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Pourquoi les chiffres officiels sur l’immigration ne décrivent que très approximativement la réalité française
©Reuters

Mauvais prisme

Les chiffres de l'INSEE, première source officielle en ce qui concerne l'immigration, méritent d'être remis en perspective.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Le débat sur l'immigration est souvent alimenté par les chiffres officiels de l'Insee. Quels chiffres faut-il retenir pour prendre la mesure de la réalité ? Quels autres sont au contraire des chiffres à considérer avec précaution ?

 Guylain Chevrier : Face aux inquiétudes concernant l’immigration, les attendus d’un rapport de France Stratégie publiés en juillet sont repris pour nous dire qu’il faut sortir des fantasmes. Les vrais chiffres sur l'immigration seraient en effet susceptibles de calmer les esprits. Mais ne faudrait-il pas là encore démêler le faux du vrai? Il apparait effectivement nécessaire de faire retour sur certains des chiffres qui circulent dans la presse, y compris spécialisée, et d’autres qui n’y circulent pas ou mal, pour nous faire une opinion plus étayée. 

 Un immigré est une personne née étrangère à l'étranger et résidant en France, selon la définition généralement retenue. Ainsi défini, la France compte 6,4 millions d'immigrés, l'équivalent de 9,7% de la population totale, nous dit-on. Oui mais, si on retient ici comme l’INSEE les étrangers nés en France, on ajoute déjà 0,7 millions d’individus, ce qui n’est pas rien. D’autre part, si on ne retient que la part des étrangers dans la population française on arrive à un chiffre relatif, 6,9 % (INSEE), ce qui est assez moyen au regard des autres pays européens, mais si on y intègre les immigrés qui ont obtenu la nationalité française par acquisition depuis dix ans, à un rythme de plus de 100.000 par an, au regard d’une France qui a choisi massivement de faire des immigrés des citoyens Français, ce qui n’a rien à voir avec la politique d’intégration de l’Allemagne par exemple ou d’autres pays européens, cela change considérablement la donne. On dit que notre pays ne serait pas sujet à une immigration massive, mais si on regarde les chiffres, on est passé entre 2012 et 2017, de 193.120 titres de séjour à 262.000. Est-on vraiment sûr qu’à ce rythme, nous n’allons pas à un moment rencontrer un problème, puisque cela augmentera mécaniquement le coût de l’immigration au regard de la masse des finances que cela mobilise, avec des ressources publiques qui ne sont pas sans fin ? En additionnant immigrés et descendants directs on arrivait déjà à un total de 12,5 millions de personnes en 2013.

Si on prend en compte le fait que ces populations sont plus nécessiteuses que les autres, comment se fait-il que l’on ne parle pas du coût social de l’immigration ? On sait qu’elle draine à coup sûr pourtant, des fonds publics, en termes d’aide sociale, qui sont considérables, d’autant plus au regard d’une France à l’Etat-providence généreux. Ce serait sans doute une bombe politique, que de faire sortir un chiffre ici.

On a à l’esprit la « forte augmentation de la demande d’asile », portée à 123.625 personnes en 2018, soit une croissance de 22 % en un an. En 2007 nous étions à moins de 40.000. Ce qui donne en 2018 le chiffre record de 46.700 personnes placées sous la protection de l’Ofpra. Et autre question, alors que dans l’UE le nombre de demandeurs baisse, il augmente dans notre pays. Simple hasard sans doute et sans conséquence aussi ? « Pour un demandeur majeur hébergé par l’Etat et isolé, le montant versé en France » au titre de l’aide au demandeur d’asile (ADA) « est supérieur de 50 % à celui versé en Allemagne », par exemple. Les conséquences de l’accueil en France ne sont donc pas égales aux autres. On relativise soudain moins.

Parlons aussi des sans-papiers dont les déboutés du droit d’asile rejoignent la cohorte, 90% d’entre eux restent en France selon les chiffres officiels, c’est-à-dire des centaines de milliers de personnes qui vivent en toute illégalité sur notre sol. Ce qui n’est bon ni pour eux au regard des risques que cela implique de tous ordres, ni pour la France pour laquelle ces personnes constituent un angle mort de l’action publique. La couverture santé au titre de l’Aide médicale d’Etat (AME)  qui concerne 300.000 personnes « étrangères sans papiers ou en situation précaire de séjour", révèle en partie déjà l’ampleur du problème. Là aussi, ce n’est rien ? Soyons un peu sérieux ! 

Mais le meilleur que l’on s’interdit de nommer, c’est le problème des Mineurs non accompagnés, anciens mineurs isolés étrangers. En France, un mineur sans autorité parentale est considéré comme en danger car il n’a pas la capacité juridique à agir par lui-même, il lui faut donc un représentant légal. Ainsi, un MNA bénéficiera d’une protection, celle de l’Aide sociale  l’enfance. Dans d’autres  pays ayant une autre législation, si le mineur est accompagné par une personne majeure, il ne sera pas protégé. Nous sommes passés ainsi entre 2005 et aujourd’hui, de 5000 mineurs étrangers à 40.000, et on avance le chiffre de 15.000 arrivées par an. Il s’agit essentiellement de garçons, ce qui révèle le caractère d’immigration économique qui domine chez eux. Les trois quarts ne sont d’ailleurs pas majeurs. La reconnaissance de leur minorité est le sésame pour être pris en charge. Cela pour un coût (hors service ASE) de 60 à 200 euros par jour en cas d’accueil d’urgence. Et cela n’est rien non plus ? Avec un flux qui ne cesse d’augmenter en raison d’un système très clément. Il a été renoncé à l’âge osseux (détermination de l’âge par une expertise osseuse accompagnée de divers examens complémentaires) qui permettait sans ambiguïté, en cas de doute, d’écarter les majeurs, avec une fourchette de deux ans favorable au demandeur (un âge osseux de 19 ans était ainsi ramené à 17 ans). On l’a remplacé par un entretien mené par des associations comme France Terre d’Asile ou la Croix Rouge, que l’on met en position de juge et parti, puisqu’étant fréquemment favorables à l’accueil inconditionnel de ces migrants aux tempes parfois grises. On répartit aussi ces jeunes dans les départements, de plus en plus exsangues financièrement. Après une période où ce dispositif a été mis en place par une circulaire en mai 2013 sous le ministère de la Justice de Madame Taubira, il a été inscrit dans la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. On peut encore ajouter à cette situation le fait que, lorsque l’entretien déboute de sa demande un individu jugé majeur, celui-ci peut s’empresser d’aller voir un juge des enfants pour faire appel de la décision et être ainsi placé à l’ASE malgré tout. Il ne reste plus aux Conseils départementaux que de faire appel de cette décision, finançant non seulement la prise en charge de l’individu, cela alors qu’il n’est pas mineur ni en danger, mais aussi les moyens de sa défense en Cour d’appel. Le Conseil départemental ayant recours lui-même à un cabinet d’avocat. S’est-on préoccupé de calculer le coût faramineux que cela représente alors que le budget de l’ASE est passé entre 2001 et aujourd’hui de 4 à 8 milliards de dépensent ? Et se préoccupe-t-on de trouver une parade à une telle situation d’abus de droit qui semble ne pas poser problème à ceux qui disent que tout va bien ? Ne risque-t-on pas au regard de ce déni, de finir par ne plus prendre en compte les MNA qui ont l’absolu besoin d’être accueilli, en raison de l’abus de ceux qui n’ont rien à faire dans ce dispositif essentiel ?

Le manque d'information sur ce sujet est-il de l'ordre de la naïveté ou de l’omission volontaire ? 

On est en droit de s’interroger de comprendre pourquoi il existe une telle réticence à regarder les choses en face, non pour jeter l’opprobre, mais en raison de la responsabilité que cela engage au regard de l’action publique. Tout autant que cela relève d’une question de justice entre les uns et les autres, au regard des abus qui existent, pour que la loi soit la même pour tous. La politique de l’immigration est une des grandes politiques de l’Etat aux mille implications. Il suffit de voir ce que donne aujourd’hui la présence sur notre sol d’une forte proportion parmi les immigrés ou leurs descendants, de personnes de confession musulmane, dont on considère aujourd’hui que 30% se mettent dans une position d’affrontement avec la République, avec un port du voile en nette augmentation. Selon une étude de l'Ifop réalisée en septembre 2019, en 2003, 24% des femmes se déclarant comme musulmanes disaient porter le voile, elles sont aujourd'hui 31%. Notre cohésion sociale se joue aussi dans la maitrise des flux migratoires. Il y a beaucoup d’autocensure avec une pression énorme de bien des médias acquis à la cause migratoire, avec des associations qui crient au loup dès que l’on évoque la chose avec sérieux, dont la plupart sont favorables à l’oubli des frontières, et ont transformé cette question politique en problème essentiellement humanitaire, quitte à confondre droit d’asile et immigration. De la même façon, cela va avec une adoption par les militants pro-migrants, d’une tendance à l’adhésion au modèle du multiculturalisme, et donc, mettant cet accueil lui-même en totale opposition avec notre modèle républicain. Mais cette tendance est aussi aidée par un flou entretenu, à l’aune de chiffres qui parfois ne nous disent pas grand-chose, sur la réalité de ce qui se joue. On ressent là cruellement l’absence d’une Haute autorité dans ce domaine, par essence indépendante, comme pouvait l’être le Haut conseil à l’intégration, que François Hollande président a cru bon d’éteindre en 2013, comme on élimine un problème en cassant le thermomètre. 

Quels enjeux en termes d'intégration dessinent les chiffres fidèles à la réalité ? 

Entre 2000 et 2017, selon l’ONU, la France a accueilli 1.624.065  personnes. Et ce n’est pas parce que le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont fait mieux que cela ne pose pas un problème et que l’on doit relativiser. Car, le fait que nous ne soyons pas un pays organisé sur le fondement du multiculturalisme qui reconnait juridiquement des droits aux communautés où se répartissent les individus selon leur religion, couleur ou origine, mais sur l’égalité des droits et libertés individuels qui favorise le mélange autant qu’il se peut des populations, les enjeux de l’intégration n’ont rien à voir. 

Pour la France c’est un véritable défi. La trace de ce mélange tient dans l’enquête TeO, trajectoire et origine  reprise par le HCI (2011) qui témoignait du fait, que concernant les couples mixtes, « un peu plus de quatre immigrés sur dix [vivaient] avec un conjoint né en France, et dans 90% des cas [qu’il s’agissait] d’une personne de la population majoritaire. » 

Maintenir un ascenseur social qui marche dans ces conditions, ressort d’un tour de force, dont il ne faut pas abuser, sinon les retours de bâton sont terribles. Alors qu’aujourd’hui selon l’INSEE, l’ascenseur social n’a pas disparu en France et porte encore ses fruits à tous les niveaux de notre société mais de façon inégale, ce sont les employés et ouvriers qui connaissent le plus le sentiment d’être déclassés et les agriculteurs, les jeunes précarisés toutes origines confondues, loin d’une victimisation des seules populations immigrées. D’ailleurs l’enquête TeO témoignait du fait, loin des victimisations habituelles, que la promotion sociale dans les populations immigrées était bien réelle. Prenant les parcours individuels, étudiés d’une génération à l’autre, on constatait que 74% occupaient des postes d’ouvriers qualifiés contre 62% pour leurs pères, 24% dans les professions intermédiaires contre 7%, 14% pour les cadres contre 4%. On manque cruellement de chiffres de ce côté pour savoir où nous en sommes, alors que sans les moyens d’un bon diagnostic on a tendance à paralyser l’action. Et ce, alors que les enjeux redoubles avec la progression sensible de l’immigration. 

On ne parle pas de la population carcérale étrangère, qui pourtant pèse dans cette appréciation qui consiste à savoir si l’immigration pose des problèmes, plutôt qu’elle serait un problème et comment. On en a même fait un incroyable reportage en novembre 2014, intitulé « Immigration et délinquance, l’enquête qui dérange » diffusé sur France 2, censée détruire les préjugés, mais qui a surtout caché la réalité pour induire un procès en racisme infondé à des membres de notre société qui s’interrogent sur ce sujet. Ce sont 22% des détenus qui sont des étrangers en 2017 contre 18,7% en 2015, plus de trois fois ce qu’ils représentent numériquement dans la population française. Cela, sans compter encore ceux qui Français, ont pour ascendant un parent immigré. On constate en regardant le tableau des écroués que cette proportion ne cesse d’augmenter d’une année sur l’autre, ce qui, hormis le coût que représente financièrement ces détenus, a un coût social non négligeable. Et dont les conséquences sur notre vie quotidienne ne sont pas secondaires. Circulez, il n’y a rien à voir ! La question de fond que pose cette situation ne doit pas justifier à stigmatiser, mais revient à poser la question de la faculté de notre pays à pouvoir intégrer. Et de ce côté, les choses ne sont pas jouées d’avance, comme je l’ai souligné plus haut concernant la faculté de ce modèle républicain égalitaire à continuer de favoriser le mélange des populations au lieu de la séparation, alors que nous voyons déjà des fractures s’affirmer avec un communautarisme islamique militant ou des groupes identitaires comme le Collectif représentatif des associations noires de France, le CRAN, réclamer un droit à la différence et à on ne sait quelle réparation en jouant sur les ressentiments du passé, qui confine à le différence des droits et à l’affrontement avec le reste de notre société. 

Cette intégration qu’on voudrait réussie, dépend aussi des exigences qu’on y inscrit, qui sont bien confuses derrières les compromis d’une éducation où l’argument de la diversité des cultures prend trop souvent le pas sur les repères communs. Il y a du côté de l’éducation une part énorme de responsabilité et donc, de l’école, car une intégration réussie on le sait bien, passe par la maitrise de la langue et l’adhésion aux valeurs. Ce n‘est pas pour rien que le Contrat d’intégration républicaine contient un module d’accès au français, de connaissance de nos institutions et de la société française. L’avenir dans ce prolongement, est loin d’être écrit.

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