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Une France, deux sentiments nationaux concurrents ?
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Repli ?

Les polémiques sur le voile ont mis en lumière les tensions communautaristes qui divisent la France. Mais ce qui apparaît comme des replis communautaires masquent en fait l’émergence d’un nouveau nationalisme français, revendiqué par des Français aux cultures différentes cette fois-ci.

Céline Pina

Céline Pina

Née en 1970, diplômée de sciences politiques, Céline Pina a été adjointe au maire de Jouy-le-Moutier dans le Val d'Oise jusqu'en 2012 et conseillère régionale Ile-de France jusqu'en décembre 2015, suppléante du député de la Xème circonscription du Val d'Oise.

Elle s'intéresse particulièrement aux questions touchant à la laïcité, à l'égalité, au droit des femmes, à la santé et aux finances sociales et a des affinités particulières pour le travail d'Hannah Arendt.

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Certaines déclarations dans le débat public laissent à penser qu'une forme de nationalisation de la revendication communautaire, quoique contradictoire dans les termes, semble à l'oeuvre, répondant à une revendication nationale plus ou moins extrême qui par ailleurs, parcourt l'opinion. 

Atlantico.fr : Une photo d'une femme voilée à la manifestation contre l'islamophobie le 19 octobre 2019, avec une pancarte qui indique "Française, musulmane, et voilée, si je vous dérange, je vous invite à quitté (sic) mon pays" a tourné sur les réseaux sociaux. Est-ce un cas isolé ou est-ce une logique qui commence à émerger ?

Céline Pina : Il semble de plus en plus manifeste que les islamistes cherchent à provoquer un incident grave pour poursuivre leur mainmise sur les musulmans. Du Conseil régional de Bourgogne en passant par cette manifestation sur un lieu emblématique de nos luttes politiques et sociales, les attentats islamistes sont maintenant suivis de provocations militantes. C’était déjà le cas à Nice, avec la femme en niqab sur la promenade des anglais ou les burqinis sur les plages. Tout cela n’est pas un hasard, mais une stratégie.

Que les islamistes le fassent, après tout c’est là le sens de leur démarche politique et ils ne s’en cachent pas. Mais que les musulmans se taisent et que l’Etat baisse les yeux de façon systématique devient de plus en plus difficile à gérer et contribue à la montée des tensions. 

L’idéologie des islamistes (qu’ils soient frères musulmans ou salafistes) a tué plus de 260 personnes sur notre sol. L’attentat au coeur des services de police de Paris a montré que personne, nulle part n’était plus protégé. Voilà notre nouvel environnement social, la réalité dans laquelle nous devons vivre et élever nos enfants. Alors quand les islamistes et leurs militantes viennent exhiber un signe sexiste et intolérant au pied de la statue de la République, quand ils viennent sciemment investir la statue symbole du réveil citoyen de l’après-Charlie, on mesure leur sentiment de puissance, leur volonté d’humiliation et notre abandon par ceux qui devraient nous protéger comme par ceux dont c’est normalement le métier que de décrypter ce type de faits. 

De provocations en provocations, tout en faisant mine de s’en inquiéter, les islamistes font monter la dynamique de guerre civile et participent sciemment à la montée du RN. Ce n’est pas irresponsable mais logique de leur point de vue. Leur but est d’islamiser les musulmans, pas les autres Français. Ils n’ont pas de vision de la Nation, ne veulent pas d’un peuple uni autour de valeurs partagées, de citoyens égaux au-delà des différences de sexe, couleur de peau, religion. Non, ce qu’ils veulent c’est gagner la guerre des communautés, être celle qui domine et impose sa loi. Et pour cela ils ont besoin d’effrayer les musulmans, d’abord en inspirant eux-mêmes de l’effroi mais aussi en cultivant la peur d’une réaction violente de la société qu’ils attaquent. Cette réaction potentielle est symbolisée par le vote RN. 

Cette destruction de notre modèle social fondé sur le partage d’un monde commun est un préalable. La charia ne cherche pas l’égalité et le rassemblement des citoyens, le diptyque domination/dhimmisation (fait de payer un tribut et d’accepter un statut d’inférieur pour avoir le droit de vivre et de conserver quelques traditions) lui suffit. Et c’est cette violence communautariste qui est en train de piétiner ce que nous sommes et nous détruit en tant que société constituée.

Dans quelle mesure est-ce que cette logique répond insidieusement à des formes de revendications nationales, légitimes ou non, extrêmes ou non, de la part de l'opinion ?

Cela n’a rien à voir. Avec cette pancarte on est dans la pure provocation. C’est une mainmise pas une déclaration d’amour, c’est une volonté de conquête qui s’affiche, pas une volonté d’intégration. Cela ne parle pas de l’émergence de la prise de conscience qu’il existe un monde commun, une sphère publique où s’exprime la citoyenneté et où pour faire émerger l’intérêt général chacun doit en rabattre sur ses particularismes et accepter de dépasser les questions de différences de sexe, de couleur de peau, d’ethnie, de religion. Non, là c’est un processus d’ensauvagement qui est à l’œuvre où les islamistes, qui ne veulent rien avoir à faire avec les humanistes, marquent leur volonté de les dominer. En effet un pays est une entité constituée, porteur d’une histoire, d’un projet et de normes, comme de lois, qui traduisent en actes sa vision du monde et de la société. Ce n’est pas un simple espace qui appartient à qui saura le prendre. C’est pour cela que la France sous la coupe d’Hitler n’était plus la France. Nous ne sommes pas qu’un territoire mais un espace et une idée incarnée et portée par les hommes qu’elle unit. Notre société démocratique repose sur l’idée d’égalité des êtres humains, en voulant imposer par le conflit et la violence des symboles qui vont à l’encontre de tout ce qu’est la France, ce n’est pas un sentiment national que l’on voit naître mais le rejet de ce que nous sommes et le refus de s’intégrer. Mais pire encore, derrière ce refus farouche de l’égalité des droits entre êtres humains, il y a un vrai processus d’ensauvagement qui est à l’œuvre. Refuser l’égalité, c’est considérer que certains humains le sont moins que d’autres, c’est entamer un processus de déshumanisation de ce qui heurte ou contrarie. Cette histoire-là nous l’avons déjà vécu et le prix à payer pour en sortir a été terrible. 

Cette "nationalisation" du discours communautaire n'est-elle pas le signe, tout de même, que la question nationale est devenue majoritaire ? Est-ce un bon signe ? 

Non, c’est le signe que le processus de victimisation chez certaines cibles des islamistes est arrivé à son terme et que les militants considèrent que ce pays n’est qu’un simple territoire, et pas une idée et une histoire et qu’il sera à qui aura la force d’y imposer ses normes et ses lois. On assiste ici à une régression intellectuelle et sociale majeure : la diffusion d’une norme d’infantilisme qui fait que l’on oublie que devenir un être humain complet c’est savoir aussi prendre sur soi, se contrôler, s’empêcher, être un être de raison et non un enfant geignard qui prend la moindre contrariété et le moindre conflit comme une offense à punir, un droit à se venger et une demande de compensation. Là on est dans le degré 0 de l’accès à la citoyenneté, dans un rapport adolescent au monde qui dit : « je suis chez moi et je fais ce que je veux ». Dans le contexte de deuil que nous traversons, c’est choquant et c’est fait pour. D’un côté on exaspère les citoyens français, de l’autre on justifie la provocation au nom de l’offense identitaire que représenteraient les réactions négatives face au voile. Ces réactions ne sont pas vues comme légitimes eu égard aux valeurs de notre pays mais comme valant déclaration de guerre par rapport à l’islam. C’est à ce triste jeu que nous assistons. Le voile est devenu une question d’honneur, d’affirmation de la puissance des islamistes.

Ce retour en force de « l’honneur » et de « l’offense » est un signe de barbarie. La vraie manifestation de l’honneur aujourd’hui se fait par le crime. La notion de « crime d’honneur », oxymore en soi parle d’un déclin civilisationnel. Mais surtout, l’extension du domaine de l’honneur, souvent étonnamment placé dans la culotte des filles, est une extension du domaine du contrôle social et de la censure, elle donne une autorité physique sur autrui et favorise toutes les violences et les vengeances. Cet honneur participe de l’existence de sociétés violentes où toute déviance de la norme vous met en danger et où l’orthopraxie, la manifestation de la soumission par son comportement et son discours comptent plus que la réalité des êtres et la qualité de leur action. Dans ce type de société, pas de solidarité mais une allégeance à la famille, à la tribu et l’incapacité à accepter d’autres régulations que l’autorité tribale (c’est ce que dit très bien Houria Bouteldja, quand elle écrit dans « les Blancs, les Juifs et nous », qu’elle appartient d’abord à son clan, à sa race, à son sang.) 

Dans une société éduquée et apaisée, au contraire, la controverse et le désaccord sont de droit et il faut apprendre à supporter la contrariété au lieu de voir la réussite comme la capacité à imposer le silence et la servilité par la peur. Ne pas réussir à convaincre quelqu’un peut être vu, de notre propre point de vue comme un échec personnel, cela peut être frustrant, mais ce n’est pas une humiliation sociale, une atteinte à son « honneur », une offense à réparer, un sacrilège. Si le moindre désaccord ou conflit est traité comme une atteinte à la dignité humaine, alors c’est la violence que l’on cautionne et que l’on légitime. 

C’est aussi ce qui se joue ici : le retour de la société tribale contre la société démocratique. Derrière il y a un vrai changement de civilisation : dans la société tribale la violence entre groupes est un moyen de régulation sociale. Il faut s’affirmer et éliminer l’autre est le meilleur moyen. D’où cette demande de voir partir de France les vrais citoyens que formule la femme à la pancarte, alors même qu’elle montre, par les symboles qu’elle porte et par l’action qu’elle mène, son refuse d’intégration au monde commun.

Voilà pourquoi la guerre, la cruauté, la sauvagerie, la menace et l’agression sont des outils de gestion du groupe dans les sociétés patriarcales ou tribales, cela se voit d’ailleurs dans les méthodes pour accéder au pouvoir. Tout est permis à condition de réussir. Dans les sociétés démocratiques, l’élimination de l’autre n’est pas le critère de l’accession au pouvoir. Il faut savoir rassembler, séduire, convaincre et constituer une majorité d’action. Le pouvoir repose sur la capacité à convaincre les hommes d’agir ensemble et non à les terroriser pour qu’ils s’aplatissent devant le clan dominant. C’est grâce à cela que nous avons pu créer des société prospères, ouvertes et apaisées. C’est aussi pour cela que malgré leurs richesses potentielles, les états du Moyen-Orient ont développé des modèles de société qui ne sont pas désirables pour qui vit en Europe et n’arrivent pas à notre niveau de développement. Leur organisation sociale, laquelle repose sur une lecture religieuse, est un frein au développement et à la créativité. C’est aussi pour cela que tant de personnes vivant dans ce qui furent des colonies françaises émigrent vers notre pays, au lieu de construire le leur. Le problème c’est qu’en voulant réactiver sur notre sol, le modèle social qui a conduit aux impasses de développement de cette partie du monde, ils portent en eux les germes de la destruction du pays où ils devaient pourtant trouver leur place, parce qu’à condition d’en accepter l’esprit et les lois, tout le monde peut s’y intégrer. En revanche quand on tire à balles symboliques et réelles sur ce qui fait l’âme et le génie d’un pays, c’est rarement par exacerbation du sentiment national, toujours par rejet.

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