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Sommet Action Climat de l’ONU : et si une majorité silencieuse (de citoyens) avait en fait décidé d’assumer le risque du réchauffement climatique ?
©HATIM KAGHAT / Belga / AFP

Vérité dérangeante ?

Aussi longtemps que les défis que pose l’urgence climatique au niveau de la démocratie, des libertés individuelles et de la prospérité n’auront pas été tranchés, l’inaction relative pourrait bien l’emporter dans les opinions publiques.

Philippe Bontems

Philippe Bontems

Chercheur à la Toulouse School of Economics

Directeur de recherches à l'INRA

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Bruno Durieux

Bruno Durieux

Conseiller au cabinet de Raymond Barre (1976-1981), ancien député (1986-1994), ancien ministre (Santé, 1990-1992 ; Commerce extérieur, 1992-1993), Bruno Durieux est maire de Grignan dans la Drôme. Il est notamment l'auteur de "Contre l'écologisme, Pour une croissance au service de l'environnement", publié aux éditions de Fallois. 

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Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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Atlantico : Selon un sondage Ispos-Sopra Steria, la protection de l'environnement est la préoccupation première des Français. Le président Emmanuel Macron regrettait cependant que les discours ne soient pas remplacés par des actions concrètes de la part des citoyens. Comment expliquez-vous cette déconnexion ?

Nathalie MP : Que les Français placent la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique en tête de leurs préoccupations n’est guère étonnant compte tenu de l’intensité du matraquage médiatique qu’ils subissent sur le sujet, notamment depuis la COP21 qui s’est tenue à Paris en décembre 2015.

Dans son livre Factfulness(2018), Hans Rosling rapporte que sa fondation Gapminder a soumis un ensemble de 12 questions sur l’état socio-économique et démographique du monde actuel à 12 000 personnes de toutes conditions réparties dans 14 pays riches. Une 13ème question concernait le climat : « Si l’on en croit les experts, la température moyenne sera-t-elle plus chaude, inchangée ou moins chaude au cours des 100 prochaines années ? »

Eh bien, les résultats montrent que les personnes interrogées ignorent à peu près tout des données socio-économiques du monde dans lequel elles vivent (le résultat moyen aux 12 premières questions fut de 2/12), mais qu’elles sont 86 % à savoir que selon les experts le climat se réchauffe !

Si M. Macron déplore maintenant que les citoyens ne prennent pas les choses en main eux-mêmes, il ne peut que s’en prendre au niveau élevé d’étatisation de la France contre lequel il a clairement renoncé à toute action. Quand on est le pays champion du monde des prélèvements obligatoires (46 % par rapport au PIB) et des dépenses publiques (56 %), le choix et les possibilités d’initiatives individuelles des citoyens sont forcément restreintes et le recours à l’Etat pour parer à tout devient un mode de vie – délétère et très déresponsabilisant, mais un mode de vie.

Précisons cependant que les entreprises ne sont pas restées les bras ballants devant la demande des consommateurs d’avoir accès à des produits compatibles avec la protection de l’environnement. Les modes de production et les produits ont évolué ; il suffit de voir les énormes progrès réalisés dans l’industrie automobile par exemple.

Je pense que la remarque d’Emmanuel Macron, dont on sait que l’intérêt pour l’écologie est récent, traduit surtout son agacement face aux mises en demeure pour « inaction climatique » dont l’Etat devient de plus en plus souvent l’objet. Le maire écologiste de Grande-Synthe Damien Carême a lancé la mode, des célébrités telles que Marion Cotillard ou Juliette Binoche ont suivi avec « l’affaire du siècle ».

Philippe Bontems : Je pense que le décalage entre la prise de conscience et les actions concrètes au niveau individuel, dans la vie quotidienne de chacun, tient au fait que « contrôler » ses émissions réelles de CO2 par exemple relève de l’exploit. Rêvons un peu et imaginons une application du type Yuka qui permettrait de mesurer son taux d’émissions à chaque achat par exemple et qui permettrait ensuite de voir quels sont les postes sur lesquels il est plus facile d’agir en premier. En l’absence de cette possibilité de contrôle immédiat et quotidien, il est vrai que l'on a beau être conscient du problème il est difficile d’apprécier l’effet immédiat d’un changement de son comportement et cela nuit à la motivation. Après il existe aussi un effet "warm glow" qui fait que l’individu se donne un petit shoot de « feel good » en annonçant être pro-environnemental mais cela ne suffit pas à donner la motivation de par exemple trier ses déchets tous les jours ou d’éviter de jeter ses mégots dans la rue….

Cet article scientifique d’un économiste étudie comment les opérations de type compétition entre équipes d’étudiants pour limiter la consommation d’électricité dans les logements étudiants d’une université américaine ne font effectivement baisser la consommation que pendant la compétition et qu’après les étudiants reviennent à leur consommation initiale… Je pense aussi à cette opération actuelle (Le Monde) dans les calanques de Marseille où il s’agit d’organiser une compétition de ramassage de déchets...

Bruno Durieux : Les Français s’engagent beaucoup plus qu’on ne le dit pour l’environnement, la qualité de l’air, des sols, de l’eau, le soin porté au milieu naturel, à la biodiversité, etc. En dépit de ce que nous serinent à longueur de journée les écologistes activistes, dans tous ces domaines, on enregistre d’importants progrès en France, et depuis de nombreuses années. Jamais la situation n’a été si encourageante, même si l’on peut et doit encore faire mieux. Ceci, les Français le font, le savent et le voient ; les leçons d’écologisme qu’on leur administre quotidiennement finissent par les fatiguer.

La question du climat est un sujet en soi. Elle concerne et préoccupe évidemment nos concitoyens, même si la France ne représente qu’ 1% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde (peut-être 2% en comptant nos importations).

 La planète se réchauffe soutient le GIEC, à cause de ces gaz. Le réchauffement n’est pas discuté. Mais comme la planète a connu dans le passé proche et lointain des périodes chaudes et des périodes froides, l’opinion se demande s’il ne s’agit pas de fluctuations climatiques comme il y en a toujours eu. Pour éclairer ces interrogations et réduire la méfiance, le GIEC devrait fournir sa compréhension des causes du petit âge glaciaire qui sévissait dans l’hémisphère nord du 16 au 19 ième siècle et qui fit tant de dégâts humains ainsi que de l’optimum médiéval, où l’on pense qu’il faisait au moins aussi chaud sinon plus qu’actuellement.
Les gens sont prêts à des sacrifices si l’enjeu leur parait clair, concret et assuré. Or, dans le passé, combien de catastrophes effrayantes leurs ont été annoncées, qui ne se sont jamais produites : des famines terribles, la fin du pétrole en 2000, nos forêts détruites par les pluies acides, l’épuisement des matières premières, des pénuries mondiales d’eau, un effondrement économique, et même dans les années 70 … un refroidissement climatique. Les Français sont échaudés. De plus, limiter le réchauffement comme annoncé par le GIEC nécessiterait de bouleverser leur mode de vie et réduire leur pouvoir d’achat. On comprend qu’ils soient prudents sinon dubitatifs sur les conséquences réelles du dérèglement climatique ; et hésitants pour de réels sacrifices contre le réchauffement de la planète.  

Des penseurs comme Christopher Caldwell critiquent l'appropriation de la question environnementale par des influenceurs comme Greta Thunberg. Dans quelle mesure la conscience des problèmes environnementaux est contrebalancée dans l'opinion par la crainte de voir émerger des solutions antidémocratiques ?

Nathalie MP : Le discours environnemental a effectivement été préempté par les écologistes les plus radicaux dans une tentative de poursuivre le combat anticapitaliste sous les couleurs de l’écologie après l’échec retentissant du socialisme réel. D’où l’émergence du concept de « Capitalocène » qui caractérise la nouvelle « ère géologique » - guillemets car en géologie cela n’existe pas – dans laquelle la Terre serait entrée depuis l’invention de la machine à vapeur par James Watt en 1769 en raison de l’impact global « destructeur » du capitalisme sur l’écosystème.

La technique (d’Aurélien Barrau, de Fred Vargas, etc…) consiste à distiller la peur face à une fin du monde qui nous attendrait au tournant. On ne peut plus attendre, il y a urgence, nous disent-ils, et il faut mettre les bouchées doubles.

C’est ainsi qu’on en arrive aux propositions absolument hallucinantes d’un think tank comme Novethic (qui dépend de la Caisse des Dépôts et Consignations) : interdiction de la vente de véhicules neufs pour un usage particulier, constructions neuves exclusivement en habitat collectif avec une surface maximum de 30 m2 par habitant, vols hors Europe non justifiés interdits à partir de 2020, vêtements neufs limités à 1kg par personne et par an, etc. !

Ces propositions, comme les propos hyper-alarmistes qui les accompagnent, suintent l’autoritarisme dans des proportions telles que même les experts du GIEC commencent à s’en inquiéter. Jean Jouzel par exemple, dans Le Point. Et si une telle outrance, au lieu de renforcer la prise de conscience de l’opinion publique, finissait par nuire à "la cause" ?

Mais pour l'instant, je n'ai malheureusement pas le sentiment que les gens réalisent à quel point on les entraîne dans des solutions antidémocratiques. La petite phrase "Et c'est bon pour la planète" est pratiquement devenue le lieu commun obligé de toute conversation entre gens de bonne compagnie !

Bruno Durieux : L’importance médiatique considérable, en fait ahurissante, de Greta Thunberg montre que le débat sur le climat a basculé de la science et des faits vers le monde des croyances et des dogmes. Car le message de cette adolescente impressionnante, qui réunit Jeanne d’Arc et Bernadette Soubirous dans sa seule personne, est de l’ordre de la révélation, de visions quasi bibliques, prophétiques. Greta, autant qu’on le sache, n’a pas de connaissances académiques sur le sujet. La force de ses injonctions, leur impact médiatique mondial, son influence sur la jeunesse, vient donc de ce qu’elle est vue comme habitée par quelque chose d’extraordinaire, de surnaturel. Un gourou ? Les influenceurs se sont en effet appropriés la question environnementale et l’ont amputée de sa rationalité. La raison en est évacuée. La porte est ouverte à tous les excès, à toutes les folies, et, par conséquent, à toutes les dérives, à toutes les tyrannies. Il n’existe pas de politique qui, en s’affranchissant de la raison et excipant d’une vérité révélée, ne sombre pas dans des pratiques antidémocratiques. L’environnement et le climat ne font pas exception.

Certaines mesures pour l'environnement, comme les taxes Diesel, peuvent conduire à des contraintes économiques. Que pèse la conscience des problèmes environnementaux face à la crainte de voir baisser son niveau de vie ?  

Nathalie MP : L’évolution des revendications des Gilets jaunes nous donnent un bon aperçu de l’attente des Français. Le mouvement a démarré en raison des taxes supplémentaires que le gouvernement comptait imposer sur les carburants.

Peu à peu, on a vu la demande pour des baisses d’impôt se transformer en une demande d’impôts accrus pour « les autres », les riches, en l’occurrence, avec la revendication du retour de l’ISF. Dans les cortèges des Gilets jaunes du week-end dernier, on voyait des pancartes « Fin du monde, fin du mois, mêmes coupables, même combat. »

Autrement dit, beaucoup de Français ont une très haute conscience environnementale, mais comptent sur « les autres » pour en assumer le financement via l’impôt.

Philippe Bontems : C'est le sujet que j'évoquais plus haut. Une fois confronté au coût réel du changement de comportement, on a tendance à baisser les bras. L’avantage avec les taxes c’est que les sommes collectées peuvent atténuer les contraintes économiques des individus les plus affectés. On peut tout à fait en même temps voir son prix du diesel augmenter et être compensé par un chèque CO2 de la part du gouvernement pour faire face à cette augmentation (au moins partiellement). Une fois le chèque CO2 dans la poche, chacun va réfléchir à deux fois sur comment économiser le diesel, l’économie restant dans sa poche. Cela pourrait donner des idées à certains, par exemple pour développer des transports collectifs dans les zones rurales pour réduire l’usage de la voiture individuelle, etc….

Cette politique de taxe forte combinée à un chèque de compensation est utilisée en Suède et Norvège pour traiter les problèmes de la pollution du SO2 générée par les producteurs d’électricité par exemple. La pollution au SO2 a baissée fortement sans que les industries ne soient trop impactées.

Avec une politique environnementale basée sur la restriction des comportements à travers des normes et règlementations, on ne récolte pas d’argent qui permettrait de compenser les individus les plus affectés. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas compenser, mais juste qu’il va falloir augmenter d'autres impôts pour financer ces compensations.

Bruno Durieux : La pénalisation récente du diesel est irritante. Elle survient après des décennies d’encouragement. Ses motifs sont ambigus : il émet plus de particules fines que l’essence, mais émettant moins de CO2, il est meilleur pour le climat. Cette inconstance des positions gouvernementales, ces contradictions, n’incitent pas à accepter cette contrainte imposée les autorités ; d’autant plus que la lutte contre le réchauffement est réputée urgente et prioritaire.

Les Français acceptent les contraintes en faveur de l’environnement dès lors qu’elles sont comprises et justifiées : personne ne conteste les lois sur l’eau, la protection du littoral, les réglementations protégeant les espèces, les règles qui s’appliquent à réduire le bruit, etc. Ils acceptent les taxes dès lors qu’ils en comprennent l’intérêt. 

Mais ils ne sont pas disposés à croire sans démonstration que la défense de l’environnement et ses contraintes impliquent une baisse de leur niveau de vie.  Je soutiens comme eux que la décroissance n’est pas une réponse à la question environnementale. Les problèmes écologiques conduisent nécessairement à modifier les comportements de consommation et la répartition des revenus. Mais ils n’imposent pas de renoncements de type malthusien. Je soutiens la taxe carbone pour lutter contre les émissions de CO2, à condition que son produit soit rendu aux contribuables. Car le but est d’accroître le prix relatif des énergies fossiles mais pas d’amputer les revenus.

Pensez-vous que les Français aient peur des conséquences d'une modification de leur système de consommation ?

Nathalie MP : Je ne sais pas s’ils ont peur mais je constate chaque jour dans la presse qu’à force d’entendre les discours alarmistes de Greta Thunberg, les jeunes générations sont de plus en plus enclines à renoncer à consommer de la viande et que beaucoup de jeunes déclarent ne pas vouloir avoir d’enfants pour sauver la planète.

Certains tombent même dans la déprime climatique ou « solastalgie », sorte de détresse psychique causée par les changements environnementaux. Il est désespérant de voir que l’air du temps est en train de créer une sorte de renoncement existentiel de l’Occident.

Philippe Bontems : C’est très possible parce que les conséquences sont pour l’instant largement floues quant aux impacts individuels. Et l’incertitude fait peur, particulièrement dans un pays comme la France, record mondial du pessimisme.

Bruno Durieux : Oui ; et c’est normal si elle leur est dictée. Le panier de consommation des Français ne cesse de se transformer naturellement au cours du temps, selon leurs goûts, les produits ou services qu’ils trouvent sur le marché, l’évolution des prix. Ce qui est insupportable, c’est la pression morale et, pire encore, la contrainte réglementaire cherchant à proscrire ou imposer tel ou tel bien de consommation, au nom de telle ou telle valeur environnementale. Je respecte la cuisine végétarienne ; je détesterai qu’on me l’impose. On perçoit de plus en plus nettement l’aspect liberticide d’un écologisme médiatiquement hégémonique. La crainte des Français est justifiée.

Le débat public ne gagnerait-il pas à voir ces contraintes évoquées plus fréquemment ? Elles paraissent tout à fait rationnelles...

Nathalie MP : Je crois que la première rationalité consisterait à admettre que la science du climat est non seulement encore jeune mais extrêmement complexe. Se lancer comme on le fait dans des politiques coûteuses et à l’évidence privatrices de liberté sur des bases encore fragiles ne me semble pas raisonnable. D’autant qu’en matière d’environnement, on peut penser à d’autres solutions que les taxes et les contraintes. Le retour aux droits de propriété par exemple.

Philippe Bontems : Oui et je pense même qu’on devrait se focaliser principalement sur les freins aux changements. Il y a peu de doutes que nous devions changer nos comportements, non seulement pour réduire nos émissions mais aussi et surtout pour nous adapter au changement climatique. Donc la question n’est pas tellement : "Faut-il ou non modifier nos habitudes ?" mais plutôt : "Comment on fait pour aider les personnes à changer, comment on les guide (rôle des institutions) ?" C’est plutôt ça le challenge. 

Bruno Durieux : Le débat public est envahi par la doxa écologiste, et contrôlé par le « parti du bien ». Evoquer les contraintes engendrées par l’écologisme c’est aller à l’encontre de la moraline et du motivex indispensables pour sauver la planète. Les défis écologiques exigent bien sûr une présence régulatrice accrue de l’Etat, en raison du fait qu’ils concernent des biens communs et mettent en jeu des externalités négatives (pollutions, bruits, dégradations du milieu naturel, etc.). Mais, contrairement à ce que soutiennent des philosophes de la « deep ecology » comme Hans Jonas, père du principe de précaution, cela ne passe pas nécessairement par la « tyrannie bienveillante » d’autorités environnementales auto proclamées et despotiques. Traitons publiquement des contraintes pour mieux distinguer celles qui se justifient par des considérations réellement écologiques de celles que l’idéologie écologiste veut ordonner.

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