L’islamo-paranoïa des défenseurs auto-proclamés des musulmans français<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Religion
L’islamo-paranoïa des défenseurs auto-proclamés des musulmans français
©Jean-Pierre MULLER / AFP

Essentialisation

Alors qu'une tribune publiée dans le Monde et signée par 90 personnalités demande à Emmanuel Macron "d'agir contre l'islamophobie", le climat actuel se teinte d'une recrudescence de paranoïa, dans plusieurs secteurs de la société.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

Voir la bio »
Rafik Smati

Rafik Smati

Rafik Smati est Président du parti politique Objectif France. Entrepreneur, Il a publié  « French Paradise » (juin 2014), « Révolution Y : la génération qui va redessiner l'Europe » (2013),  « Eloge de la vitesse : la revanche de la génération texto » (2011),  « Vers un capitalisme féminin » (2010).

Voir la bio »

Atlantico : Dans la foulée de la déclaration d'Emmanuel Macron appelant à bâtir "une société de la vigilance" pour combattre "l'hydre islamique", l'Université de Cergy-Pontoise a diffusé auprès de ses 1800 employés un document visant à déceler les signaux faibles de radicalisation, tels que l’absence au moment des heures de prières ou le port de la djellaba. Face aux accusations contre ce que certains estimaient être une attaque contre les musulmans, l'Université s'est rétractée au bout de quelques heures. En quoi est-ce révélateur d'une forme de paranoïa dans le débat public, qui n'est d'ailleurs généralement pas propre aux musulmans ?

Philippe d’Iribarne : Nous sommes confrontés à une question redoutable, qui concerne éminemment les musulmans, mais qui est plus générale. Notre époque proclame comme valeur suprême la reconnaissance de l’égale dignité de tous les choix de vie, de toutes les cultures, de toutes les religions. Tout ce qui jure avec une telle reconnaissance est immédiatement taxé de stigmatisation, de discrimination. Le mariage gay, la PMA pour les couples de lesbiennes s’inscrivent dans ce mouvement. Or les propos d’Emmanuel Macron et les conséquences pratiques susceptibles d’en être tenues viennent directement heurter ce principe devenu sacré. Comment remarquer que certaines réalités propres à l’islam font spécifiquement problème, qu’elles méritent une attention particulière, sont porteuses d’une menace que l’on ne retrouve pas pour le christianisme ou le judaïsme, sans affirmer ipso facto que l’islam a quelque chose de spécifique et demande à être traité en conséquence ? Certes, de grandes précautions sont prises pour tenter d’écarter une telle interprétation. Quand il s’est agi de bannir la tenue islamique de l’école, on a pris soin de prendre une mesure concernant les signes religieux en général, quand il s’est agi de bannir la burqa on a pris soin de parler de dissimulation du visage dans l’espace public en général. Emmanuel Macron a pris soin de dire qu’il ne s’agissait pas de s’attaquer à une religion prise dans son ensemble. Mais personne n’est vraiment dupe et on voit bien que l’islam est spécialement concerné. La grande difficulté où nous sommes est liée au fait que, après avoir dit qu’il existe des problèmes liés à l’islam mais que l’islam n’est pas affecté dans son ensemble, on n’a pas défini le périmètre de ce qui fait problème. Ainsi, on voit bien qu’il existe une sorte d’écosystème du terrorisme islamique, mais quelles sont ses frontières ? La confusion qui en résulte favorise la paranoïa ambiante.

Rafik Smati : L’heure est grave pour la France. L’attentat de la Préfecture de Police de Paris a démontré une chose : le fondamentalisme islamiste s’est infiltré dans tout l’édifice étatique, dans nos services de renseignement, dans nos armées, dans nos centrales nucléaires, dans nos services de sécurité aérienne, et dans bien d’autres domaines sensibles. Les pouvoirs publics le savent, mais la lâcheté les conduit bien souvent à ignorer le mal, plutôt qu’à l’affronter.

Pour combattre ce mal, il est nécessaire de se poser une question préalable essentielle : « quel est le but que poursuivent les fondamentalistes ? » Leur but est de fracturer la France, de la diviser, pour créer les conditions d’un affrontement communautaire dont ils pourraient ensuite se servir pour assoir leur emprise sur la société. Ils ne veulent pas le bien des Musulmans de France : ils cherchent au contraire à les marginaliser, à les instrumentaliser.

L’art de la guerre consiste à comprendre les objectifs de l’ennemi, à décoder son plan de bataille, pour ensuite le contrer, en ayant un coup d’avance. C’est là que le bât blesse. Le Président de la République a présenté son concept de la société de vigilance. Certains voient en cette annonce une preuve de prise de conscience et de courage politique. J’y vois davantage une réaction pavlovienne, qui est exactement celle qu’attendaient ceux qui nous attaquent.

La France n’est pas un pays communautaire. Elle est une nation en mouvement, dans laquelle ceux qui y ont été accueillis ont fait corps avec elle, pour ne former qu’une seule et même communauté : la communauté nationale. Telle est la grandeur et la force de notre pays. Et c’est cela que les ennemis de la France veulent casser. 

Ils veulent instiller la peur, la terreur, ce qui est le propre du terrorisme. Alors de grâce, ne tombons pas dans leur piège ! Ne leur faisons pas ce cadeau ! N’ayons pas peur. Cessons de réagir : agissons !

Par ailleurs Daniel Schneidermann a expliqué dans un article : "Je me mets à la place d'un Musulman en France. Comment peut-il recevoir ces signes de défiance d'une autre manière que les Juifs lors de l'Affaire Dreyfus" concernant l'arrivée d'Eric Zemmour sur CNews. Dans quelle mesure cette paranoïa se nourrit de confusion historique ? 

Rafik Smati : Je me refuse à établir des hiérarchies entre les souffrances ou à les comparer. Cela est une insulte faite à l’histoire, ainsi qu’à ceux qui en ont été les témoins ou les victimes.

Il n’en demeure pas moins que le contexte de tension actuel rend plus difficile le quotidien de nombre de jeunes français de confession musulmane. Ceux-ci peuvent parfois se sentir mal aimés, ostracisés, marginalisés. Et en particulier pour trouver un emploi. Encore une fois, n’oublions pas que c’est le but recherché par l’ennemi ! Les fondamentalistes cherchent à transformer la désespérance de ces jeunes en une croisade, et leur pessimisme en une haine de la France.

Quant aux Français de confession juive, puisque vous en parlez, ils traversent une période difficile. Ils sont très nombreux à avoir quitté la France ces dernières années du fait d’un antisémitisme galopant et mortifère. Cela est grave, car un Juif français est avant tout un Français. Et un Français qui s’exile car il ne se sent plus en sécurité chez lui, c’est un signal alarmant de déclin.

D'une manière générale, ce sont aujourd’hui une majorité de Français, de toutes les origines et de toutes les religions, qui ont peur de l'avenir. Et hélas pour de bonne raisons. Or la peur est un moteur mortifère. Seule une vision positive de l’avenir associée à une grande ambition pour notre Nation peut offrir à notre peuple une voie de sursaut.

Philippe d’Iribarne : Une réussite majeure des islamistes et de leurs compagnons de route est d’être arrivés à faire acquérir une certaine crédibilité à l’assimilation des musulmans d’aujourd’hui aux juifs de naguère. Bien sûr cette assimilation est factice. Lors de l’affaire Dreyfus il n’y avait pas de terrorisme juif, ni de tentative de construire une contresociété juive refusant les valeurs de la République, ni de refus de s’affirmer Français de la part d’un bon nombre des juifs de France. Le capitaine Dreyfus lui-même, était, selon le vocabulaire de l’époque, un juif totalement « assimilé » et parfait patriote. Les accusations contre Dreyfus ont été fondées sur de purs mensonges, la fabrication de prétendues preuves, un manque d’examen du sérieux de celles-ci, tout ceci associé à des représentations fantasmatiques des juifs. Hélas, la situation est bien différente avec les musulmans d’aujourd’hui. Le terrorisme islamique sévit, une contresociété islamique refusant les valeurs de la République (liberté de conscience, égalité entre hommes et femmes) prospère. Dans les territoires concernés, traiter quelqu’un de « Français » est devenu une injure. 

Ceux des musulmans, et ils sont nombreux, qui sont aujourd’hui aussi bien assimilés que Dreyfusi l’était en son temps sont fort bien reçus par la société française. La situation n’est donc nullement comparable à ce qu’a été celle des juifs. Ce sont ceux des musulmans qui se tiennent à l’écart de cette société, voire la rejettent violemment, qui son l’objet de signes de défiance. Ils ne peuvent s’étonner. On peut critiquer à bon droit le style apocalyptique d’Eric Zemmour, ne pas partager son adhésion à la théorie du « grand remplacement », lui reprocher de faire plus appel à l’émotion qu’à l’intelligence des faits, mais je n’ai pas l’impression que la défiance qu’il manifeste s’étende à ceux des musulmans attachés à respecter pleinement les valeurs de la société qui les accueille.

Qu'est-ce qui permettrait de cesser avec ces formes de paranoïa ? 

Philippe d’Iribarne : Il faut absolument revenir à un discours de vérité, fondé sur une appréhension rigoureuse des faits, concernant l’accueil que les sociétés occidentales offrent à l’islam et aux musulmans. Pour ma part, c’est en ce sens que je travaille. C’est pour permettre un tel retour au réel que j’ai entrepris une déconstruction minutieuse des prétendues preuves de l’islamophobie de l’Occident (déconstruction présentée dans Islmophobie, intoxication idéologique). Dès qu’on appréhende les faits, dans leur complexité, on voit que l’amalgame paranoïaque, accusant toute attention prêtée aux aspects sombres de l’islam d’être à la source de l’attentat de Christchurch, est aussi délirant que l’amalgame voyant en tout musulman un terroriste en puissance. Les musulmans qui ont fait le pas de pleinement s’intégrer dans le monde occidental devraient s’associer beaucoup plus qu’ils ne le font actuellement à la dénonciation, au-delà des actes terroristes proprement-dits, de l’ensemble de l’écosystème au sein duquel ces actes trouvent leur source. Plus ils seront actifs, en paroles et en actes, dans cette dénonciation, moins l’effort qui s’impose  pour combattre cet écosystème risquera d’être perçu comme un signe de défiance envers l’islam et les musulmans dans leur totalité. 

Rafik Smati : La paranoïa est un symptôme, parmi d’autres, de la crise identitaire grave que traverse notre pays.

La France a été abîmée par tant d’années de renoncements, de lâchetés, de clientélisme, de politiquement correct, de bien pensance. Le rapport à l’ordre, qui est pourtant le fondement même du contrat social, a été dévoyé. Le rapport à la Nation a été abîmé. La grandeur passée de la France est devenue un motif de honte. La fierté s’est muée en culpabilité. L’ambition s’est transformée en peurs.

C’est pourquoi il est maintenant urgent de réarmer la France : réarmer la France sur le plan de la sécurité, bien sûr, en reprenant la main sur tous nos territoires abandonnés et zones de non droit. Mais aussi réarmer la France sur un plan moral et philosophique (en affirmant et en assumant nos valeurs et notre histoire), sur un plan éducatif (en refondant l’école de la République), sur un plan économique (en nous redonnant des marges de manoeuvre budgétaires pour créer les conditions du plein emploi), sur un plan démocratique (en modernisant nos institutions), et par dessus tout en nous reposant sur la loi de 1905 sur la laïcité, qui est d’une incroyable modernité parce qu’elle offre toutes les clés d’une cohésion nationale retrouvée.

C’est cette France réarmée qui vaincra le fanatisme et l’intégrisme. 

N’oublions jamais, pour paraphraser Cioran, que tant qu'une nation conserve la conscience de sa grandeur, elle est féroce, et respectée ; mais dès qu'elle doute, elle s’éteint, et ne compte plus.

Beaucoup semblent s’être résignés à un déclin lent et inéluctable de notre pays. Ce renoncement est coupable, tellement les atouts la France sont immenses : notre géographie, bénie des cieux ; le génie français et notre esprit entrepreneurial ; notre culture, notre histoire et notre langue, qui nous fait rayonner partout dans le monde…

Mon histoire personnelle, celle d’un enfant né en Algérie, et arrivé en France à l’âge de deux ans, m’offre un regard d’analyse singulier sur la crise ontologique que traverse notre pays, et crée aussi en moi une farouche envie d’agir. J’ai conscience des périls qui nous guettent. Je suis surtout convaincu que si nous traversons cette épreuve, et que nous ne cédons pas aux sirènes de ceux qui cherchent à anéantir l’idéal d’être Français, alors notre pays retrouvera la concorde, et redeviendra ce qu’il a toujours été : un phare qui illumine le monde. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !