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Mercosur, réforme des retraites, écologie : 2019-2020, année prudente … ou perdue ?
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En marche lente

Depuis sa rentrée politique, Emmanuel Macron ne cesse d'envoyer des signes politiques de changement : il revient sur certaines décisions qui semblaient prises et ouvre la discussion. Une nouvelle stratégie politique ?

Olivier Gracia

Olivier Gracia

Essayiste, diplômé de Sciences Po, il a débuté sa carrière au cœur du pouvoir législatif et administratif avant de se tourner vers l'univers des start-up. Il a coécrit avec Dimitri Casali L’histoire se répète toujours deux fois (Larousse, 2017).

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Que ce soit sur la réforme des retraites ou concernant le traité de libre-échange avec le Mercosur, Emmanuel Macron semble avoir enclenché une nouvelle étape de son quinquennat, au moins en termes de communication : il laisse ouverts des sujets sur lesquels il semblait, il y a encore deux mois, fixé et convaincu. Quelle est la stratégie politique du Président de la République ? Rachète-t-il la paix sociale avec ces gages donnés aux Français ?

Maxime Tandonnet : Sur les retraites, c’est très frappant. Le point le plus sensible, l’idée d’un report de l’âge de départ, semble être en cours d’abandon… Les deux premières années du quinquennat étaient consacrées à la posture de « la transformation » du pays. Ce thème était d’ailleurs fortement exagéré : les lois sur le travail ou sur la SNCF, par exemple, n’ont pas apporté de transformation profonde du modèle français. Contrairement à ce que beaucoup de gens ont pensé, la loi sur la SNCF n’a pas transformé le paysage du rail en ouvrant la voie à une privatisation, ni même à une remise en cause concrète de la situation des cheminots. C’est un énorme mirage que de le croire. Mais aujourd’hui, le choix de l’immobilisme est en train d’être consacré à travers le revirement sur la réforme des retraites. La stratégie, ou plutôt la philosophie du pouvoir est simple. Une seule chose compte : la réélection en 2022, à n’importe quel prix. Nous vivons dans un univers idéologique où l’ultra-narcissisme, le destin individuel d’un homme, se substitue à l’intérêt général, à l’idée de bien commun et devient l’unique fin en soi. Donc la priorité absolue est d’éviter les remous. La préservation de la paix sociale est en effet l’impératif absolu.   

Olivier Gracia : A l'évidence, Emmanuel Macron a appris des erreurs du passé. La crise des gilets jaunes lui a enseigné une chose : il faut absolument qu'il revoit la copie sur la forme de sa communication, qui était toujours, jusqu'à maintenant, assez arrogante. On voit à quelle vitesse éclair il a fait adopter des réformes comme celle de la SCNF, du droit du travail, etc. Dans l'esprit d'Emmanuel Macron, il y avait donc au début l'idée d'accomplir un calendrier qui correspondait à celui qu'il avait promis pendant sa campagne. La crise des gilets jaunes l'a considérablement ralenti dans son calendrier de réforme. Il a aujourd'hui compris une chose, c'est qu'il ne faut pas modifier le cap (à aucun moment, il ne change le fond) mais par contre,  il a compris qu'il fallait qu'il change la forme et la méthode. Enfin, il a compris quelque chose lors du Grand Débat national : cette critique faite constamment aux gouvernants qui une fois élus, accomplissent leur feuille de route sans consulter les citoyens. Emmanuel Macron a dû se dire à un moment qu'il fallait qu'il mette davantage de démocratie participative dans sa manière de penser et d'élaborer la loi. Après, il ne faut pas être dupe : il ne s'agit pas de référendum. Il parle de consultation citoyenne sur les retraites, de concertation. On sait tous que malgré cette consultation citoyenne que la nouvelle copie ne sera pas très différente de l'originale. C'est une manière habile de communiquer. Pendant le G7, la communication était similaire. Qu'un Président de la République communique autant avec les Français pendant un G7, c'est tout à fait inédit. Il a tenu à s'adresser aux Français lors de la première et de la deuxième journée. C'est une méthode nouvelle. On a un Président qui a envie de reconnecter avec les citoyens et la société civile. Ce Président de la République nous rappelle le candidat qu'il avait été pendant sa campagne. Il y avait cette promesse dans le candidat Macron et il essaie de la remettre en application, également parce que ses supporters lui demandent. Ils ont été choqués de voir un Président jupitérien, loin du candidat de la campagne présidentielle. Il revient un peu aux sources.

Sur certains sujets, comme les lois de bioéthique, sera-t-il possible de s'en tenir à des compromis qui soient acceptables pour tous ?

Maxime Tandonnet : Non, il n’y a pas de demi mesure dans ce domaine, soit on autorise la PMA sans père soit on ne l’autorise pas. Le président et son gouvernement ne peuvent pas revenir sur ce qui est une promesse de campagne et un marqueur idéologique très fort du libéralisme sociétal. En outre, cette réforme ne gène pas l’opinion qui dans son ensemble, y est plutôt favorable, ou indifférente, dès lors qu’elle ne touche pas à son quotidien. Il n’est pas certain d’ailleurs que cette réforme provoque un mouvement de protestation comparable à celui qu’a engendré le « mariage pour tous ». La minorité qui est défavorable à la PMA sans père, pour des raisons philosophique et éthique, est plutôt dans une logique fataliste. Que peut-elle faire ? Le risque est en revanche de fragiliser l’adhésion de l’électorat bourgeois et catholique pratiquant qui s’est donné à LREM, dans un réflexe légitimiste, en juin dernier aux élections européennes.

Après les municipales en mars 2020, ce sera le tour des élections régionales et départementales. Cette stratégie politique ne réduit-elle pas le Président et sa majorité à l'inaction jusqu'à la fin du quinquennat ?

Maxime Tandonnet : Tout dépend. L’entrée dans une période électorale intense, municipales, régionales et surtout, présidentielles, va conditionner tout le reste évidemment. Le pouvoir LREM devrait être amener à jouer sur deux tableaux : l’inaction apparente irait frontalement à l’encontre de la posture présidentielle sur la transformation de la France. En revanche, entreprendre des réformes courageuses, réelles et authentiques, modifiant en profondeur l’économie française, sur le régime du temps de travail, par exemple, les 35 heures, susceptible de provoquer des remous et des mouvements sociaux, semble de plus en plus inconcevable. Dans les deux ans qui viennent, nous devrions avoir beaucoup de gesticulations, de provocations verbales, de coups de menton destinés à donner l’illusion du mouvement, mais strictement aucun changement destiné à l’intérêt du pays. Comment réagira le pays en 2022 ? Qu’est-ce qui l’emportera de la béatitude ou du bon sens ? Nul n’en sait rien. Le contexte économique pourrait beaucoup jouer. L’actuel quinquennat bénéficie d’une croissance internationale qui est toute sa chance, comparée à la crise qui a frappé le quinquennat Sarkozy, mais aussi le quinquennat Hollande. Une nouvelle récession serait sans doute fatale à l’équipe actuelle. 

Olivier Gracia : Le problème du début du quinquennat, c'est qu'Emmanuel Macron s'est sentie la seule personne compétente pour diriger absolument tout. Il y a très peu de personnalités fortes dans son entourage capable de relayer le message présidentiel. Il est en quête et en recherche de personnalités politiques fortes sur lesquelles il pourrait se reposer. Ce qui est évident, c'est qu'on ne verra pas aux municipales un candidat aussi actif qu'il l'a été aux Européennes. Il s'est rêvé le porte-parole ou le président de l'Union Européenne, mais pour les municipales, les régionales, ou les départementales, il va davantage déléguer cela à sa majorité. Il a quand même dit à ses ministres avant qu'ils partent en vacances : "partez avec la peur au ventre". C'est une manière de leur dire de se mettre au travail et de les responsabiliser. On voit toute la finesse de son jeu politique. 

La stratégie du Président peut-elle payer ? Quels sont les risques de voir renaître une opposition sociale malgré tout à la rentrée ?

Maxime Tandonnet : Elle pourrait éventuellement payer sur le plan électoral. Les Français attendent avant tout la tranquillité, ils n’aiment pas être perturbés dans la vie quotidienne. Provoquer un mouvement social d’ampleur et des violences ne serait pas pardonné aux dirigeants actuels. L’immobilisme de fait est perçu comme une clé de la réussite électorale. D’ailleurs, dans la politique française actuelle, le néant de l’action et de projet s’habille du manteau de l’omniprésence élyséenne. L’image omniprésente d’un homme, le culte médiatique de la personnalité, sert à recouvrir l’absence d’ambition pour le pays. Plus le président bouge dans l’écran de télévision, et plus le pays se fige dans ses profondeurs. Cette occupation permanente du terrain médiatique a pris des proportions vertigineuses lors du « grand débat » qui faisait suite à la crise des gilets jaunes. Il est clair qu’une partie de l’opinion, notamment la bourgeoisie âgée et conservatrice des centres urbains, est sensible à cette vision de l’autorité. On l’a vu lors des élections européennes où les milieux conservateurs se sont portés sur les listes LREM à la suite de cette surmédiatisation. Maintenant, la psychologie de foule est complexe. Ce phénomène, à la longue, peut provoquer la lassitude. La population est souvent beaucoup plus lucide, dans ses profondeurs, que ce que laissent penser les sondages. Il est difficile de dire par avance ce qui l’emportera de l’intox médiatique ou de la lucidité populaire. 

Olivier Gracia : A l'évidence, ce ne sont pas les consultations citoyennes qui vont apaiser le climat social du pays. Ce ne sont pas les concertations qui vont régler la crise des hôpitaux, la crise des policiers, la crise des pompiers, la crise des enseignants, la crise globalement des classes moyennes et populaires. Ce n'est pas à l'appui d'un changement de méthodes et de communication que la France sera soudainement apaisée. Il y a quand même des fractures. La seule façon de mettre fin à ces fractures, c'est par des réformes. La communication peut apaiser pour un temps. Néanmoins, la communication perd son temps. En revanche, sur la scène internationale, Emmanuel Macron a réussi un grand coup de communication avec le G7, qui lui a réussi auprès d'un grand électorat. Il se fait le porte-parole d'une forme d'audace en diplomatie. Emmanuel Macron a réussi une chose pour le moment, c'est la communication. 

Ce qu'il espère aussi, et ce qu'on peut comprendre, c'est qu'il a vu pendant la crise des gilets jaunes qu'il avait surinvesti le plan national. Pendant les deux premières années du quinquennat, on sentait bien qu'Emmanuel Macron était à la manoeuvre sur tout. Il a payé cette suractivité politique. La crise des gilets jaunes a par exemple cristallisé autour de la figure du Président et non autour de celle du Premier ministre. Il y a à l'évidence une envie de se démarquer un peu plus des affaires nationales pour les déléguer à son gouvernement, et investir le champ international. C'est une bonne vieille recette de la Vème République, qui est dans la Constitution. Il revient peut-être à ce qu'on a connu dans des périodes de cohabitation. Ce n'est pas une mauvaise stratégie. Emmanuel Macron est déjà en campagne pour 2022 et il veut avoir l'image d'un Président écologiste. Il sait que cela ne peut pas se faire à l'échelle nationale mais à l'échelle internationale : on l'a bien vu avec la forêt amazonienne. Il a de fortes ambitions de ce côté-là. Il va continuer à avoir cette posture d'intermédiaire, sur la question iranienne, sur la question écologiste, peut-être dans le conflit entre la Chine et les Etats-Unis. C'est un pari qui peut être gagnant.

Propos recueillis par Augustin Doutreluingne et Augustin Talbourdel.

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