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Véritable acceptation ou résignation ? Ce que révèle l’opinion des Français sur la PMA pour toutes
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Progressisme ?

L'examen du projet de loi bioéthique commence aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Selon un sondage IFOP pour CNEWS, les Français sont majoritairement favorables à l'ouverture de la PMA aux couples de femmes lesbiennes et aux femmes seules.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Les Français sont-ils majoritairement progressistes ou ce résultat relève pour vous d'une autre logique ?

Chantal Delsol : Si on leur posait la question : "êtes-vous favorable à ce que la loi prive des enfants d'un père", ils répondraient  sans doute massivement par la négative. Cela dit, il est évident que l'individualisme libéral a fait des progrès foudroyants et qu'une grande partie de la population française considère la liberté individuelle de faire selon son désir comme le principe sacré. Tout le problème est de savoir ce que l'on va casser au passage. Je crois que notre liberté individuelle est importante bien sûr, mais qu'elle trouve des limites dans notre propre responsabilité vis à vis des autres, et notamment vis à vis des plus faibles. Parce qu'un enfant pour se construire a besoin d'un père, je dois limiter mon désir de fabriquer un enfant n'importe comment. C'est du moins ma conviction. Il y a malheureusement des enfants qui se trouvent privés de père par toutes sortes de circonstances - ce n'est pas une raison pour légitimer cela et multiplier volontairement ces circonstances. Bien sûr, il y a quelques sociétés sans véritables pères (par exemple les sociétés musulmanes polygames) ; mais dans ce cas il faut une autocratie, car il n'y a pas d'apprentissage de la liberté. La présence du père permet d'éduquer à la liberté. Si vous enlevez les pères dans les maisons, il vous faudra mettre des policiers dans les lycées. Et vous ne fabriquerez pas de citoyens, mais des sujets. Cela se vérifie communément.

Vincent Tournier : Que l’opinion publique ait fortement évolué sur les sujets de société, notamment sur les questions de filiation ou de sexualité, c’est incontestable, et les mutations considérables de notre droit l’attestent clairement. De là à dire qu’il s’agisse systématiquement d’une évolution « progressiste », c’est autre chose. 

Dans le cas de la PMA, il faut rester prudent sur les résultats des sondages. Certes, la tendance est clairement favorable à la PMA. Mais il faut aussi tenir compte de la façon dont les questions sont posées. En juin dernier, l’IFOP avait par exemple réalisé un sondage à la demande de la Manif pour Tous qui utilisait une question très différente : « Pensez-vous que les enfants nés par PMA ont le droit d'avoir un père et une mère ? ». Avec cette formulation, le résultat était radicalement différent : 82% des Français répondaient alors positivement. Bien évidemment, cela ne signifie pas que 82% des Français s’opposent à la PMA, contrairement à ce qu’affirme la Manif pour Tous. Il n’en reste pas moins que la manière de poser la question modifie substantiellement les réponses. De telles variations sont logiques : la PMA est un sujet complexe, qui peut faire l’objet de lectures différentes. C’est une technique qui apporte une aide à des couples en détresse ; elle peut donc difficilement être vue négativement a priori ; mais en même temps, elle permet aux femmes de prendre un avantage sur les hommes. Or beaucoup de Français sont sensibles à la place du père : celui-ci doit-il disparaître de la parentalité ? Cet effacement du père est d’autant plus troublant que la parité entre les sexes est aujourd’hui célébrée. On pourrait ajouter une autre question, qui n’a pour l’instant pas été posée : les femmes qui vivent seules sont-elles aptes à prendre en charge l’éducation d’un enfant, elles qui n’ont justement pas été capables de trouver un partenaire, donc de faire la preuve qu’elles étaient en mesure de tisser un lien affectif durable ? Le projet de loi prévoie certes que les femmes seules devront faire l’objet d’une évaluation avant de pouvoir accéder à la PMA. Mais une telle évaluation est forcément factice : à moins de tomber sur des folles authentiques, on ne voit pas comment un simple entretien pourrait permettre de trier celles qui sont aptes au métier de parent et celles qui ne le sont pas. Le problème se situe donc en amont : pourquoi la société devrait-elle compenser un échec relationnel de ces femmes ? L’enfant peut-il être vu comme une simple compensation affective ? Des questions de ce type sont difficilement abordables dans les sondages.

En quoi ce sondage vous paraît être le reflet d'une France atomisée, dans laquelle les individus estiment qu'il n'est plus de leur ressort de choisir les normes morales pour autrui, qui plus est quand autrui appartient à un autre groupe (social, culturel, ethnique, etc.) ?

Chantal Delsol : Nous sommes surtout en train de vivre une transformation des normes morales puisque nous quittons la chrétienté, une civilisation inspirée par les normes morales chrétiennes. D'où le grand tourbillon dans lequel nous nous trouvons. C'est une période de désarroi et d'incertitude au point de vue des normes morales, qui s'apparente à ce qui s'était produit au V° siècle, quand la morale chrétienne a peu à peu remplacé les normes païennes. Ce n'est pas une affaire de repli, une situation dans laquelle chacun aurait sa morale : cela ce serait du relativisme, et je ne pense pas que nous soyons dans un moment relativiste. Nous sommes en train de remplacer l'ancienne morale par une nouvelle, laquelle sera aussi commune.

Vincent Tournier : C’est vrai que, face à des sondages comme ceux sur la PMA, les interprétations optimistes ont toujours tendance à prendre le dessus : on va ainsi affirmer que les libertés progressent, que les Français sont plus ouverts, plus tolérants, bref on va vanter les progrès au détriment des conservatismes et des archaïsmes. Mais on peut aussi avoir un regard plus pessimiste, et considérer après tout que les réponses des sondés relèvent d’une sorte de je-m’en-foutisme. Au fond, les répondants veulent peut-être juste dire qu’ils s’en moquent et que cela ne les regarde pas. 

Cette interprétation n’est pas forcément fausse, mais on peut malgré tout penser que les raisons profondes de l’acceptation croissante de la PMA sont ailleurs, en l’occurrence du côté des transformations de la société. Trois changements doivent en effet être pris en compte. Le premier est l’inversion du rapport de force entre les hommes et les femmes, de sorte qu’aujourd’hui ce sont les femmes qui formulent leurs revendications et cherchent à imposer leur point de vue (comme en témoigne l’apparition d’un vocabulaire spécifiquement destiné à condamner la masculinité : manspreading, mansplaining, manterrupting, écriture inclusive, féminicide).

Le deuxième changement est le développement du célibat et de la monoparentalité. Une part croissante de la population vit seule, notamment parmi les femmes, et pas seulement à cause du veuvage ou du divorce, mais aussi à cause de la hausse du niveau de diplôme et des ambitions féminines en termes de carrières professionnelles. De ce fait, les personnes seules constituent désormais un marché électoral que les partis politiques ne peuvent ignorer et qu’ils tentent de capter. Enfin, troisième changement : les difficultés relationnelles entre les hommes et les femmes, y compris sur le plan de la sexualité, et ce malgré la libération des mœurs comme l’analyse très bien Michel Houellebecq dans ses romans. Si on ajoute à ces trois raisons le fait que, face à la PMA, les opposants sont soit minoritaires, soit insuffisamment énervés pour descendre dans la rue, on comprend que la PMA est appelé à un bel avenir puisqu’elle résout tous les problèmes : elle va permettre d’avoir des enfants quand on le veut, même si on est seul, donc sans avoir besoin de s’embarrasser d’un partenaire, surtout s’il est masculin. Cette victoire prévisible de la PMA risque cependant de poser rapidement des problèmes. Sans même parler de l’effacement de la figure paternelle, qui n’est pas un point mineur, on va être confronté au problème des mères seules, alors qu’on sait déjà que les familles monoparentales font face à des difficultés importantes en termes de paupérisation ou de difficultés pour gérer leur vie quotidienne. La hausse prévisible de ces situations va nécessiter de mettre en œuvre des dispositifs d’accompagnement, par exemple sur la politique sociale ou le temps de travail (y compris le travail du dimanche). Est-ce que ces aménagements ont été pensés ou anticipés par le gouvernement ?

De manière générale, où en est-on de ce processus de repli ? Les Français ont-ils abandonné l'idée de valeurs collectives ?

Vincent Tournier : On ne peut pas dire cela. Aucune société ne peut s’affranchir de toute valeur collective. En revanche, il est vrai que la montée des libertés individuelles provoque des tensions. C’est d’ailleurs un vieux débat qui date de l’entrée dans la modernité. La reconnaissance des libertés individuelles présente beaucoup d’avantages (il suffit de voir les demandes qui émanent actuellement dans les pays du Maghreb pour mesurer notre chance) mais ces libertés soulèvent des difficultés, notamment parce qu’elles provoquent une démobilisation politique et une marchandisation de la société. De plus, le périmètre des libertés est un sujet de conflit : quelles sont les libertés qui doivent être reconnues ? Faut-il par exemple inclure la liberté de se droguer ou de licencier ? La difficulté est que tout le monde ne revendique pas les mêmes libertés, et que les libertés souhaitées par les uns peuvent être refusées par les autres. Le risque est que les conflits montent en puissance. C’est un risque important aujourd’hui parce que certaines demandes viennent bouleverser les équilibres antérieurs.

On le voit par exemple avec la laïcité : depuis 1945, la laïcité avait fini par devenir relativement consensuelle ; mais aujourd’hui, la laïcité est vue par certains comme un carcan dont il faudrait se débarrasser, ce que le camp laïc refuse absolument. Il en va de même pour de nombreux sujets dont la liste pourrait être longue : l’Europe, l’Etat-providence, les retraites par répartition, les services publics, l’immigration, l’aménagement du territoire, la fiscalité, la sélection au mérite, etc. Sur tous ces sujets, et sur bien d’autres encore, y compris sur la mémoire collective, on voit naître ou se renforcer des clivages qui conduisent à se demander si on n’est pas en train d’assister à une nouvelle fragmentation du pays (c’est ce que Jérôme Fourquet appelle l’« archipel français »). Certes, on peut voir les choses avec optimisme et se dire que ce n’est pas la première fois que notre société est confrontée à des défis importants, voire que les défis actuels sont plutôt moins forts que lorsqu’il s’agissait de choisir entre la monarchie et la République ; donc, avec un peu de bonne volonté, il devrait être possible de trouver de nouveaux compromis et tout le monde devrait s’y retrouve. Mais cette interprétation sous-estime l’intensité des clivages qui émergent, notamment sur la religion, et peut-être aussi désormais sur la famille et sur les relations hommes-femmes. Or, la recherche de compromis devient plus difficile lorsque les demandes sont trop contradictoires et que les camps se radicalisent. 

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