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Pourquoi la France devrait résister à la tentation de répondre par des interdictions à tous les défis qu’elle rencontre
©Reuters

Interdit d'interdire

En l'espace d'une semaine, de nombreuses personnalités politiques se sont succédé pour proposer des interdictions diverses et variées : voile, kippa, les listes communautaire, interdiction de la corrida aux mineurs...

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico : D'où vient cette volonté de vouloir tout interdire ? N'est-ce pas contradictoire pour un pays qui a fait de la liberté la première de ses devises ? 

Yves Michaud : Effectivement, au pays de la liberté, on ne parle que d’interdictions.

J’y vois au moins trois raisons.

D’abord comme nous sommes habitués depuis des décennies à une gestion de la totalité du monde par la loi, c’est-à-dire à la substitution totale du législatif à l’exécutif, si quoi que ce soit ne tourne pas rond, on réclame à cor et à cri « une loi ». Or la loi délimite, interdit et définit des infractions. Un problème avec les vêtements et insignes religieux ? Il faut faire une loi pour interdire et réglementer. Le si regretté Chirac, surtout célèbre pour le nombre de femmes qu’il troussa, inaugura ce triomphe de la loi. Pour un peu il aurait introduit la prohibition du harcèlement sexuel dans la Constitution !

Ensuite, l’appel systématique à l’interdiction est le symptôme du manque de convictions républicaines. Comme on ne sait plus très bien ce qui relève du respect de la République ou non, alors on codifie. Bientôt ça va être le tour des taureaux et des sangliers ! Il vaudrait mieux enseigner quelques principes républicains de manière à ce que les gens les intériorisent, les respectent en leur for intérieur. Mais comme personne n’ose plus définir un principe républicain (voyez le mauvais procès fait à Blanquer pour ses prises de position laïques!), alors on va réglementer. Le comble du ridicule sera de transformer les policiers en surveillants de kippa et les juges en instructeurs de cas de port de la kippa. Il faut dire que les juges adorent s’occuper de tout ce qui les regarde, y compris quand ça ne les regarde pas. Voyez comment, tels des Kenneth Starr (le procureur spécial qui cherchait à savoir combien de fois Clinton avait éjaculé sur la petite robe bleue de Monica Lewinsky), nos juges d’instruction se passionnent pour les « viols » de Ramadan alors que tout ça finira par un non-lieu ou une relaxe… Dame, il y a du porno gratuit….

Troisième raison : comme le pays n’est plus « fracturé » mais « atomisé » en clientèles, les politiciens ont tous en rayon un stock de propositions d’interdictions pour leurs clientèles du jour : pour les âmes sensibles, interdiction de la corrida, pour les écolos, interdiction des chats qui mangent des croquettes pas bio, pour les vélocipédistes interdiction du vélo électrique, pour les fraudeurs fiscaux, interdiction des inspections fiscales, pour les adhérents de LREM « en même temps » et les indigénistes racialisés interdiction de l’expression « c’est blanc ou c’est noir », pour les mahométans, interdiction du haram. Dans cette direction, l’inventivité a de beaux jours devant elle.

Alors que la France se targue d'être le pays des libertés et des lumières, cette allergie soudaine à la liberté ne cache-t-elle une maladie bien plus grave ? Ne revenons-nous pas en arrière ? Est-ce là un paradoxe typiquement français ? 

La gravité de la maladie est spécifiquement française mais « tous sont touchés ». La bureaucratie de Bruxelles fait merveille dans le genre. Un exemple désopilant : elle a défini la notion de fleuve et Ibiza où il n’y a pas une goutte d’eau s’est retrouvée avec...50 fleuves. Belle aubaine : tout le monde va demander des crédits pour entretenir les dits fleuves. Idem pour les oliviers : s’ils ont moins de sept ans, ils ne doivent pas produire plus de cinq kilos, entre sept et dix ans, ils ont le droit de produire dix kilos. Au-delà de quinze ans, ils ont droit à produire vingt kilos. Entre parenthèses, plus un olivier vieillit, moins il produit…. Cherchez l’erreur ! Notre époque adore compter, enregistrer, quantifier, et ça fait du big data. Google Earth m’a ainsi appris qu’en septembre j’avais parcouru...trente-sept kilomètres à pied. Ils vont sûrement me proposer d’acheter des chaussures...

A cette maladie de la quantification, s’ajoute en France la maladie bureaucratique. Je me souviens encore des collègues universitaires en réunion face à des cas compliqués. Il y avait toujours un imbécile (et souvent plusieurs!) pour dire : « y-a-t-il un texte ? ». Lire les circulaires du Ministère de l’éducation nationale est plus drôle que lire Courteline.

 Selon le philosophe, John Stuart Mill : "La liberté de l'individu doit être ainsi bornée : il ne doit pas se rendre nuisible au autres". En France, l'interdiction de la cigarette sur les plages ou du vapotage dans certains lieux publics peut paraître étonnante. Allons-nous trop loin ? N'est-ce pas là l'exemple d'une conception dévoyée de la liberté?

Le problème est qu’on croit de mieux en mieux connaître les conséquences de tout, avec pourtant une méconnaissance de la complexité de la causalité et des séries causales sidérante et abyssale. Et la complicité active de faux savants et de vrais lobbyistes. Jamais l’évaluation de la connaissance scientifique n’a connu une telle régression. Je ne suis pas certain que je pourrais mener aujourd’hui un projet encyclopédique comme celui de l’Université de tous les savoirs de l’an 2000. Il y aurait toujours un syndicat d’abrutis pour réclamer une conférence sur le fait qu’en réalité la terre est plate. Un jour on vous explique que le vapotage va vous sauver et le lendemain qu’il est dangereux. Un jour on vous explique que, tels le perroquet de madame Hidalgo, il ne faut manger que des graines, un autre qu’il faut quand même manger un peu de viande. Un jour on nous dit herbivore, un autre jour omnivore, un troisième carnivore. Je connais des gens qui, invités chez vous, vous demandent ce qu’il y a dans tous les plats mais que ça n’empêche pas de siffler allègrement le champagne. Bientôt l’effet papillon va conduire à l’interdiction des dits papillons.  Et Bruno Le Maire instituera une taxe pour faire barrage au cancer.

Excusez-moi de prendre ça par la dérision mais franchement, j’ai envie de dire avec Almodovar « qu’est-ce que j’ai fait au ciel pour mériter ça ? ».

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