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Ces 3 questions pièges de tout débat sur l’immigration en France
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Le multiculturalisme est l'un des problèmes ?

Emmanuel Macron a déclaré ne pas vouloir abandonner le sujet au Rassemblement national. Qu’il soit sincère ou non, le volontarisme affiché par le Président de la République est loin d’épuiser la complexité du dossier.

Jacques Barou

Jacques Barou

Jacques Barou est Docteur en anthropologie et chargé de recherche CNRS. Il enseigne à l’université de Grenoble les politiques d’immigration et d’intégration en Europe. Son dernier ouvrage est La Planète des migrants : Circulations migratoires et constitution de diasporas à l’aube du XXIe siècle (éditions PUG).

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Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Emmanuel Macron a déclaré lundi 16 septembre devant les parlementaires réunis dans les jardins du ministère des relations avec le Parlement qu'il fallait aborder le sujet de l'immigration au nom des "classes populaires" et pas des "bourgeois de centre-ville, [qui] eux, sont à l’abri".

1/Les déclarations d'Emmanuel Macron, s'il montre qu'il veut parler directement du sujet de l'immigration restent floues. Il ne traite pas du sujet de l'intégration ni du multiculturalisme. Est-ce cohérent de s'attaquer aux flux migratoires sans chercher à résoudre les problèmes potentiels liés à l'accueil et l'intégration des immigrés ? N'y a-t-il pas une immigration de l'intérieur, c'est à dire, génération après génération, un accroissement du nombre de personnes qui ne sont pas intégrées ? 

Arnaud Lachaize : Les deux questions sont liées. La France reçoit sur une seule année, selon les dernières statistiques de 2018, 240 000 nouveaux migrants (estimation liée aux premières cartes de séjour délivrées), et 120 000 demandeurs d’asile, sans compter les migrants clandestins. Comment voulez-vous intégrer correctement ces nouveaux arrivants dans un pays qui compte 3 à 5 millions de chômeurs, 9 millions de pauvres et 3 à 4 millions de mal-logés ? D’autant plus que les nouveaux arrivants proviennent pour la plupart de pays où les croyances, les mœurs, modes de vie, parfois la langue, sont différents de ceux de la tradition des pays d’accueil, ce qui ne peut que renforcer les difficultés d’adaptation.  Certes le président Macron n’a abordé qu’un aspect de la question en gardant le silence sur les questions d’intégration et de multiculturalisme qui sont la conséquence directe des flux migratoires. Il faut y voir une stratégie de communication. En tenant un discours de fermeté sur l’immigration, il vise à satisfaire l’opinion publique dans la perspective des prochaines élections, mais il heurte ses soutiens politiques venus de la gauche morale. Ce faisant, il limite l’ampleur du scandale qui aurait été bien plus dramatique s’il avait abordé à la fois les flux migratoires et le multiculturalisme, touchant au tabou du lien entre les deux. 

Jacques Barou : La prise de parole du Président de la République concerne ce qui a été au cours des dernières années le phénomène le plus visible de l'immigration : les arrivées de flux nettement plus nombreux que ce dont on avait l'habitude jusque-là et dans un contexte de dramatisation et d'agitation émotionnelle. Ce n'est pas étonnant qu'il souligne cet aspect à quelques mois des élections municipales. Beaucoup de villes sont confrontées à des implantations désordonnées de nombreux migrants et l'opinion publique est saisie d'inquiétude face à cela. Si elle est sensible aux drames vécus par une partie des migrants, elle s'inquiète d'un désordre apparent qui laisse craindre que ces arrivées échappent à tout contrôle. Jusque-là, le président avait très peu parlé d'immigration. Il le fait sans doute pour des raisons électorales essayant de couper l'herbe sous les pieds du Rassemblement National, en dénonçant à mots couverts le "laxisme" des organisations humanitaires que beaucoup accusent d'organiser les flux. Il est sans doute par ailleurs bien informé au sujet du devenir incertain des personnes entrées en nombre au cours des dernières années en particulier des mineurs non-accompagnés. Il ne semble pas qu'il ait réfléchi par ailleurs à une politique globale qui intégrerait la question du devenir des immigrés et de leurs descendants dans la société française. Il se contente pour l'instant de cibler un aspect  très visible du problème : la maîtrise des flux d'arrivées. il est vrai que les débordements observés vient raviver la crainte d'autres conséquences de l'immigration passée : la situation marginalisée d'un certain nombre de descendants d'immigrés et les relations conflictuelles qu'ils entretiennent parfois avec la France.

2/ Emmanuel Macron a parlé du droit d'asile, droit peu contesté dans l'opinion, mais pas du regroupement familial, première source d'immigration en France. Se trompe-t-il de cible, que ce soit au niveau démographique et au niveau politique ?

Arnaud Lachaize : Le droit d’asile, ou plutôt, l’accueil des demandeurs d’asile est bien la première source d’immigration connue en France aujourd’hui : 120 000 demandeurs en 2018. Seule une petite minorité obtient le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection temporaire : en moyenne 20%. Toutefois, les autres, déboutés du droit d’asile restent à 95% sur le territoire (rapport de la Cour des Comptes de 2015). Ensuite viennent à peu près à égalité les migrations pour motif d’étude (80 à 90 000) et les migrations sur motif familial (idem). De fait, le traitement de la demande d’asile est un sujet essentiel mais il est loin d’être le seul. Ce qui est vrai c’est que l’augmentation des statistiques concerne principalement l’asile. L’immigration familiale autour de 80 à 90 000 est stabilisée quantitativement depuis une vingtaine d’années. L’immigration d’études augmente fortement mais c’est une hausse voulue : accueillir en France des étudiants performants au titre de l’attractivité du territoire, sur les modèles américain ou britannique. Il reste à savoir si l’augmentation constatée recouvre réellement la formation  d’étudiants de haut niveau dans les domaines scientifiques et médicaux, ou bien, au moins en partie, un détournement des systèmes de maîtrise de l’immigration. Et puis surtout, il faudrait aussi parler de l’immigration clandestine, organisée par des filières mafieuses, qui n’est rien d’autre qu’une résurgence de l’esclavagisme. 

Jacques Barou : Si l'opinion publique ne conteste pas le droit d'asile en soi, elle s'inquiète sur les capacités d'accueil et d'intégration de la France vis-à-vis des réfugiés et elle peut contester la délivrance de ce statut à des gens qui cherchent simplement une solution à leurs problèmes de pauvreté et ne vivent pas véritablement dans l'insécurité. S'il n'aborde pas la question de l'immigration familiale, c'est peut-être qu'il pense que c'est sur ce terrain là qu'il peut se montrer différent par rapport au discours du Rassemblement National. S'il est sur la même longueur d'onde quant à la maîtrise des flux, il ne s'engage pas sur un terrain très sensible dans l'opinion qui la question de la séparation des familles. Il sait qu'une partie de son électorat n'approuve pas de telles mesures, comme on l'a vu à travers l'indignation qu'a provoqué en France et dans le monde la politique américaine de séparation des enfants de leurs parents sur la frontière avec le Mexique. Tout en stigmatisant le laxisme des humanitaires, il lui faut sans doute garder une image humanitaire pour toucher les franges de son électorat qui se situent sur sa gauche.

3/ Compte-tenu des lois européennes et de la jurisprudence de la CEDH, Emmanuel Macron a-t-il réellement les moyens de changer de politique migratoire ?

Arnaud Lachaize : Cette question est en effet essentielle. Là aussi, il est urgent de démêler le vrai du faux et de combattre les idées reçues. Bien sûr, la CEDH et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg sont parfois invoquées par les tribunaux pour annuler des mesures de reconduite à la frontière au titre du droit au respect de la vie privée et familiale. Bien sûr que les règlements et les directives de l’Union européennes et la jurisprudence de la Cour de Justice encadrent de plus en plus l’administration des étrangers en France et en Europe. Ainsi, c’est la directive éloignement de 2008 et son interprétation par le CJUE qui ont abouti à une dépénalisation partielle du séjour illégal. Bien sûr que la jurisprudence du Conseil constitutionnel a aussi un impact considérable sur la politique migratoire. Ainsi, deux décisions de cette juridiction suprême, de 1993 et de 2003 assurent aux migrants en situation illégale un droit au mariage, donc à terme, une régularisation. 

Cependant, il est excessif d’en déduire un principe d’impuissance et d’irresponsabilité des gouvernements. Rien n’oblige les Etats européens, par exemple, à abandonner la maîtrise de la Méditerranée à des filières esclavagistes qui accumulent des fortunes gigantesques sur le trafic des personnes. Rien de la CEDH ou du droit européen, sauf le manque de courage, n’interdit aux Etats d’imposer un blocus maritime au passeurs esclavagistes. De même, rien, de la CEDH ou du droit européen n’empêche l’Europe, première puissance mondiale par ses PIB additionnés, à prendre ses responsabilités dans l’aide au développement de l’Afrique. Rien non plus n’interdit aux Etats de se montrer ferme dans la lutte contre l’immigration illégale en contrôlant efficacement les frontières et en raccompagnant dans leur pays d’origine les migrants en situation illégale. Le droit international et européen a parfois bon dos pour dédouaner des Etats de leur renoncement. 

Jacques Barou : La politique de l'U.E semble évoluer vers des postures plus sélectives par rapport à l'immigration, comme l'indique la nouvelle dénomination du commissaire en charge de cette politique (Défense du mode de vie européen). Ce n'est pour l'instant qu'un signe qui fait polémique et on ne peut pas savoir si et comment pourra se mettre en place une politique allant dans ce sens. Les lois communautaires et la CEDH sont des "garde-fous" visant à empêcher certaines dérives. Mais, s'il n'y a pas un tournant cela indique une possible inflexion .Cela n'empêche pas les états d'avoir des politiques différentes, respectant en apparence les grands principes mais mettant en oeuvre des procédures qui limitent les possibilités d'installation. Aucun état ne remet en cause le droit au regroupement familial mais certains mettent en place des politiques qui le limitent parfois sérieusement avec des exigences en matière d'âge des enfants, de compétence linguistique ou de capacité économique des parents à assumer sans aide extérieure l'installation de leurs familles. Il faut distinguer à ce niveau le Politique avec un grand P qui vise au respect des principes et des valeurs européennes et les politiques sectorielles qui poursuivent empiriquement des objectifs pas toujours en accord avec ces principes.

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