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Conseil des ministres franco-allemand : Angela Merkel et Emmanuel Macron ne peuvent plus cacher la crise du couple moteur de la construction européenne
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Drôle de guerre

Le conseil des ministres franco-allemands a lieu demain à Toulouse. Cette institution créée en 2003 est censée favoriser la coopération franco-allemande. Celle-ci a cependant du plomb dans l'aile avec les différents rebondissements dans la nomination des commissaires européens.

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Le conseil des ministres franco-allemands a lieu aujourd'hui à Toulouse. Cette institution créée en 2003 est censée favoriser la coopération franco-allemande. Celle-ci semble pourtant très vacillante, voire à l'arrêt, comme le refus de la nomination de Sylvie Goulard a pu le montrer.

Atlantico : La crise autour de la nomination de Sylvie Goulard n'est-elle pas révélatrice d'une crise plus profonde du couple franco-allemand ? Est-ce que cela ne va pas jeter un froid dans les relations franco-allemandes à long terme ?

Jérôme Vaillant : Le refus du Parlement européen de valider la candidature de Sylvie Goulard est un douloureux échec personnel pour cette grande Européenne et un camouflet pour le Président Macron qui accumule actuellement les maladresses sur la scène parlementaire européenne – qui, cependant, n’est pas la scène européenne principale. Maladresses qui commencent avec le refus d’accepter le principe du Spitzenkandidat choisi par le Parlement européen dans le souci de mieux organiser le choix du président de la Commission européenne et surtout dans celui de se soustraire autant que possible aux accords entre chefs d’Etat et de gouvernement. Jugeant incompétent la tête de liste du PPE, Manfred Weber, un chrétien-démocrate bavarois pourtant bon teint, Emmanuel Macron a tablé sur son autorité personnelle et des accords entre états-majors pour rebattre les cartes. Il a sous-estimé le malaise qu’il provoquait ainsi au sein de l’ensemble des groupes politiques représentés au Parlement européen et, tout particulièrement, du PPE qui lui a rendu la monnaie de sa pièce en s’opposant à la candidature de Sylvie Goulard.

Alors qu’au moment de son élection Emmanuel Macron bénéficiait d’un large crédit comme européen désireux de faire avancer la cause européenne et de réformer l’Union, il n’a pas su forger les alliances politiques nécessaires sans doute parce que celles-ci auraient nécessité de faire trop de compromis à ses yeux et de diluer son projet européen. En proposant Sylvie Goulard qui avait le soutien affirmé de la future présidente de la Commission européenne, il a donné les verges pour la fouetter et se faire fouetter lui-même en même temps sous-estimant, malgré les grandes qualités de la candidate, sa fragilisation en raison de l’enquête judiciaire la visant sur les emplois fictifs du Modem. 

Le rejet de la candidature de Sylvie Goulard n’est pourtant qu’un épiphénomène. Aussi dommageable que ce soit pour elle et pour l’Europe qui aurait besoin de resserrer les rangs en période de Brexit et de désaccords sur la politique migratoire et sur les grandes questions de politique étrangère, cela ne devrait pas se transformer en crise franco-allemande. A l’occasion de sa rencontre à Paris avec Emmanuel Macron, Angela Merkel a d’ailleurs – comme cela est mis en évidence sur le site du ministère allemand des Affaires étrangères - insisté pour toutes ces raisons sur la nécessité pour la France et l’Allemagne d’être plus que jamais le moteur de l’Europe. Pour la chancelière, les fondamentaux franco-allemands sont plus nécessaires que jamais pour donner à l’Europe de la puissance.

La construction européenne a souvent reposé sur le "moteur" franco-allemand. Aujourd'hui, c'est visiblement l'Allemagne qui mène le jeu, et la majorité que le PPE a obtenu au Parlement (dans laquelle les Républicains sont minoritaires) confirme cette réalité. Est-ce que ces crises marquent une forme de victoire du camp allemand ?

En Allemagne-même, il n’est guère d’observateur qui estime que ce serait l’Allemagne qui mènerait aujourd’hui le jeu en Europe parce qu’en la personne d’Ursula von der Leyen la Commission serait présidée par une Allemande. Le PPE n’est qu’en apparence en position de force et les débuts d’Ursula von der Leyen sont plutôt laborieux. Il ne lui est qu’imparfaitement pardonnée d’avoir – même si ce n’était pas de son fait - évincé Manfred Weber et surtout elle va devoir forger des alliances si elle veut faire avancer les choses.  

Mais le pouvoir est-il au Parlement européen ? Sur ce plan, l’analyse d’Emmanuel Macron n’est pas entièrement fausse. Le pouvoir politique reste dans les mains du Conseil des ministres européen qui représente les Etats et le pouvoir monétaire, dans celle de la BCE. Que celle-ci soit présidée par une Française n’est pas pour autant la garantie de plus de pouvoir accordé à la France, ne serait-ce qu’en raison de l’indépendance statutaire de la BCE en matière de politique monétaire. Quand, de 2003 à 2011, Jean-Claude Trichet, ancien gouverneur de la Banque de France présidait la BCE, avait-on le sentiment qu’il œuvrait au nom de la France ? Ce qui importait, c’était la politique monétaire orthodoxe qu’il n’a cessé de mener. Dans l’immédiat, il faut attendre l’installation des nouvelles têtes élues en Europe pour voir si et ce qu’elles pourront changer au sein de l’Union européenne. Pour l’instant il y a des défis à relever, on voit seulement poindre des débuts de solution !

La rencontre d'aujourd'hui peut-elle arranger les choses ? Est-ce que ce sont les exécutifs qui vont réussir à dépasser les clivages des camps politiques distincts ?

La rencontre à Paris entre le Président français et la chancelière allemande avait pour objectif de préparer le conseil des ministres franco-allemand qui a lieu à Toulouse ce mercredi 16 octobre. La proximité du Conseil européen prévu à Bruxelles les 17 et 18 octobre a eu pour effet que cette rencontre a d’abord servi à faire le tour des grands problèmes internationaux, à commencer par le Brexit, l’Iran, la Syrie, etc. La question des droits d’auteur voisins qui est au programme de Toulouse apparaît en comparaison presque accessoire.

Les Conseils des ministres franco-allemands ont pris le relais des sommets franco-allemands arrivés à bout de souffle. Il s’agissait lors de leur mise en route à partir de 2003, à l’occasion du 40e anniversaire du Traité de l’Elysée, de créer un cadre qui favorise une approche plus concrète de la coopération franco-allemande, de dépasser la seule symbolique pour régler pas à pas dans la durée des problèmes qui se posent  par exemple en terme de droit dans la coopération transfrontalière, dans le cadre de la politique culturelle, de la recherche scientifique et technique, de la recherche spatiale – cela s’imposera particulièrement à Toulouse qui n’a pas été choisie pour rien  comme lieu de rencontre - mais aussi dans celui de la transition énergétique et de la crise du climat. Bref, il s’agira effectivement de préparer la mise en œuvre du Traité d’Aix-la-Chapelle, signé début 2019, qui prévoit 15 projets prioritaires à réaliser dans les années à venir.

Là où les sommets franco-allemands passés donnaient le sentiment d’être faits plus pour la « galerie » qu’ils ne mettaient en œuvre de nouveaux projets, les Conseils des ministres franco-allemands œuvrent plus discrètement à faire avancer concrètement les choses et profitent, pour ce faire, des multiples rencontres qui ont lieu tout au cours d’une année dans les différents ministères. En ce sens, oui, la coopération franco-allemande a besoin de la coopération entre les exécutifs – tout comme elle ne peut se passer, au niveau des peuples et des sociétés, de ce que les hommes et les femmes entreprennent dans le cadre d’associations, de jumelages, d’appariements d’écoles et de lycées, etc. 

Est-ce que cette crise n'est pas plus profonde ? Dans ce contexte, les exécutifs seraient dépassés par des opinions en France et en Allemagne divergentes...

Ma réponse précédente inclut l’idée que si les exécutifs sont nécessaires, les peuples doivent participer et prendre leur part de la coopération franco-allemande. L’un ne va sans doute pas sans l’autre. La création de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ) en 1963 a permis de déléguer aux hommes et femmes des pans entiers de la coopération franco-allemande qui n’aurait sans doute pas autant prospérer sans cela. Après la chute du Mur et les nouveaux pas engagés dans le rapprochement entre l’Allemagne et la Pologne, un office germano-polonais pour la jeunesse a vu le jour à peu près sur les mêmes bases. La coopération franco-allemande a même donné l’idée de développer des instruments pour favoriser les œuvres de réconciliation entre communautés qui se sont combattues. C’est le cas au Rwanda. Ce n’est pas rien même s’il faut bien avouer qu’on ne voit pas ce qu’une telle « boîte à outils » pourrait faire en Palestine et en Israël.

Force est pourtant de constater que d’une génération à l’autre les engagements ont changé parce que l’intérêt porté au voisin n’est plus le même – peut-être d’ailleurs parce qu’on pense aussi le connaître par d’autres moyens tels que les voyages, la télévision, les livres et le cinéma. De nombreux anciens du franco-allemand déplore un désengagement fondé sur un plus rand désintérêt des Allemands pour la France et des Français pour l’Allemagne. Cela va sans doute de pair avec la crise de confiance que connaît l’Europe et la montée des populismes. Plus de cohésion entre les politiques et moins de querelles d’egos dans la course aux nominations serait sans doute salutaire. Si les Français sont traditionnellement plus sceptiques face à l’Europe que les Allemands, les élections européennes ont montré que c’est un véritable engagement pour l’Europe qui s’en dégage en Allemagne. Selon l’Eurobaromètre de la Commission européenne et du Parlement européen, l’opinion publique en Allemagne fait confiance à 81 % à l’euro (72 % en France) et 76 % des Allemands estiment que l’appartenance de leur pays à l’UE lui a bénéficié, contre 64 % en France. 70 % pensent que la voix de l’Allemagne est écoutée dans l’Union européenne, 44 % seulement des Français le pensent de leur pays.

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