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L’autre gros problème de Jean-Luc Mélenchon
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Évaporation du domaine de la lutte

Indépendamment des ennuis du leader de la France insoumise sur les fronts judiciaires et médiatiques, sur un front plus politique et idéologique, le populisme de gauche est en train de faire pschitt.

Marc Crapez

Marc Crapez

Marc Crapez est politologue et chroniqueur (voir son site).

Il est politologue associé à Sophiapol  (Paris - X). Il est l'auteur de La gauche réactionnaire (Berg International  Editeurs), Défense du bon sens (Editions du Rocher) et Un  besoin de certitudes (Michalon).

 

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Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico.fr : Le procès de Jean-Luc Mélenchon s'ouvre ce jeudi au tribunal de Bobigny. Au-delà des questions judiciaires ou des questions de communication politique, la nouvelle gauche post-marxiste, qu'on peut désigner par le terme de populisme, comme l'incarne La France Insoumise n'est-elle pas en voie d'évaporation politique en France et en Europe ? 

Sylvain Boulouque : Le terme de populisme de gauche vient d’une tentative d’incarner la gauche nouvelle mais qui a pris très difficilement pour la base électorale de la gauche. L’expression n’a jamais vraiment été utilisée, parce qu’elle renvoie à l’autre bord politique d’une part, et d’autre part, le terme renvoie à ceux qui essayaient de se fondre, au XIXème siècle, dans le peuple pour le diriger. Ce n’est pas du tout les modes traditionnels d’action de la gauche. Jean-Luc Mélenchon a cependant fait un beau score aux élections présidentielles, mais en utilisant cette expression et les codes qui vont avec, il ne pouvait pas susciter l’adhésion de l’ensemble de la gauche. Il y avait déjà, au-delà de sa personne, un premier handicap sur l’expression même. C’est une expression qui n’a pas non plus d’ancrage traditionnel en Europe : Podemos en Espagne n’a pas fait son succès sur le populisme. Podemos a été qualifié de populisme alors que le mouvement se revendiquait du « basisme », d’un mouvement politique venant de la base. Le premier handicap était donc sémantique, mais aussi théorique.

L’échec de Mélenchon est lié pour la France aussi au fait qu’il avait atteint un plafond de verre. En revanche, il faut faire attention, parce que par rapport aux élections présidentielles, le score de LFI aux Européennes est en recul, mais par rapport aux précédentes élections européennes, il est en progrès. Il y a une déception de LFI mais pas de désaffection complète. En comparaison de ce que Jean-Luc Mélenchon voulait faire et de ce que LFI espérait, effectivement, il y a un reflux qui est très net.

Marc Crapez : Non on l'a cru lorsque le parti communiste à décliner mais l'idée du réformateur Pierre Juquin a servi de béquilles puis on a assisté à une renaissance des trois parti trotskiste, renaissance assorti d'un engouement pour la personnalité d'Olivier Besancenot incarnant un nouveau personnage de Riquet à la houppe. 

Mélenchon lui a chaussé les bottes du trublion un peu à la Coluche où à la Gérard Depardieu. Son côté bougon et scandaleux nuit à son image ainsi qu'à la crédibilité de son projet car il a un projet précis et articulé d'économie partiellement diriger agrémenté de préoccupations écologiques

Mélenchon raconte à la nation française une histoire de cape et d'épée avec lui dans le rôle du bretteur le capitalisme dans le rôle du fourbe et l'Amérique dans le rôle du traître cela plaît et cela plaira toujours à 10 pourcents des électeurs avec des hauts et des bas

D'autant que Mélenchon a une qualité il est le seul de la classe politique à s'intéresser au petit peuple industrieux que les élites considère comme un bas peuple. L'inconvénient est que le gilet jaunisme est une nébuleuse difficile à capter à canaliser à agréger a un mouvement politique traditionnel. 

Pouvez-vous retracer les origines intellectuelles et politiques de ce mouvement en France ? 

Sylvain Boulouque : ce nouveau mouvement de gauche ne se structurait pas autour des anciens éléments de la gauche. Son succès au début est à associer à l’effondrement ou l’effacement de la social-démocratie : c’est le cas en Espagne, en Grèce ou en France. Il y a eu une poussée sur la gauche de la gauche parce qu’il y avait un effritement de la social-démocratie. Les électeurs de gauche se sont déplacés vers des mouvements plus à gauche. La social-démocratie était porteuse d’un passif. C’était le cas pour Benoît Hamon qui était comptable de l’expérience socialiste, tout en tenant un discours proche de Jean-Luc Mélenchon.  

L’origine intellectuelle en France du mouvement, c’est très clairement les travaux de Chantal Mouffe sur la France Insoumis doublés des expériences latino-américaines. Il y a eu une volonté de créer des mouvements qui s’inspiraient de l’implantation de la gauche américaine dans la population, mais sans les relais qui pouvaient exister. Le PT ou la gauche argentine, elle est relayée par des structures syndicales.

Marc Crapez : Le mouvement de Mélenchon a une origine très précise c'est une copie de Die Linke le courant allemand qui se situe comme un héritier du communisme insurrectionnel des années 1920.

En second lieu c'est une réplique de podemos et des indignados qui sont des bébés éprouvette de la protestation altermondialiste chic élaborée dans l'entre-soi gauchiste du département de science politique de la plus prestigieuse université espagnole. 

Dans un contexte français d'usure du trotskisme cette régénération auprès des camarades allemand et espagnol a permis à une utopie solidement charpenté d'occuper le devant de la scène

En admettant qu'elle soit en reflux cette idéologie peut se prévaloir de héros comme Stiglitz ou Piketty. Mais de même que l'idée d'un raz-de-marée populiste était une ineptie sa disparition à gauche de l'échiquier politique et plus qu'improbable

De l'autre côté de l'échiquier, le populisme de droite connaît en Europe, depuis le vote de 2016 en faveur du Brexit, des succès politiques. Qu'est-ce qui a manqué aux mouvements comme celui de Jean-Luc Mélenchon ?

Sylvain Boulouque : Le populisme de droite a certes percé politiquement, mais aujourd’hui il n’est pas au pouvoir. Quand il l’est, il est en alliance avec la droite traditionnelle. C’est l’alliance entre la droite et l’extrême-droite qui lui permet de gouverner.

Quant aux mouvements de gauche européens, on doit faire des distinctions. Le M5S s’allie avec la Ligue puis s’allie avec le Parti Démocrate : il est donc difficile de dire de quel bord il est réellement. Il n’est pas associé à une tradition gauche. Ensuite, si l’on veut considérer les choses globalement, il y a bien un reflux global de la gauche sur des questions électorales. Le problème aujourd’hui vient du fait que le vote de gauche ouvrier et le vote des jeunes s’est réfugié dans l’abstention.

Ce qui permet à la gauche d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir, c’est de respecter la parole donnée vis-à-vis des électeurs. Il y a un problème d’adéquation entre le discours et la réalité à gauche. De la part des électeurs de gauche, il y a donc une déception.

Encore une fois, il y a aussi le problème du relai politique. Quand les mouvements de nouvelle gauche se pensent sur le modèle des gauches latino-américaines, ils oublient que ces gauches sont relayées par des structures, comme les syndicats, qui transmettent les messages dans la population et qui permettent de s’organiser politiquement. A chaque fois que ce relai ne marche pas, c’est encore à cause du décalage entre la réalité et les promesses. Les fois où cela a fonctionné, c’est parce qu’il y avait ces relais possibles.

Marc Crapez : En fait le populisme est à la vie politique ce que la rhétorique est à la controverse intellectuelle : un ingrédient indispensable. De même qu'il y a dans la vie démocratique une dose indispensable d'élitisme. On ne devrait donc parler de populisme qu'en cas de sur dose, c'est-à-dire très précisément lorsque les malheurs sociaux sont imputés à la scélératesse d'idée adverse. Car considéré que les élites se trompe n'est pas a priori du populisme. 

Les experts médiatiques ont parfois du populisme une conception à géométrie variable ils ne désignent comme tel ni le président mexicain Lopez Obrador ni la présidente slovaque Susanna Kaputova. Simultanément il se déchaîne contre le actuel président hongrois Viktor Orban ou l'ex président tchèque Vaclav kraus, sans oublier Donald Trump. 

Alors que si Trump a des penchants populistes, il net aucunement étranger aux traditions américaine qui vénèrent le populus. We are the people, dixit Thomas Jefferson. Et Roosevelt n'était pas sans à-côtés populistes. 

N'y a-il pas un problème de cohérence entre la cible sociologique des mouvements populistes et les idées de la nouvelle gauche défendue par exemple par Chantal Mouffe ? Elle défend par exemple la rupture avec le marxisme quand il explique l'histoire par des facteurs objectifs. L'aliénation historique marxiste ne plaisait-elle pas à l'électorat ouvrier ?

Sylvain Boulouque : Je ne pense pas qu’il y ait d’intellectualisme chez Jean-Luc Mélenchon. Je pense plutôt qu’il y a une erreur de stratégie sur la manière de conquérir l’électorat, et des haines fortes au sein de la gauche. Les stratégies d’alliance étaient totalement impossibles. Les promesses non tenues et le refus de la gauche : voilà les éléments qui expliquent que le recul était assuré.

Un autre facteur peut se rapporter à ce que vous dites. Il y a une verticalité du pouvoir au sein de la France Insoumise : la majeure partie des adhérents s’est plainte de cette situation. 

Marc Crapez : Vous avez raison d'ironiser sur l'aliénation. Ce genre de concept intellectualiste plaît beaucoup dans les AG d'étudiants mais n'a jamais rencontré la faveur des petites gens. Et en union soviétique Mr-tout-le-Monde a rapidement compris que quelque chose ne tournait pas rond, l'un se plaignant par exemple que l'entrée des hôtels de luxe est barrée par des colosses en gabardine. Et de même que Mussolini fit la Marche sur Rome en train de 1ère classe, Mao fit la Longue Marche en chaise à porteur !

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