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G7 à Biarritz : ces inégalités croissantes dans les pays occidentaux dont les progressistes ne veulent pas entendre parler
©LUDOVIC MARIN / AFP

Inégalités

C'est ce samedi que s'ouvre le G7 à Biarritz. Un G7 durant lequel le thème central devrait être celui des inégalités économiques. Un grand dossier sur lequel les sept pays présents -Canada, Grande-Bretagne, Japon, Italie, France, Allemagne, Etats-Unis-ont encore du mal à tomber d'accord.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Le G7 s’ouvre à Biarritz aujourd’hui. Le thème du sommet sera celui des inégalités économiques. De nombreuses associations anticapitalistes ont déjà fait savoir en manifestant que les pays du G7 étaient tenus responsables de la croissance de ces inégalités. Cette croissance est-elle pourtant généralisée ?

Michel Ruimy : En fait, la pauvreté relative (inégalités) s’accroît tandis que la pauvreté absolue baisse dans le monde. La croissance économique des pays en développement a rendu le monde globalement moins inégalitaire. Entre 2000 et 2014, la part de la richesse mondiale captée par les pays « intermédiaires » comme l’Inde, le Mexique, etc. a progressé de près de 50% alors que celle des pays les plus pauvres est restée stable. Cette croissance peut être approchée différemment. Le communisme notamment a entraîné une hausse des inégalités mais le choix des stratégies de sortie a induit des différences considérables. La dérégulation très rapide de l’économie de l’URSS - moins d’une décennie - a transféré tout une partie de la richesse publique aux mains de quelques oligarques, faisant passer le pays le plus égalitaire du monde au rang du plus inégalitaire. En Chine, la transformation a été plus progressive.

Dans le même temps, les inégalités de richesse se sont accrues à l’intérieur des pays riches. En 1980, dans les pays de l’OCDE, 1% des ménages les plus riches captaient 6% du revenu total avant impôt. En 2014, ils en prélevaient 11%. Sur la même période, ce chiffre est passé de 8% à 12% dans les pays du G7. Ainsi, depuis les années 1980, les inégalités se réduisent dans le monde... sauf dans les pays riches.

Cette situation résulte notamment de fortes disparités au sein des pays du G7, liées en particulier à des choix politiques. Au niveau mondial, le modèle social redistributif, adopté de longue date en Europe, pourrait faire la différence pour les plus pauvres. En effet, les impôts et les transferts sociaux peuvent fortement contribuer à réduire la pauvreté relative. Par exemple, la France est le pays qui réduit le plus les inégalités grâce à son modèle social : avec la redistribution, le taux de pauvreté atteint 8% et serait de l’ordre de 35% sans transferts sociaux. Autre élément à prendre en compte : les salaires ont stagné alors que l’inflation a progressé. Pour 25% des citoyens de six pays du G7, le revenu disponible réel a fortement baissé depuis 2005. Parallèlement, l’endettement des ménages a augmenté : il est passé d’un peu plus de 85% du revenu net disponible en 1995 à près de 125% en 2017.

Ainsi, si la croissance économique demeure une condition nécessaire à une prospérité généralisée, celle-ci est insuffisante. Il conviendrait pour relever les défis liés à la lutte des inégalités, d’élargir l’accès à des soins de santé et à une éducation de qualité, d’adopter une nouvelle approche du travail et des compétences… Pour cela, les États devront reposer la question du partage des gains économiques ou de la refonte de l’aide sociale.

Toutefois, le contexte social de chaque pays est également à prendre en considération car les inégalités sont parfois objet de fantasmes. Concernant la France, les inégalités de revenu ont baissé jusqu’aux années 1990, avant de se stabiliser. Si les inégalités de patrimoine ont également baissé drastiquement sur une longue période, certains signaux laissent craindre leur potentiel retour. Les manifestations des « gilets jaunes » ont montré que les territoires sont inégaux, à la fois, entre eux et en leur sein.

Néanmoins, plusieurs éléments comme l’accès au réseau Internet ou le logement montrent que notre pays se positionne comme relativement peu inégalitaire dans la hiérarchie mondiale en raison notamment des dépenses sociales, une des plus élevées du monde, qui se monte à plus du tiers du Produit intérieur brut (PIB).

Pourtant, les perceptions sont toutes autres, et il y a une réelle crainte française vis-à-vis des inégalités. Nos concitoyens se caractérisent par leur scepticisme. En 2018, selon une étude de McKinsey, ils étaient 76% à estimer que notre pays était sur la mauvaise voie (contre 60% pour l’ensemble du G7).

De même, la pauvreté dans le monde n’a-t-elle pas reculé depuis trente ans ?

En France, comme à l’échelle mondiale, les débats sur les inégalités passent par ceux sur la pauvreté. Or, ce phénomène est une notion qui évolue tant dans sa définition - qui peut-on qualifier de pauvre ? - que dans ce qu’elle reflète de la société - combien y a-t-il de personnes pauvres ? Chacune de ces deux frontières influence l’autre : plus le seuil de pauvreté, qui se situe à 1,9 dollar par jour actuellement, est bas, moins il y a de personnes concernées. Une autre manière de l’appréhender consiste à mesurer la « privation matérielle » ou la « pauvreté en conditions de vie » qui désigne l’incapacité à se procurer certains biens et services considérés par la plupart des individus comme souhaitables, voire nécessaires, pour un niveau de vie acceptable.

Si les progrès économiques ont permis de réduire l’extrême pauvreté, près de la moitié des habitants de la planète (environ 3,4 milliards d’individus, notamment en Afrique subsaharienne) reste confrontée à de grandes difficultés pour satisfaire leurs besoins élémentaires. Les comparaisons internationales ne portent plus seulement sur la pauvreté absolue mais sur la pauvreté relative, qui recense les ménages vivant sous une certaine fraction du revenu médian. Il ressort que si la pauvreté absolue baisse de plus de la moitié dans les pays en développement, la pauvreté relative a triplé, le dénuement total a diminué mais les inégalités y progressent.

Par ailleurs, on observe un déplacement de la pauvreté extrême, nourri par la baisse importante de la pauvreté dans des pays devenus des puissances économiques. La Chine ne compte, officiellement, « presque » plus de pauvres (10 millions) tandis que ce volume se réduit rapidement en Inde (moins de 100 millions d’individus en 2017).

En termes de taux de pauvreté monétaire (pourcentage de personnes vivant avec 1 000 euros par mois de revenus disponibles), l’Union européenne (UE) compterait 87 millions de pauvres, dont 13 millions en Allemagne, 12 millions en Italie, 10 millions au Royaume-Uni.

En France, la pauvreté est stable - autour de 14% de la population soit 9 millions de personnes - et se situe en-dessous de la moyenne européenne, qui est à 17%, du fait de l’importance des dépenses sociales et de la redistribution. Mais cette stabilité déguise les transformations et les problèmes concrets comme la part croissante des dépenses contraintes des ménages, en particulier le coût du logement. Elle s’est transformée aussi. Après la Seconde Guerre mondiale, ce phénomène touchait les personnes âgées. Aujourd’hui, le panorama est bien différent : elle affecte surtout les jeunes, elle est concentrée dans certaines zones urbaines problématiques, et elle concerne davantage les familles monoparentales que les familles nombreuses. Elle touche, en proportion, de plus en plus de travailleurs pauvres et d’étrangers.

La célèbre courbe de l’éléphant, que l’on doit à Branko Milanovic, montre qu’il y a une vraie distinction à faire entre tendances des inégalités dans les pays riches et ailleurs. Dans quelle mesure cette distinction est à l’origine du trumpisme et, plus généralement, des courants dits populistes ? Le thème des inégalités au sein des pays développés a-t-il une chance d'être abordé dans un G7 organisé par la France, qui met l'accent sur les premières plutôt que sur les deuxièmes ?

Si les pays s’inscrivent dans une tendance où la concurrence fiscale est attisée, où la progressivité de l’impôt se réduit, comme c’est le cas actuellement en France ou aux Etats-Unis, ils porteront alors une lourde responsabilité vis-à-vis des autres nations comme l’Inde, les pays africains, le Brésil… car, afin de rester concurrentiels sur le plan fiscal, ce mouvement incitera ces pays à aller plus loin encore dans cette voie dangereuse. Cette « fuite en avant » est d’autant plus incohérente que les groupes de contribuables que ces pays favorisent au plan fiscal sont ceux qui ont accaparé une part disproportionnée de la croissance au cours des dernières décennies. De telles réformes ne peuvent qu’aggraver le sentiment d’abandon, face à la mondialisation, qu’ont les classes populaires et moyennes.

Je suis sceptique quant à savoir si cette question sera abordée. Je ne pense qu’il n’y aura pas de communiqué final, tout simplement pour éviter des querelles entre les dirigeants. Ce G7 devait discuter des inégalités, plus spécifiquement de la lutte contre les inégalités de destin et les inégalités environnementales.

Or, le G7 est une instance de concertation multilatérale, en « entre soi » où seuls les pays les plus riches ont droit de cité pour discuter des conflits et négociations internationales en cours. Dans le contexte actuel, les conflits d’intérêts nationaux s’annoncent nombreux. Ce groupe informel est devenu, par la force des choses, le théâtre d’enjeux diplomatiques.

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