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Inquiétudes sur la bioéthique : ces autres dispositions votées par l’Assemblée que le débat sur la PMA a masquées
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Habile

Après plusieurs mois de débats et un demi-million de manifestants, la loi sur la PMA sans père a finalement été adoptée à l'Assemblée mardi 15 octobre.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Olivia Sarton

Olivia Sarton

Olivia Sarton est directrice adjointe juridique et communication de l'association Juristes pour l'enfance et une ancienne avocate. 

 

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Atlantico : Si la tête de l'iceberg concerne l'ouverture de la PMA aux lesbiennes et aux femmes seules, le projet de loi portait également d'autres projets moins médiatisés (congélation des ovocytes, cellules-souches embryonnaires, tests génétique, embryons chimériques). Quelles mesures (hors PMA pour les couples de femmes et les femmes célibataires) ont été finalement adoptées ?

Aude Mirkovic : Le projet aborde en effet de nombreux sujets passés plus ou moins inaperçus : il instaure l’autoconservation des gamètes dite de convenance, car sans indication thérapeutique liée à un risque de stérilité, pour pouvoir procréer plus tard au moyen de la réalisation ultérieure d’une assistance médicale à la procréation » (art. 2) ; il tente d’élargir les possibilités de don croisé d’organes en accroissant le nombre de paires de donneurs et de receveurs consécutifs (aujourd’hui limité à deux paires) et en intégrant dans ce schéma le recours éventuel à un organe prélevé sur une personne décédée (art. 5). Le projet élargit les possibilités de don par un mineur ou majeur sous tutelle de cellules au profit de son père ou de sa mère, ainsi que pour le majeur sous tutelle au profit de son cousin germain ou sa cousine germaine, son oncle, sa tante, son neveu ou sa nièce. (art. 6). 

Il comporte tout un volet génétique qui vise à exploiter au maximum les informations génétiques, recherchées comme découvertes de façon incidente, au profit de la personne elle-même mais aussi de sa parentèle qu’elle a l’obligation d’informer, des mesures équivalentes de transmission de l’information étant prévues en cas de don de gamètes et de naissance sous X (art. 8 et s.). Le but est que des mesures de soin ou de prévention puissent être proposées mais le résultat est plutôt invasif et interroge en termes de respect du secret médical. Par ailleurs, le projet accroit les missions confiées au conseiller en génétique (art. 23), dans cette même perspective sinon de « tout génétique », en tout cas de plus en plus de génétique. 

Le projet achève ce qui restait de protection de l’embryon puisqu’il distingue entre les recherches sur l’embryon proprement dit, qui sont toujours soumises à autorisation, et les recherches menées sur les cellules souches embryonnaires qui relèvent de la simple déclaration alors que l’obtention de ces cellules embryonnaires supposent la destruction d’un embryon dans le cadre d’une recherche préalable (art. 14). Le projet précise que les recherches sur des cellules souches induites (reprogrammées en cellules pluripotentes) peuvent avoir pour objet d’obtenir des gamètes à partir de ces cellules, autrement dit des gamètes artificiels, et n’exclut pas la fécondation de ces gamètes. Au passage, il supprime l’interdiction de fabriquer des embryons chimériques, mélange humain/animal, puisque seule l’adjonction de cellules d’autres espèces dans des embryons humain est interdite mais non l’inverse (art. 17). 

Le projet touche encore à l’interruption médicale de grossesse, pour étendre explicitement ce qui était déjà prévu pour l’interruption volontaire de grossesse, à savoir notamment la possibilité pour la jeune femme mineure de se passer du consentement de ses parents.  

Pour finir, le projet intègre des dispositions visant les enfants présentant une variation du développement génital » (art. 21 bis ), autrement dit les enfants pour lesquels il est délicat de déterminer à la naissance s’ils sont des garçons ou des filles : d’emblée on constate que les termes employés ne conviennent pas car, sous prétexte de ne pas « stigmatiser », le projet parle de variations alors qu’il s’agit d’anomalies des organes génitaux,  de simples variations n’appelant pas la réponse thérapeutique visée par le même texte. 

Enfin, de façon incidente, le Parlement autorise le gouvernement à prendre par voie d’ordonnances toute une série de mesures concernant la mise en conformité du droit français aux exigences européennes en ce qui concerne les dispositifs médicaux, les recherches impliquant la personne humaine ou certains aspects touchant aux médicaments.  

Dans quelle mesure cette loi et ces mesures conduisent-elles à un contrôle scientifique de plus en plus intrusif de notre corps biologique ?

Olivia Sarton : A titre de préambule, il faut souligner que souvent ce n’est pas en réalité ce projet de loi qui conduit en soi à un contrôle scientifique de plus en plus intrusif. La difficulté est que la science s’est donnée pour but de parvenir au contrôle de notre nature humaine, et que la loi en France mais comme dans les autres pays, intervient toujours a posteriori pour encadrer (ou pas) les avancées de la science. 

On est en quelque sorte toujours « mis au pied du mur » ; la finalité avancée étant le recul de pathologies très graves, le bénéfice pour l’être humain, il est très difficile de développer une réflexion posée et fondée, avec le temps nécessaire pour évaluer, soupeser. 

Il est vrai que dans le cas de l’autoconservation des gamètes sans indication médicale, c’est bien la loi qui incite au contrôle de notre corps : en adoptant cette disposition, elle incite les personnes à reporter une grossesse, et donc encourage ainsi à passer d’une procréation a priori naturelle à un âge où le corps a plus de facilité à procréer, à une procréation plus tardive et nécessairement réalisée par le recours à une FIV. 

En ce qui concerne le développement de la recherche sur les caractéristiques génétiques, la diffusion de l’information etc…, la loi ne fait que prendre acte des travaux de la science qui vise, comme vous le soulignez, à mettre notre corps sous contrôle. Et cette surenchère du contrôle de notre corps soulève de nombreuses difficultés.

Déjà des membres de la communauté scientifique alertent sur les diagnostics génétiques et les politiques de dépistage élargies de pathologies avec les réserves suivantes : 

  • Les dépistages génétiques ne font pas toujours la preuve scientifique de leur efficacité à éviter le développement des maladies recherchées et le décès des personnes atteintes par ces maladies,

  • Les actes médicaux réalisés à titre préventif, une fois détectée une anomalie génétique, n’améliorent pas nécessairement l’espérance de vie des personnes qui les subissent,

  • Le dépistage amène à traiter des risques de maladie et non des maladies avérées, alors même que ces traitements sont lourds pour la personne concernée,

  • Les informations génétiques révélées menacent la vie des personnes sur lesquelles elles ont été menées et l’avenir de leur famille : parfois, la situation décelée reste sans solution médicale satisfaisante alors même que la détection génère une forte angoisse de l’avenir.

Il est nécessaire de prendre conscience que les anomalies génétiques constatées ne vont pas nécessairement générer de maladies, sans que l’on puisse savoir pourquoi dans un cas une maladie se développera, et pourquoi dans un autre cas en apparence identique, la maladie ne se développera pas. Or, outre l’angoisse générée pour les personnes, le diagnostic génétique entraîne des conséquences matérielles non négligeables. Pensons par exemple aux assurances. Une personne qui veut contracter une mutuelle, une assurance décès, une assurance pour un prêt immobilier etc… doit remplir un questionnaire médical et le bénéfice de l’assurance est lié à la véracité des déclarations faites. Une personne dont le diagnostic génétique aura mis en évidence une anomalie sera pénalisée au regard de l’assurance, alors même qu’elle ne développera peut-être jamais de maladie. 

Alors que des médecins soutiennent qu’un dépistage n’est utile, éthique et acceptable que s’il offre des solutions satisfaisantes aux personnes dépistées, cette réflexion n’a pas été prise en compte dans le projet de loi bioéthique.

Pourquoi ces sujets ont-ils été peu entendus ? Pourquoi l'ouverture du droit à la PMA est resté le seul sujet pour bon nombre de nos concitoyens ?

Aude Mirkovic : Le Parlement se comporte en matière de bioéthique comme s’il était auto-proclamé et oublie qu’il représente le peuple français. Les citoyens sont à peine tolérés à donner leur avis, par exemple dans le cadre des états généraux de la bioéthique qui ont eu lieu en 2018 en vue de ce projet de loi, mais ensuite cet avis est ignoré et le processus parlementaire continue comme si de rien n’était. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue le 6 octobre, et aucune réaction politique. Ignorés, méprisés, balayés d’un revers de main. Il faut que les Français réalisent ce qui est en train de se passer et ce que le Parlement est en train de voter. Beaucoup de députés n’ont pas eux-mêmes pris conscience des enjeux, accaparés qu’ils sont sur d’autres sujets : quand la question des embryons chimères a été abordée lors de la manifestation géante du 6 octobre, le Quotidien s’est permis de commenter que c ‘était « n’importe quoi » : c’est tellement en effet « n’importe quoi » que les journalistes n’y ont pas cru ! Leur amateurisme journalistique est sans doute regrettable, mais leur étonnement est révélateur : et combien de députés ont-ils réalisé en votant le texte le 15 octobre ce qu’il contenait ? Mais l’ignorance est vaste car, même sur la PMA, les députés et les citoyens sont souvent loin d’avoir réalisé l’enjeu : la PMA pour les femmes célibataires et les couples de femmes n’est que l’arbre qui cache la forêt. Le projet supprime la condition d’infertilité pour avoir accès à la PMA, ce qui signifie non seulement la PMA pour toutes mais pour tous, y compris les couples homme/femme fertiles, les plus nombreux et qui sont la cible réelle du marché de la procréation qui est derrière ce projet. La PMA pour les femmes pose des problèmes en elle-même, mais elle n’est en réalité que le prétexte pour faire sauter le « verrou thérapeutique » actuel et permettre le développement du business : ce marche se chiffre aux alentours des 25 milliards de dollars aux États Unis. C’est ce marché de l’humain, du sperme, des embryons, des grossesses dont nous parlons. Les conditions de vie génèrent de plus en plus d’infertilité mais la recherche pour soigner l’infertilité ne trouve pas de financement car le marché préfère proposer des PMA, cela rapporte beaucoup plus. Si les Français ne veulent pas de ce marché de la procréation humaine, il doivent le dire, le dire à leurs sénateurs maintenant puisque le texte va arriver au Sénat !

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