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Les tests de personnalité, ces nouveaux thèmes astrologiques de la vie en entreprise
©Reuters

Pseudo-science

Les tests psychologiques tels que le test des couleurs sont de plus en plus en vogue dans le monde du travail.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Les tests psychologiques tels que le test des couleurs sont de plus en plus en vogue dans le monde du travail. Pourquoi encourager ou pousser ses employés à faire ce type de test ? Représentent-ils un gain de temps ? 

Pascal Neveu : Les tests psychologiques sont nés en France au tout début du 20ème siècle, sous l’impulsion du psychiatre Alfred Binet. Très loin d’être fiables à 100%, ils sont principalement utilisés afin d’établir un profil clinique et aider pour une orientation professionnelle.

Il en existe plus de 2000 à travers le monde, même si certains sont privilégiés. Un des plus célèbres reste le MBTI (test de Myers-Briggs) que plus de 50 millions de prétendants à une embauche ont certainement passé. Le marché est énorme : 500 millions de dollars annuels !

Il est tellement facile de « manipuler » ces tests comme le fameux MBTI privilégié car issu des travaux de Jung, présentant 16 typologies psychologiques, « mesurant » via un questionnaire les capacités d’intuition, de pensée, de sentiments et sensation. Il faut savoir que 10000 tests MBTI sont réalisés tous les jours aux USA, et qu’il reste le test le plus validé et utilisé dans le monde.

Si vous passez le MBTI, l s’agit seulement de choisir à travers une question, une réponse face à 2 choix. Tous les jours de nouveaux tests sont inventés et validés après expérimentation, mais selon des méthodologies contestables. Et certains sont plus « tendance » que d’autres que l’on peut manipuler, des ouvrages étant vendus, précisant les réponses à apporter.

Même pour les très fameux tests projectifs, TAT, Rorschach… (c’est le psychanalyste Car-Gustav Jung qui créa le test d’associations libres, répertoriant les réponses les plus fréquentes à l’évocation d’un mot, définissant une typologie d’introvertis, d’extravertis… critiquant néanmoins son test vers la fin de sa vie), que les entreprises n’ont légalement pas le droit d’utiliser en France.

Mais ce nouveau test des couleurs ne veut rien dire.

Michel Pastoureau, célèbre historien, a d’ailleurs décrit l’évolution de notre relation aux couleurs en fonction des époques, à travers des ouvrages fort recommandables et passionnants (bleu, rouge, noir, vert, jaune…).

Ceci est valable pour tout test : les grilles d’interprétations sont certes devenues algorithmiques vu le nombre de passages effectués (par exemple plus de 50 millions pour le MBTI). Nous devenons donc une probabilité et non plus un être humain, pour cause de rendement et de rapidité. Mais tout chercheur d’emploi n’a guère le choix et ne connaît pas les limites de ces tests.

Ces tests sont donc imposés et un côté « ludique » ajoute autant de stress que de curiosité… mais pas forcément de lâcher prise, rendant ainsi ces tests encore moins fiables.

L’étude menée laisse s’exprimer des « adeptes » de tests qui leur permettraient de mieux comprendre leurs interactions professionnelles, sociales, familiales… Autrement dit, on bannît de plus en plus l’introspection, la communication, l’intelligence humaine.

Les dirigeants d'entreprises disent gagner énormément de temps grâce à ces tests qui leur permettraient de mieux répartir les postes et les tâches. N'est-ce pas réducteur comme manière de faire ? Ne risquent-il pas de passer à côté d'employés en utilisant des tests qui ne sont, à l'origine, pas conçus en ce sens ?

 Effectivement à l’origine les tests n’avaient pas cette fonction, cette vocation. Aujourd’hui, il existe des tests décortiquant tous les domaines. D’ailleurs, pour des raisons juridiques, nous n’utilisons plus le terme tests mais questionnaires ! Questionnaires concernant nos valeurs, nos motivations, nos intérêts, notre capacité de management, d’empathie…

Sur le plan clinique, ces tests servent à mesurer notre relation à l’anxiété, aux phobies, aux addictions, aux troubles du comportement alimentaire, aux relations sociales… Tout n’est pas à jeter, mais chacun se doit de rester dans son domaine. Nombre de « testeurs » jouent au psy ! Or, le psychisme est beaucoup plus complexe qu’une sorte de radio via un test.

Il me semble important de rappeler que toute personne ayant répondu à un test ou un questionnaire a un droit de regard sur les résultats et conclusions rédigées. Une nouvelle tendance est désormais d’utiliser des tests de « mise en situation » grâce à l’Intelligence Artificielle. L’individu, portant un casque, est ainsi placé en situation réelle et on analyse ses réactions, ses mouvements, sa communication verbale et non verbale à travers ses expressions.

Très succinctement, le cerveau, alors « déstabilisé » car se trouvant dans un univers virtuel, réagit de manière plus naturelle, face à certaines tâches. Un échange d’au moins 1 heure, par la suite, facilite un entretien spontané permettant d’affiner l’’analyse et de mieux faire connaissance avec la personnalité. Cette approche que j’ai pu tester me semble très intéressante car elle présente l’individu tel qu’il est.

D'autre part ce type de tests n'encourage-t-il pas un climat de stress dans l'entreprise ? Ne peuvent-ils, à force d'être utilisés à tord et à travers, "gâcher" des carrières? 

Même si un certain nombre de tests sont capables de « mesurer » et « identifier » des aptitudes (tests psychotechniques par exemple), il ne faut pas sous-estimer le lieu de passage du test, l’état de stress du « sujet », bref son état émotif. Chaque être est singulier.

De plus, même si des grilles d’interprétation peuvent ressortir de manière informatique, que dire de celle oui celui qui pourrait ajouter une appréciation personnelle relevant de sa propre interprétation ou projection ? Selon moi la meilleure appréciation d’une personne et donc de sa personnalité passe par la rencontre directe et nos ressentis.

Il ne faut pas oublier non plus que certains talents, certaines compétences peuvent être verrouillées à un instant t puis s’ouvrir, se développer au fil du temps. A travers ces tests, nous avons l’impression de sélectionner sur catalogue un « robot » dont les « fonctionnalités » sont référencées.

Ce test couleur est un nouveau test qui enferme les individus dans des cases, voire les condamne à l’absence de toute évolution. Or, la vie nous fait advenir, nous transforme, peut nous faire grandir comme nous faire sombrer.

N’importe quelle personnalité dotée d’un QI supérieur à la moyenne (mesuré par le WISC) est capable de comprendre rapidement les enjeux et aboutissants de tels tests et donc les manipuler.

Ce test créé au milieu des années 80 se vend énormément. Il a finalement un avantage… celui de révéler quelques défauts de l’être humain : sa difficulté à communiquer, sa « fainéantise » à analyser, son désir à aller vite, sa on humilité à accepter de se tromper. A travers un système très rôdé, rapportant énormément d’argent, mais oubliant toute éthique humaine.

Edgar Morin me semble bien résumer la problématique quand il écrivait « L’intelligence, ce n’est pas seulement ce que mesurent les tests, c’est aussi ce qui leur échappe. ».

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