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Emmanuel Macron, son "je" et le problème politique qu’il lui pose
©JOHN THYS / AFP

Ultra-personnalisation

Durant l'entretien accordé en ce début de semaine à RTL ou lors de ses récentes déclarations sur le voile, Emmanuel Macron personnalise de plus en plus les questions politiques.

Christian Le Bart

Christian Le Bart

Christian Le Bart est professeur de science politique à l’IEP de Rennes, membre du CRAPE-CNRS, et directeur de la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne. Il a travaillé sur des objets de recherche divers comme les maires, les étudiants politiques, ou la communication politique. Il a par ailleurs co-écrit Les fans des Beatles : sociologie d'une passion (Presses Universitaires de Rennes).

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Atlantico.fr : Emmanuel Macron a déclaré dans un entretien donné à RTL « J’ai appris, et j’ai appris durant ces deux années et demi des choses qui sont à la fois très politiques et très intimes » ou encore : « À vouloir faire bouger les choses avec impatience, énergie, parce que c’est ce qui me caractérise, j’ai parfois blessé des gens ou donné le sentiment que je voulais changer le pays contre les Français eux-mêmes»  

Ces déclarations entrent elles dans ce que ce vous avez décrit comme l’ego-politique ?

Christian Le Bart : La politique, au sens classique du terme et telle qu'elle s'est construite dans un contexte de professionnalisation au fil du 20ème siècle, était une activité qui nécessitait un certain dépassement de soi et qui supposait la mise entre parenthèse de tous les affects et de tout ressenti individuel.  Ce qui comptait était ce que l'on faisait, non pas ce que l'on ressentait. Max Weber appelait cela la bureaucratisation du monde. Le politique était au service de l'action publique et du collectif, et si émotion il y avait, c'était forcément exemplaire et collectif. On a basculé dans un autre monde où le politique a le droit de dire "je", au nom d'un droit à l'authenticité qui est droit à être soi : un soi qui n'est pas le moi présidentiel mais le soi en tant qu'individu singulier titulaire du rôle. Cela fait qu'il y a toute une série de choses qui peuvent désormais être mises dans l'espace public : le plaisir qu'Emmanuel Macron prend à être Président, les blessures qu'il tente de panser, y compris des blessures narcissiques, et tout cela va être mis en relation avec un passé, une personnalité particulière, autant de choses qui sont normalement absentes de l'espace public. La référence est le modèle des deux corps du roi : le corps abstrait et le corps concret. Avec Emmanuel Macron, on a deux identités : le rôle et le titulaire du rôle, mais avec à certains moments une domination de la deuxième.  

La mise en scène de soi était aussi quelque chose qui existait avec François Hollande ou Nicolas Sarkozy. Est-ce qu’Emmanuel Macron a une particularité de ce point de vue-là ?

La spécificité d'Emmanuel Macron est qu'il a joué la carte de la "peopolisation" précocement dans le cadre d'une campagne présidentielle commencée très tôt. C'est quelqu'un qui a créé une formation politique autour de lui, sur sa personne.  Il s'est aussi débarrassé de toutes les grammaires institutionnelles en prenant par exemple ses distances avec la discipline gouvernementale (lorsqu'il était ministre), avec le Parti Socialiste, avec François Hollande, ou encore avec le clivage droite-gauche. Tout cela est mis de côté au profit d'un homme, Emmanuel Macron, utilisant très précocement les médias pour faire entendre sa petite musique, et dont les initiales ont été données à un mouvement qui ressemble au fond à un fan club. On est dans l'adhésion à une personne, ce qui fait que l'on ouvre la porte à une certaine introspection publique. Selon cette nouvelle grammaire politique, les états d'âme de l'individu Macron sont tout à fait recevables et font partie des éléments mobilisables dans les stratégies de présentation de soi du Président.

Est-ce que cette individualisation a changé quelque chose du point de vue de l’action politique ? A la Réunion : « Le port du voile dans l’espace public n’est pas mon affaire». En quoi est-ce la même chose qui se joue ? 

Tout d'abord, on recentre tout sur la personne du chef d'Etat en lui donnant le rôle de décideur ultime. Lorsque je travaillais sur les gilets jaunes, j'étais frappé de voir que toutes les revendications remontaient à Emmanuel Macron, et  par la manière dont celui-ci se rendait complice de cela en se mettant en scène (payant de sa personne, en bras de chemise etc.) lors du grand débat. Les députés LREM se définissaient eux-mêmes comme des gens qui portaient la parole des citoyens  jusqu'au Président, non pas comme des détenteurs du pouvoir législatif, mais comme ceux qui avaient l'oreille de Macron. Notre système présidentiel est devenu ultra centralisé sur une personne singulière, d'où des effets d'extrême encombrement autour de l'agenda présidentiel, d'exacerbation d'attentes déraisonnables à son endroit ; et il est terrible de mettre en regard cette hyper-personnalisation et le contexte par ailleurs d'impuissance des pouvoirs publics (européanisation ou de mondialisation). 

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