ce que Jean-Luc Mélenchon ne comprend absolument pas à la réunification allemande
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

RDA

Le Monde Diplomatique titrait cette semaine, en une, "Allemagne de l'Est, histoire d'une annexion". Un article au sujet duquel Jean-Luc Mélenchon a réagi sur Twitter en ces termes : "Enfin le mot juste pour nommer ce qui s'est passé il y a 30 ans. Une violence qui n'en finit plus de se payer".

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico.fr : Dans cette une du Monde Diplomatique, les journalistes rappellent qu'en 1989, après la chute du Mur, les opposants au régime communiste étaient favorables à 71% non pas à l'unification mais à une RDA démocratique. Si le mécontentement de la population d'Allemagne de l'Est demeure à l'heure actuelle, ("58 % des Allemands de l’Est ont le sentiment de n’être pas mieux protégés de l’arbitraire étatique qu’en RDA " ) parler d'annexion n'est-il pas réécrire l'histoire ? 

Edouard Husson : De qui parle-t-on quand on désigne les « opposants au régime communiste » ? Des milieux religieux (les pasteurs protestants, en particulier) et des intellectuels qui étaient opposés au régime. Cette opposition s’était formée dans les années 1980, en particulier dans le cadre de l’organisation par le régime d’un mouvement d’opposants à l’installation de missiles Pershing en Europe de l’Ouest par l’OTAN. Ce mouvement a en partie échappé au régime, puisque beaucoup de ces manifestants en ont profité pour se parler, entre eux, de leur insatisfaction envers le régime de RDA lui-même. C’est dans ces milieux qu’a bouillonné un début d’opposition au régime. C’est, en particulier dans les milieux protestants opposants qu’a germé le mouvement protestataire qui déclenche début septembre 1989 les « manifestations du lundi » de Leipzig. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a une poussée vers la liberté qui précède de plusieurs semaines: dès que la Hongrie a ouvert sa frontière vers l’Autriche, à l’été 1989, plusieurs milliers d’Allemands de RDA en ont profité pour passer à l’Ouest. Après l’ouverture du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, ce sont plus de mille personnes par jours qui vont s’installer à l’Ouest. A la fin novembre au plus tard, il est clair qu’une immense majorité d’Allemands de l’Est réclame la réunification. Se répand le slogan « wir sind ein Volk », nous sommes un peuple, au lieu du slogan jusque-là crié à Leipzig: « wir sind das Volk», nous sommes le peuple. Et surtout, cet autre slogan, plus significatif encore: «Si le deutsche mark ne vient pas à nous, c’est nous qui iront à lui! » C’est la raison pour laquelle Helmut Kohl a accéléré la marche vers la réunification, alors même que les Allemands de l’Ouest n’avaient majoritairement pas très envie de l’entrée de leurs frères de l’Est dans les institutions ouest-allemandes ni. Dans le système de redistribution financière entre Länder. 

Il faut avoir tout cela en tête pour ne pas être dupe de la nostalgie des « Ossies », comme on a commencé à appeler les Allemands de l’Est à partir du milieu des années 1990, lorsqu’économiquement la réunification a moyennement tourné et que s’est développée une « Ostalgie », une nostalgie de l’ancien régime communiste, un vote pour le PDS, le parti succédant à l’ancien parti communiste (aujourd’hui absorbé dans Die Linke) mais aussi une série impressionnante d’attaques violentes en bandes (d’imprégnation néonazie) contre des étrangers vivant dans les « nouveaux « Länder ». Il faut bien comprendre que beaucoup des jeunes Allemands de l’Est, les plus diplômés d’entre eux, sont partis à l’Ouest. L’exemple le plus célèbre en est Angela Merkel, fille de pasteur, mais déjà profondément réaliste, qui n’a pas voulu perdre son temps avec ceux qu’elle qualifiait de rêveurs, à la recherche d’une troisième voie entre capitalisme et socialisme. 

Il est bien vrai, par ailleurs, que la réunification a été mal conçue économiquement. Que les Allemands de l’Est restés au pays en ont souffert. Et qu’aujourd’hui encore, ils ont tendance à idéaliser le régime d’avant. Cependant, si on les pousse dans leurs retranchement, ils reconnaîtront que cela change tout d’être en démocratie pour pouvoir exprimer ouvertement son mécontentement et voter pour les partis protestataires, Die Linke et l’AfD. 

Jean-Luc Mélenchon semble ignorer la réalité de la réunification allemande, qualifiant même "l'annexion" de "violence". Comment expliquer cette lecture historique loin de la réalité ? Est-elle partagée par une partie de la population allemande ?  

Le rapport de la gauche à la violence consiste toujours à minimiser la violence venue de ses propres rangs et à majorer celle commise par l’autre camp. En twittant comme il l’a fait, soit Jean-Luc Mélenchon assume le fait qu’il aurait fait partie de la nomenklatura est-allemande, soit il avoue son ignorance de ce qu’était la RDA pour le citoyen lambda. Délabrement des infrastructures, pollution par le chauffage urbain au charbon, l’archaïsme des procédés industriels et le retard technologique des automobiles, grandes barres d’habitation sinistres et anonymes, atmosphère permanente de suspicion avec le plus fort taux d’informateurs de la police politique par habitant au sein d’un régime communiste européen, prisons politiques : on pourrait continuer la liste qui fait de la RDA un régime communiste «exemplaire ». Les individus n’avaient pas d’autre choix que de se replier sur la sphère familiale (tout en craignant la dénonciation par un proche). Les habitants de l’ancienne RDA vous diront qu’ils essyaient d’ignorer le régime quand ils franchissaient le seuil de leur appartement. On pouvait un peu se laisser aller à parler sans langue de bois. Mais cette séparation privé/public a profondément marqué ceux qui l’ont vécue: les personnes qui ont eu l’occasion de voir Angela Merkel en privé soulignent son humour et son entrain; mais dès qu’elle quitte la sphère privée, pour rentrer en politique, Angela Merkel se met à parler une langue de bois qui sent la RDA (par exemple son incapacité à désigner « les Allemands » ou « les étrangers » en leur substituant l’englobante formule « les gens qui vivent dans ce pays »); elle redevient cette ancienne citoyenne est-allemande pour qui « il n’y a pas d’alternative » et qui fuit le débat politique à tout prix. 

On peut évidemment, comme le font « Le Monde diplomatique » et Mélenchon, énumérer toutes les erreurs commises par les « Wessies » pendant la réunification. Il faudra y mettre l’absurdité du taux de change monétaire « un mark ouest pour un mark est », qui a tué ce qui pouvait rester viable de l’industrie est-allemande; la politique de reprise et liquidation quasi-systématique lors de la privatisation par la Treuhand; l’absurde démantèlement du réseaux de crèches publiques, qui avait maintenu le taux de fécondité est-allemand au-dessus du taux ouest-allemand; la tendance qu’ont eu bien des universitaires ouest-allemands à se procurer à l’Est un poste qu’ils ne trouvaient pas dans les universités de l’Ouest etc....Mais de là à parler d’annexion ou d’en faire l’expression d’une violence équivalente à la coercition marxiste-léniniste, il faut une bonne dose d’aveuglement ou bien un humour très cynique. 

En qualifiant le choix du mot "annexion" de juste, Jean-Luc Mélenchon ne fait-il pas une grave erreur ?  En semblant regretter la RDA le leader de la France Insoumise ne révèle-t-il pas en quelque sorte ces vraies couleurs ? 

Je vous propose de demander à Jean-Luc Mélenchon comment il juge la politique d’accueil massif de réfugiés et de migrants décidée en solitaire par Angela Merkel en septembre 2015 et qui, au-delà d’un engagement étonnant des Allemands de l’Ouest pour insérer les nouveaux arrivants, se révèle catastrophique pour le pays. Mélenchon ne saura pas répondre car il va être confronté aux contradictions de sa propre position politique, sincèrement populiste (pour moi ce n’est pas une insulte) en économie mais très globaliste dès qu’on en vient aux sujets sociétaux ou aux questions de flux migratoires. Or il y a deux choses qu’il faudrait souligner à propos de la politique migratoire d’Angela Merkel. La première, c’est qu’elle a rouvert la fracture entre les deux parties de l’Allemagne réunifiée. Les Allemands de l’Est, malgré les difficultés causées par la politique économique des années 1990 et l’attitude professorale à leur égard de beaucoup d’Allemands de l’Ouest, avaient connu une phase d’intégration réelle sous Gerhard Schröder, en particulier lorsque, durant la campagne électorale de 2002, le chancelier sortant avait chaussé des bottes pour aller marquer son soutien à des régions marquées par les inondations; puis avait affiché son opposition à la guerre en Irak, une position très populaire dans l’ancienne RDA. Ce sont les Allemands de l’Est qui ont réélu Gerhard Schröder en 2002 ! Paradoxalement, c’est leur ancienne compatriote, Angela Merkel, qui leur a donné, en particulier par sa politique migratoire, l’impression de devenir à nouveau des « citoyens de seconde zone », les migrants ayant la priorité sur eux. Ce que les Allemands de l’Est sentent profondément, c’est qu’Angela Merkel est un produit de l’ancien système: pour proposer d’accueillir d’un coup 1,5 millions de personnes, sans préparation et sans moyens financiers dédiés, comme l’a fait la Chancelière il faut avoir été sérieusement imprégné par l’ingénierie sociale et les improvisations permanentes des régimes communistes en matière économique et sociale. Angela Merkel, née en 1953, a passé, on l’oublie trop, à ce jour plus de la moitié de sa vie en RDA ! 

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