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Pas de pub pour Zemmour : ce piège dans lequel vient de s’enfermer Nutella
©DR

Crash marketing

Il n’y aura plus de publicité pour le Nutella durant l’émission d’Eric Zemmour. Ainsi en a décidé Ferrero, après l’interpellation de l’association Sleeping Giants, qui lutte contre les appels à la haine. Officiellement, la marque veut éviter que son image ne soit associée à la réputation sulfureuse du polémiste. Cette décision confirme la difficulté pour les grandes entreprises de rester en dehors des débats, en même temps qu’elle illustre une pression sur les medias d’un nouveau genre.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Plus de Nutella pour Zemmour ! Ainsi en a décidé la marque. Pour éviter de paraître soutenir les appels à la haine, Ferrero ne veut plus acheter d’espace publicitaire sur Paris Première, durant l’émission Zemmour et Naulleau. Le chocolatier italien rejoint ici l’attitude de tous les annonceurs qui, en leur temps, avaient boycotté Hanouna après des propos jugés homophobes.

Nutella assume une pression politique d’un nouveau genre

Dans la pratique, la pression des annonceurs sur les contenus est aussi vieille que l’histoire de la presse. Combien de directeurs de la publication n’ont pas reçu, depuis toujours, des coups de téléphone de tel ou tel grand « client » qui menace de ne pas renouveler des encarts publicitaires si la publication à qui il achète ces espaces se permet de le critiquer.

Mais la pression est ici d’un nouveau genre. Elle ne vise pas à empêcher le titre visé de publier telle ou telle révélation sur l’annonceur. Elle cherche plutôt à influencer des contenus qui ne le concernent pas, en posant des jugements moraux. La marque souhaite sélectionner les prises de position ou les « réputations » de ceux qui assurent l’audience sur les contenus qu’elle sponsorise en évitant les « moutons noirs ».

Sur ce point, et sous l’injonction d’une association qui souhaite visiblement mélanger dangereusement les genres, les annonceurs sont donc appelés à « faire de la politique », et surtout de la morale. Ils doivent se prononcer en faveur d’une cause plutôt qu’une autre. Progressivement, les entreprises glissent sur un terrain où la publicité est considérée comme une manière d’orienter les contenus et les valeurs, à rebours de tout ce qui a toujours été proclamé dans la déontologie sur ce sujet.

Nutella et sa bombe à retardement

Tous ceux qui, dans le camp du bien, applaudissent à cette initiative, ont probablement mal pris la mesure de la bombe à retardement qu’ils amorçaient, dans leur logique de bannissement et de stigmatisation des autres. Car demander aux annonceurs de choisir les contenus qu’ils sponsorisent sur des critères moraux risque bien de se retourner tôt ou tard contre la liberté de la presse elle-même.

Que dirait Sleeping Giants si Ferrero retirait officiellement ses publicités d’un média qui critique la marque ? La même association qui appelle Ferrero à choisir les contenus éditoriaux où elle fait sa publicité dénoncerait probablement cette entrave à la liberté de la presse. Et elle aurait raison. Le paradoxe aujourd’hui est de voir le camp du bien légitimer ces entraves.

Le cas n’est d’ailleurs pas farfelu. Se souvient-on que la fondation Hulot avait attaqué, il y a quelques années, l’huile de palme (utilisée par Ferrero), pour sa contribution à la déforestation en Malaisie. Ségolène Royal avait alors appelé au boycott de la marque. On imagine que, dans ce cas de figure, Ferrero applaudit désormais des deux mains à ces campagnes de boycott fondées sur des principes moraux.

Et on imagine inversement que Sleeping Giants ne trouverait rien à redire si Ferrero renonçait à acheter des espaces dans des medias qui répercuteraient cette campagne de dénigrement, au nom du nécessaire mélange des genres entre publicité et contenu.

Le camp du bien et l’aversion pour la liberté de la presse

Très régulièrement, le camp du bien montre de quoi il est capable, et surtout combien il est étranger à nos bonnes vieilles libertés publiques. La liberté d’opinion, d’expression ou de pensée passent après la promulgation de valeurs contenues dans de grands slogans simplistes, dont on ne connaît pas toujours les tenants ou les aboutissants, parce qu’ils ne sont pas toujours clairement exposés.

Les entreprises sont désormais sommées d’entrer dans ce carrousel de la bonne conscience, par le truchement de l’espace publicitaire et de son poids économique. On ne tardera pas à s’en mordre les doigts.

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