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Dérèglement climatique : aussi grave que de ne pas agir sur les émissions de carbone, ne pas se préparer aux bouleversements prévisibles de notre environnement ?
©MARTIN BERNETTI / AFP

Océans

Le groupe des experts de l'ONU sur le climat (GIEC) a révélé ce mercredi les conséquences du réchauffement climatique sur les océans et la cryosphère dans le cadre de leur nouveau rapport qui alerte sur la montée des eaux.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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François Gemenne

François Gemenne

François Gemenne est chercheur en sciences politiques, au sein du programme politique de la Terre. Il est enseignant à l'université de Versailles-Saint Quentin, et à Sciences Po Paris.

Spécialiste du climat et des migrations.

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Isabelle Thomas

Isabelle Thomas

Isabelle Thomas est professeure titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Vice-doyenne à la recherche et directrice de l’équipe de recherche ARIaction (Notre équipe | Ariaction)

 

Ses réalisations s’arriment à la recherche centrée sur l’urbanisme durable, sur la planification environnementale ainsi que sur les enjeux de vulnérabilité, de gestion de risques et d’adaptation aux changements climatiques pour construire des communautés résilientes face aux risques naturels et anthropiques.

Depuis son arrivée en 2007 à l’université de Montréal, Mme Thomas a été associée à de nombreux projets de recherche où elle a agi en tant que chercheuse principale ou co-chercheure, en particulier avec la collaboration du Ministère de la sécurité Publique et Ouranos. Ses contributions les plus importantes concernent l’élaboration d’une méthode d’analyse de la vulnérabilité sociale et territoriale aux inondations en milieu urbain. Elle s’investit également dans les stratégies concernant la construction innovante de quartiers résilients. Ses résultats se situent au carrefour de la recherche-action et de la recherche fondamentale. Le dernier livre qu’elle a codirigé : La ville résiliente : comment la construire? (PUM) explique les conditions fondamentales pour établir des collectivités résilientes. Elle a créé en 2020 l’équipe de recherche ARIACTION (ARIACTION.com) qui permet de constituer un réseau d’experts locaux et internationaux visant en particulier à un partage de connaissances des meilleures pratiques en termes d’aménagement résilient du territoire.

Ses derniers livres : 

Vers une architecture pour la santé du vivant - Les presses de l'Université de Montréal (umontreal.ca)

Ville résiliente (La) - Les presses de l'Université de Montréal (umontreal.ca)

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Atlantico.fr : Le rapport du GIEC sur les Océans a été publié hier. Il alerte sur la montée des eaux dont la vitesse aurait été deux fois et demie plus élevée au début du XXIème siècle qu'au XXème siècle. Le niveau de hausse pourrait atteindre entre 40 et 80 cm avant la fin du siècle. Si les scénarios se vérifient, comment les côtes françaises vont être impactées ? 

Laurent Chalard : Tout d’abord, il convient de rappeler que les données fournies par le GIEC ne sont que des projections reposant sur des modèles très imparfaits, puisqu’étant donné la complexité du fonctionnement climatique planétaire, il est impossible de prendre en compte tous les paramètres dans un unique modèle. Il existe donc une marge d’incertitude certaine, qui peut-être aussi bien à la baisse qu’à la hausse, même si ce dernier scénario est le plus vraisemblable en l’état actuel des connaissances, sachant que les niveaux d’augmentation actuels, 3 mm par an, sont relativement faibles par rapport à ce qui a pu se constater par le passé, une remontée du niveau de la mer de 40 mm par an, soit de 14 mètres en 350 ans, à la fin de la dernière ère glaciaire selon une étude publiée dans la revue Nature en 2012.

Cependant, nos sociétés étant beaucoup plus développées qu’à l’époque, toute élévation du niveau marin, aussi minime soit-elle, a potentiellement des conséquences majeures. Concernant la France, il existe deux grands types de littoraux : les côtes rocheuses et les côtes sableuses, auxquels il convient d’ajouter le cas spécifiquedes marais maritimes, situés, en règle générale,en arrièred’une côte sableuse. En effet, ces derniers sont les plus menacés par la remontée du niveau de la mer du fait de leur très faible hauteur, certains se situant d’ailleurs sous le niveau de la mer car ils ont été poldérisés par l’homme au cours des derniers siècles. Comme l’avait montré la tempête Xynthia de février 2010 pour les marais vendéens et charentais, très largement inondés avec des morts à la clé, la vulnérabilité de ces territoires est très forte. En conséquence, il est probable que les principaux marais maritimes seront reconquis totalement ou partiellement par la mer au cours du XXI° siècle, que ce soit en Camargue, dans le Marais Poitevin ou en baie de Somme. Concernant les côtes rocheuses et les côtes sableuses, le problème relève plus de l’accentuation de l’érosion marine, à l’origine d’un recul du trait de côte. Il s’en suit que de nombreuses stations balnéaires risquent de voir leur plage de sables fins disparaître ainsi que leurs routes littorales et les maisons se situant le plus proche de la mer. Par ailleurs, les grandes infrastructures portuaires, comme les ports du Havre ou de Fos-sur-Mer, voire nucléaires (plusieurs centrales se situent au bord du littoral), risquent de se retrouver submergées lors des tempêtes avec les risques environnementaux que cela peut entraîner en l’absence de protection adéquate.

Comment bien réagir face à ces annonces qui semblent annoncer des catastrophes ?

Isabelle Thomas : il faut mettre en parallèle la montée des océans et le fait que malgré ces éléments de connaissance que nous avons, on continue tout de même à s'installer et à aller développer des infrastructures importantes sur les côtes. L'urbanisation continue dans des zones sensibles. Il ne faut pas tomber dans le catastrophisme. Il faut absolument avoir une vision cartésienne basée sur une très bonne connaissance pour faire des choix réfléchis. On parle beaucoup d'urgence, mais c'est évident que les choix qu'on fait aujourd'hui vont avoir une influence sur notre capacité d'adaptation future. Ces choix doivent bien sûr conduire à diminuer l'émission des gaz à effet de serre, mais il est très important, en même temps, de travailler sur l'adaptation au changement climatique. Il s'agit de développer des mesures résilientes. Il y a quand même beaucoup de municipalités, beaucoup d'acteurs locaux qui sont déjà en train de développer des solutions intelligentes.

Quelle est la situation actuelle des littoraux français ? Estimez-vous qu'il y a une anticipation suffisante de ce phénomène ?

Laurent Chalard : Selon le Ministère de la Transition écologique et solidaire, une partie du littoral français est déjà en sursis, puisque près de 25 % des côtes de France métropolitaine subissent une forte érosion depuis plusieurs dizaines d’année, dont 270 kilomètres de côtes présentent un recul conséquent de plus de 50 cm/an. Ce phénomène est la conséquence soit de la dynamique marine naturelle (les falaises du pays de Caux reculent depuis des millénaires), soit de la montée du niveau de la mer au cours du XX° siècle mais aussi, voire surtout, de l’activité humaine (dont l’artificialisation des sols et l’extraction de matériaux) à l’origine d’une perturbation des équilibres sédimentaires littoraux.

Non, à quelques exceptions près, il n’y a pas une anticipation suffisante du phénomène car la rente touristique est tellement importante sur les littoraux français qu’elle l’emporte sur la raison qui voudrait que l’on recule l’habitat et les infrastructures vers des terrains plus élevés en retrait du littoral dans les zones à risque. En effet, les populations veulent absolument avoir leur résidence secondaire ou passer leurs vacances avec vue sur la mer, quel que soit le risque. Il s’en suit que les communes littorales sont prêtes à dépenser des fortunes, correspondant à du gaspillage de l’argent public, pour maintenir coûte que coûte leur plage de sable, en faisant venir du sable d’ailleurs, et en construisant des ouvrages de protection contre l’érosion marine. Cependant, si les niveaux d’élévation de la mer annoncés par le GIEC se révèlent exacts, la tendance est inéluctable et il faudrait mieux dès aujourd’hui anticiper le recul du littoral, à travers des plans d’aménagement à mettre en œuvre. Par exemple, sur la côte landaise, il ne serait pas très compliqué d’imaginer un recul à terme de chaque station balnéaire vers l’intérieur des terres de plusieurs centaines de mètres, en supprimant les constructions sur la bande littorale au fur-et-à-mesure du temps. De même, les zones noires rendues inconstructibles par l’Etat devraient se multiplier.

Quelles sont les bonnes solutions d'aménagement du territoire ?

Isabelle Thomas : Il y a différentes manières de gérer le type de risque, selon le type de ville ou de région que vous considérez. Prenons par exemple La Rochelle : la région a été beaucoup touchée par la tempête xynthia qui a destabilisé une urbanisation développée à de mauvais endroits, par exemple à La Faute-sur-Mer. Face à cela, vous avez une mosaïque de solutions qui vont être mises en place adaptées au contexte local. Dans cet ensemble de solutions, on a tant l'aménagement du territoire, que la connaissance du risque et que la nécessaire éducation de la population. La Rochelle va faire un exercice avec un scénario de dévastation de la population, en novembre, pour se préparer à un éventuel événement catastrophique. Vous avez des petites villes, toujours dans cette région, par exemple à Angoulins qui choisissent, dans leurs infrastructures lourdes, d'endiguement par exemple, mais aussi dans leurs choix d'urbanisme, de prévenir ces risques. 

Il y a en fait différents cas de figures : vous pouvez avoir une montée des océans assez lente, qui peut avoir des impacts sur l'eau potable, sur l'accessiblité. Certaines villes en Tunisie sont dans ce cas-là, ou bien les îles de la Madeleine au Québec. Ce sont des enjeux sur lesquels on peut travailler petit à petit. Vous avez ensuite des enjeux liés à la prévention des catastrophes. Les municipalités n'ont pas trop le choix dans ce cas : elles développent des infrastructures lourdes, et des infrastructures vertes et bleues, ou ce qu'on appelle aussi des infrastructures turquoises (qui font le lien entre le développement durable et la résilience). Autre exemple de ce type : le Gentilly Resilient District, à la Nouvelle-Orléans. Ce projet est financé par l'Etat fédéral. Développer la résilience, c'est aussi développer des programmes qui vont permettre à des municipalités de mettre en place ces outils d'adaptation. Dans ce projet, l'Etat fédéral finance le réaménagement d'un espace naturel, incluant un marais, toute une zone où l'eau va pouvoir venir se concentrer. C'est évident que si on a un ouragan majeur, il y aura quand même des inondations dans les zones les plus basses, mais avec ce type d'infrastructures vertes, on peut réfléchir dès aujourd'hui à un aménagement intelligent. 

On parle beaucoup de New York, de Tokyo, de Miami, de grandes métropoles qui continuent de se construire dans des zones à risques. Ceci étant dit, on peut faire des choix dès aujourd'hui. Au Québec, on a par exemple eu beaucoup d'inondations en 2017 et en 2019. Des municipalités ont été inondées deux fois. L'objectif c'est de réfléchir pour ne pas reconstruire de la même manière. La résilience, c'est cela : rebondir pour s'améliorer. S'améliorer, c'est changer de paradigme, c'est laisser de la place à l'eau : regardez le quartier de Matra à Romorantin. C'est un très bon exemple : on y redéveloppe une friche industrielle mais on réfléchit intelligemment pour laisser la place à l'eau. A Fukushima, la réponse est une réponse d’ingénierie très lourde : ils surélèvent la côte

D'autres pays sont-ils mieux préparés que nous ? Quelles sont leurs stratégies (immobilier, aménagement du territoire, assurance, etc.) ?

Laurent Chalard : Les pays mieux préparés que nous sont des Etats riches dont une large part du tissu économique se situe en zone littorale, voire sous le niveau de la mer, c’est-à-dire les Pays-Bas en Europe, un Etat construit sur la mer, et le Japon en Asie Orientale, dont le surpeuplement et le relief très accidenté ont contraint le gouvernement à développer les zones industrielles, grandes consommatrices d’espace, sur des remblais, comme dans les baies de Tokyo et d’Osaka. Du fait de leur géographie, ces deux Etats ont depuis longtemps entrepris des aménagements pour se protéger des incursions marines, sachant que cela n’est pas toujours suffisant comme l’a tristement montré le tsunami de 2011 au Japon. 

En règle générale, contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, la stratégie de ces pays n’est pas de déplacer l’activité économique pour l’installer dans des zones plus élevées, qui ne sont pas à risque, pour la simple raison qu’ils n’ont guère d’espace disponible à l’intérieur des terres et/ou que le transfert d’une grande part de leur activité économique, en particulier industrielle, apparaît difficile sur le plan logistique. Ils ont donc choisi d’entreprendre de coûteux aménagements côtiers permettant de protéger l’activité humaine, à travers la création, entre autres, de digues ou d’écluses gigantesques, mais aussi de systèmes d’évacuation souterrains de trop plein d’eau (à Tokyo). Ils ont aussi mis en place un système d’assurance prenant en compte le risque.

Comment expliquer que l'anticipation n'est pas à la hauteur tandis que l'attention se focalise sur le traitement des causes du réchauffement climatique ?

Laurent Chalard : Concernant la France, plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation de faible anticipation. Le premier est que les principales zones économiques hexagonales, en-dehors des grands ports, ne se situent pas sur le littoral et ne sont donc pas concernées par l’élévation du niveau marin. Par exemple, en France, l’Etat s’est surtout engagé à préserver la métropole parisienne des inondations de la Seine par l’intermédiaire de la construction de grands réservoirs en amont de la capitale. Le deuxième facteur est la vision court-termiste, typique de notre époque. Penser à l’horizon 2100 est impensable pour les élites politiques d’un territoire dont le mandant électoral n’est que de 6 ans.Le danger paraît lointain et beaucoup d’élus préfèrent laisser à leurs successeurs le soin de s’occuper de la question. Letroisièmefacteur est la perte de la mémoire maritime. En effet, jusqu’au début du XX° siècle, la majorité des habitants du littoral étaient des marins qui connaissaient très bien les risques liés à la mer. Or, aujourd’hui, du fait de l’arrivée massive de nouvelles populations sur les littoraux hexagonaux sans aucune connaissance préalable du milieu marin, cette mémoire s’est perdue. Les nouveaux habitants ne se rendent pas compte des risques encourus, ayant l’impression de se sentir en sécurité derrière des digues, sans penser un instant qu’elles peuvent lâcher... On le voit bien en Vendée et en Charente-Maritime où de nombreuses communes fortement touchées par Xynthia se sont opposées aux fameuses zones noires inconstructibles que souhaitait imposer l’Etat et qui continuent de construire dans des zones à risque jugé modéré à l’heure actuelle (mais demain ?) … Un dernier facteur explicatif du manque d’anticipation de la montée du niveau de la mer concerne le scepticisme vis-à-vis du réchauffement climatique, qui rend une partie de la population méfiante.

Quelles sont les meilleures solutions d’ingénierie développées dans le monde pour prévenir ces risques ? 

François Gemenne : Certains pays sont plus avancés que d’autres. Des pays comme les Pays-Bas, par exemple, ont commencé à mettre en place un vaste système d’infrastructures (canaux, digues, etc.) pour se protéger. Les bases de ce système sont en place depuis les années 1950, après que les Pays-Bas ont été confrontés à des inondations meurtrières. A Londres, on prévoit de renforcer la Thames Barrier, la digue qui protège la ville contre les crues de la Tamise. A New York, une digue du même type est envisagée sur l'East River, après le dévastateur ouragan Sandy de 2012. Un gigantesque plan de sauvetage de Venise, qui est évidemment particulièrement menacée, est déjà en cours.

De telles infrastructures sont aussi mises en place dans les pays en développement : Malé, la capitale des Maldives, est ainsi protégée par des tétrapodes, des blocs de béton placés le long de la côte pour briser les vagues. En France, c’est souvent la digue qui est privilégiée, même nous avons beaucoup de retard sur nos voisins en matière d’adaptation à ces aléas.

Il faut bien se rendre compte, néanmoins, que ces mesures d’infrastructures ne sont souvent que des emplâtres sur des jambes de bois. A terme, il est inévitable que le trait de côte recule, et que certaines zones deviennent donc inhabitables. Il faudra vraisemblablement déplacer certaines villes - on pense à des villes comme Jakarta, particulièrement exposée. Certains gouvernements ont commencé à déplacer des populations préventivement : c’est le cas du Vietnam, avec le programme Living With Floods, qui vise à déplacer des populations qui habitent dans le delta du Mékong. Mais ces déplacements de populations posent énormément de problèmes, notamment en matière de droits de l’Homme, et sont souvent mal acceptés par les gens concernés. On a vu, en France, combien les zones noires décidées après la tempête Xynthia étaient difficiles à accepter par les populations. Le plan a d’ailleurs été abandonné.

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