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G7: La Chine a-t-elle réussi à diviser les occidentaux ?
©WANG ZHAO / AFP

Divisions...

Ce vendredi, la Chine a relancé l'escalade commerciale avec les Etats-Unis créant par là-même la surprise.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Vendredi 23 août 2019, la Chine a fait un coup d’éclat. Elle a créé la surprise en relançant l’escalade commerciale avec les Etats Unis (la Trade War) : une augmentation de 5 ou 10 points de pourcentage (selon les produits), des droits de douane qu’elle prélève sur divers produits exportés par les Etats Unis (montant global concerné : 75 Milliards de dollars). Le même jour, la Chine dépréciait à nouveau le yuan pour le ramener à seulement 7,09 yuan pour 1 dollar.

Par ces mesures, la Chine se donne des moyens supplémentaires pour maintenir ou même renforcer son énorme excédent commercial annuel (500 Milliards de dollars) ; et par son annonce, elle a fait reculer de 2,5% en moyenne les indices boursiers américains, elle a accentué encore l’inversion de la courbe des taux américaine, elle a poussé le cours de l’or au-dessus du seuil de 1500 dollars….

Assez légitimement, l’Administration américaine a répliqué le jour même. Avant même l’ouverture du G7, elle a porté de 25 à 30 % les droits de douane qui s’appliquent à une tranche de 250 Milliards de dollars d’importations chinoises et de 10 à 15 % ceux qui s’appliquent à une autre tranche de 300 Milliards de dollars.

C’est dans ce contexte que l’on a entendu, avant et pendant le G7, les grands pays européens exprimer de façon diffuse leur réticence à cette « Trade War » au motif qu’elle introduirait un danger de récession internationale. 

Ces dirigeants européens feraient bien de réviser leur raisonnement en prenant le recul nécessaire pour mieux comprendre l’évolution qu’ils ont connue dans les 20 dernières années.

  • Si la croissance des pays qu’on appelle encore industrialisés s’est affaiblie entre 2002 et 2008, c’est en bonne part parce que la Chine déployait sa stratégie anti-coopérative (son adhésion à l’OMC fin 2001 qui venait se combiner à la surexploitation considérable des 280 millions d’ouvriers mingong, à la sous-évaluation énorme et délibérée du yuan, aux transferts de technologie arrachés aux entreprises occidentales…). Cela lui a permis d’accaparer une part, toujours plus forte, du marché mondial des produits manufacturés.

  • C’est d’ailleurs parce que « les exploits commerciaux » de la Chine désindustrialisaient et déstabilisaient les économies occidentales que l’on vit, entre 2001 et 2008, Washington (et aussi Londres, Madrid et Dublin) s’adonner une première fois à l’aventurisme économique : toutes ces capitales stimulaient artificiellement leur sphère immobilière dans le but inavoué de suppléer à la désindustrialisation infligée par Pékin. On connait la suite : la Grande Récession de 2008-2012.

  • Pour en sortir, il a fallu ensuite que les économies occidentales (Etats Unis, Japon, Europe) procèdent à une deuxième vague d’aventurisme économique : laxisme budgétaire renouvelé ; taux directeurs de leurs banques centrales faibles, nuls ou même négatifs ; création monétaire directe par leurs banques centrales (ce qu’on n’avait plus vu depuis la deuxième guerre mondiale). Et ce dispositif, pourtant exceptionnel, leur a seulement permis de renouer avec une croissance très modeste. Ce contraste entre l’ampleur de la relance et la faiblesse de la reprise témoigne de ce que la déperdition de croissance due à la Chine n’a pas disparu après 2008 mais s’est même accentuée : si le supplément de la consommation des ménages qui est engendré par la relance va s’adresser principalement à des produits importés de Chine (parce qu’ils sont surcompétitifs), la reprise ne peut qu’être cruellement décevante.

Au total, les pays européens oublient simplement que s’ils se débattent depuis plus de dix ans avec le risque d’une récession grave et prolongée, c’est précisément parce que la Chine cherche et réussit assez largement à accaparer toute l’activité productive mondiale.

Ils devraient comprendre que la Trade War qu’ils déplorent entre Pékin et Washington correspond en réalité à une nécessité majeure, celle de briser ce qu’il convient de désigner comme la stratégie mercantiliste de la Chine. 

Celle-ci, pour simplifier, se déploie en trois temps :

Premier temps. Par ses excédents commerciaux renouvelés, la Chine désindustrialise la plupart des autres pays et leur inflige des déficits commerciaux renouvelés. Les gouvernements des pays les moins bien placés se trouvent les premiers atteints par ce qui est une déstabilisation économique. 

Deuxième temps. Pour éviter que le mécontentement de la population se traduise par l’irruption d’un mouvement populiste, les gouvernements concernés préfèrent cacher à leurs populations la dégradation de l’économie ; pour ce faire, ils maintiennent les apparences de la prospérité en recourant, de trimestre en trimestre, à un endettement toujours plus important sur le marché mondial des capitaux. Ce marché est dominé par la Chine qui, grâce à ses excédents commerciaux répétés, est de très loin le premier pays créancier. C’est donc principalement auprès de la Chine que les pays, devenus « en difficulté », s’adressent.

Troisième temps. Le degré d’endettement des pays en difficulté est devenu tellement élevé que leur principal créancier, la Chine, leur fait part de sa réticence à leur prêter davantage. Le pays en difficulté, en proie à un déficit commercial qui reste récurrent, n’a alors d’autre choix que de commencer à aliéner progressivement sa souveraineté à la Chine : pour limiter son endettement à l’égard de Pékin, il commence par lui vendre à bon compte ses entreprises quand il en a, puis aussi ses territoires agricoles, ses gisements miniers, ses sites touristiques, ses sites portuaires ou aéroportuaires… et quand tout cela ne suffit pas à l’appétit de l’Etat chinois créancier, le pays peut vendre encore à la Chine sa soumission diplomatique, c’est-à-dire lui proposer de s’aligner systématiquement sur les positions  de Pékin dans les diverses instances internationales. Le pays considéré devient alors de facto un protectorat chinois.

C’est selon un tel processus que la Chine s’est déjà subordonné un nombre considérable de pays qui, antérieurement, étaient encore souverains. 

On comprend mieux pourquoi la stratégie mercantiliste de la Chine est redoutable : elle s’inscrit dans une dynamique qui vise à ce que la Chine puisse se subordonner ou même s’acheter la planète entière.

La passivité à l’égard de la Chine et de sa stratégie mercantiliste est donc lourde de conséquences graves. Comme le dit Liao Yiwu, un des militants prodémocratie qui a survécu à Tian Anmen et à la répression qui a suivi : « Si le reste du monde laisse, dans cet immense pays qu'est la Chine, un régime totalitaire prospérer et prendre plus de puissance, le reste du monde sera sa proie et se trouvera à son tour, directement ou indirectement, sous le couvercle totalitaire du Parti Communiste Chinois ».

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