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Pourquoi LREM pourra difficilement échapper à son destin de “parti bourgeois” quels que soient ses efforts
©YOAN VALAT / POOL / AFP

immigration

Emmanuel Macron est complètement en rupture avec les catégories populaires et les plus modestes qui sont hostiles à l'immigration.

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Atlantico : Emmanuel Macron a affirmé devant sa majorité qu'il ne souhaitait pas d’un parti bourgeois, notamment sur les questions de l'immigration. Pourtant, n'y a-t-il pas, notamment sur ces questions, un vrai clivage de classe qui recoupe le clivage politique existant ?

Luc Rouban : Il est évident qu'on assiste en France à un vrai clivage gauche/droite autour de la question de l'immigration. C'est un clivage qui touche l'immigration mais aussi la question plus large de l'islam et de son intégration en France. Le clivage est donc social et politique. 

Le problème de Macron est qu'il est complètement en rupture avec les catégories populaires et les plus modestes qui sont hostiles à l'immigration. Cette stratégie aujourd'hui est de parler à nouveau aux catégories populaires. Il a déjà avancé un programme de réformes assez néolibéral qui touchait à la vie de l'entreprise ou au travail mais il n'a pas encore touché à cette problématique, qui est pourtant centrale pour les catégories populaires. Il est donc important pour lui de se positionner et d'expliquer qu'il a compris le problème.

La rhétorique qu'il utilise à propos de l'immigration est assez classique : diminution du droit d'asile, une rhétorique de l'ouverture tandis que le RN serait le parti de la fermeture… S'adresse-t-il réellement aux catégories populaires, ou s'adresse-t-il aux gagnants de la social-démocratie qui ne se sentent pas bourgeois malgré leur position sociale ?

Il y a deux autres objectifs politiques derrière cela. Le premier est de parler à une partie de son électorat qui est tolérant, libéral et assez ouvert à l'immigration, qui se distingue donc de celui du RN et d'une bonne partie de l'électorat des Républicains. Son argument est donc de prendre en main ce problème en instaurant des règles de contrôle plus stricte. Il dit donc à son électorat qu'il veut être tolérant mais jusqu'à un certain point seulement. De plus il veut finir de totalement vampiriser les Républicains en disant qu'il offre une réponse républicaine à l'immigration, et en se positionnant en opposition au RN. Il veut donc faire le vide entre lui et le RN. 

En faisant cela il affirme donc qu'il n'ignore pas le problème, à l'inverse des "partis bourgeois". Il sous-entend que chez les Républicains il existe une certaine hypocrisie entre les actes et le discours sur ce thème. Au niveau tactique il veut donc vider de toute substance la ligne politique des Républicains. Il l'avait fait sur le point économique via le néolibéralisme. En attaquant les "partis bourgeois" et en parlant d'immigration, je pense qu'il veut achever complètement les Républicains.

Vous expliquiez dans un article que le concept de "vote des classes" était de moins visible. Emmanuel Macron est-il habile en évoquant l’idée d’un parti “bourgeois” ?

Le vote de classes existe, mais il s’est émoussé. Il n’est plus aussi limpide qu’autrefois. Il ne s’appuie plus sur l’opposition du monde ouvrier au patronat. C’est un vote de classes qui joue sur les mobilités professionnelles et sur le degré d’autonomie des acteurs sociaux. Mais le vrai problème d’Emmanuel Macron, c’est d’élargir sa base électorale, parce qu’il a été largement élu par les catégories supérieures, par des professions libérales, par des indépendants, par des fonctionnaires de rang supérieur. Sa fragilité, c’est qu’il n’a pas d’appui du côté des catégories populaires. Les catégories populaires votent pour le RN, LR ou la gauche de la gauche. On n’est plus dans le paysage politique des années 1980-90. On est dans une situation plus complexe. 

Il s’agit pour lui de miner la base électorale du RN et de LR. Pour miner la base LR, Emmanuel Macron mène une politique néolibérale favorable aux catégories supérieures, mais il a toujours entendu se distinguer des partis bourgeois ordinaires, c’est à dire des Républicains. Il veut montrer que le macronisme est porteur de modernité sociale, et qu’il n’enferme pas les individus dans des catégories. Il s’adresse à des individus, pas à des représentants de catégories sociales ou de classes sociales. C’est en ce sens qu’il utilise ces termes. Il s’agit de sortir des catégories préconstituées d’analyse sociale et politique. Il s’adresse à des Français, mais pas à une catégorie sociale. C’est toujours son projet de communication qui consiste à vouloir sortir du système habituel des partis et notamment de leurs catégorisations sociales. 

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