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Un été tranquille ? Pourquoi Emmanuel Macron ne devrait pas se fier à ce (relatif) calme apparent
©GERARD JULIEN / AFP / POOL

Rentrée présidentielle

Comparée à l'été 2018, la saison a été plutôt calme. Mais rien de fondamental n'a changé dans l'opinion depuis la grand crise de l'hiver.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : La rentrée des ministres a eu lieu hier et il est donc temps de faire le bilan de l'été 2019 pour le Président de la République et le gouvernement. En comparaison de l'été 2018, il semble avoir été relativement calme (exceptée peut-être l'affaire Rugy). Ce calme médiatique est-il fidèle à la situation du Président de la République dans l'opinion ?

Bruno Cautrès : Il est certain que l’été 2019 fut assez calme pour Emmanuel Macron, en comparaison avec l’été 2018 marqué par l’affaire Benalla. La démission de François de Rugy n’a d’ailleurs pas eu le même retentissement que l’affaire Benalla. Dans le même temps le chômage est légèrement à la baisse, les Gilets jaunes se sont essoufflés et Emmanuel Macron donne le sentiment d’avoir repris le contrôle de l’agenda. Le Président de la République a également connu une remontée de sa popularité dans l’opinion depuis le début de l’été. Pourtant, la situation d’Emmanuel Macron dans l’opinion n’est pas pour autant restaurée : l’impopularité a reculé mais elle reste très largement majoritaire. Selon les différentes mesures de popularité enregistrée pendant l’été, le pourcentage des Français qui se déclarent insatisfaits de l’action d’Emmanuel Macron oscille autour des deux tiers. Si l’on prend par exemple le baromètre de popularité réalisé par l’IFOP, en juillet 32% des Français interrogés se déclaraient satisfait d’Emmanuel Macron comme Président de la République. C’est un pourcentage intermédiaire entre la satisfaction exprimée au même moment de leurs mandats pour François Hollande (18% en juillet 2014) et Nicolas Sarkozy (43% en juillet 2009). Par ailleurs, le baromètre réalisé par BVA en juillet montrait qu’amenés à exprimer par une question ouverte leur opinion à propos d’Emmanuel Macron, les Français négatifs vis-à-vis de son action continuaient de le percevoir comme « le Président des riches » et comme « arrogant ». En fait rien de fondamental n’a bougé dans l’opinion à propos d’Emmanuel Macron ; celui-ci a néanmoins réussi à enrayer la descente aux enfers de sa popularité de la fin 2018/début 2019. Le Grand débat national lui a permis d’ouvrir le parachute de survie. Mais il lui reste un long chemin à parcourir pour reconquérir certaines franges de l’opinion publique, notamment à gauche.

Quelles parties de l'électorat du Président sont les plus "à risques" en cette rentrée ? Qu'est-ce qui a pu entamer leur fidélité à Emmanuel Macron ? 

Sociologiquement et politiquement l’électorat est très clivé à propos d’Emmanuel Macron : le clivage gauche-droite, sans être autant marqué que pour ses prédécesseurs, fait un certain retour. Si l’on reprend le baromètre publié par l’IFOP en Juillet, on voit que la popularité d’Emmanuel Macron est certes à son plus faible niveau chez les sympathisants du RN (7%) et de la France insoumise (10%). Mais en second rang, c’est au sein de l’ensemble de la gauche que cette popularité est à un faible niveau : 25% de popularité auprès des sympathisants PS et 27% auprès de ceux de EELV. La popularité d’Emmanuel Macron est en revanche très forte parmi les sympathisants de la République en marche (95%) ou du Modem (74%) et au-dessus de sa moyenne parmi les sympathisants du centre-droit (38% chez les sympathisants UDI) et de la droite (34% parmi ceux de LR). Sociologiquement c’est parmi les milieux populaires et les classes moyennes que la popularité d’Emmanuel Macron est à son plus bas niveau, en particulier parmi les ouvriers (21%). Là encore, en constate que la remontée de popularité enregistrée par Emmanuel Macron au début de l’été n’a pas fait bougé en profondeur les lignes de clivages à propos de son action. Par ailleurs, la réforme des retraites a fait apparaître pendant l’été quelques nouvelles lignes de front : les professions libérales et notamment les avocats se montrent très fortement opposées à cette réforme.

La rentrée va être occupée par de nombreuses réformes : réforme des retraites, lois sur l'assurance-chômage, lois de bioéthique, etc. Sont-elles susceptibles de mobiliser une opposition sociale ? Sous quelle forme est-ce le plus probable ?

La fameuse « convergence des luttes sociales » est davantage un mythe qu’une réalité aujourd’hui. Pour qu’un front uni des mécontentements apparaisse il faut un ciment unificateur : mais les réformes en cours sont présentées par le gouvernement comme partie prenantes d’un vaste chantier de redistribution qui consiste à redonner aux uns et à reprendre à d’autres. Si l’on prend le cas de la réforme des retraites, le système actuel est présenté par l’exécutif comme injuste, avec des catégories de Français qui ont des avantages que d’autres n’ont pas. Néanmoins cette rhétorique du retour à des solutions plus équitables, plus lisibles, plus justes, va être rapidement confrontée aux réalités : les négociations entre le gouvernement et les partenaires sociaux vont commencer à la rentrée et l’on voit déjà que les syndicats, mêmes la CFDT, expriment des mécontentements et des oppositions fortes à cette réforme. Il y a d’autres terrains minés sur le front social : la réforme de l’indemnisation du chômage, celle de la fonction publique ou encore la réforme des lycées. Le gouvernement va devoir montrer, à travers sa conduite de ces réformes, qu’il a doublement tenu compte de la crise sociale et démocratique que nous avons vécus entre l’automne 2018 et le printemps 2019 : sur le contenu et sur la méthode des réformes. Ce n’est pas gagné car dans le même temps le temps presse pour le gouvernement : la légère baisse du chômage ne constitue pas un bilan positif suffisant sur le plan socio-économique. Nous sommes déjà à mi-mandat… ! La loi bioéthique et sa mesure emblématique sur la PMA sera sans doute gérée par l’exécutif de manière à ne pas reproduire le scénario des manifestations contre le mariage pour tous en 2012/2013. La méthode de travail et de concertation avec toutes les sensibilités qui existent dans le pays sur cette question sera un point déterminant. Un important travail en amont a déjà été fait, il restera au gouvernement à faire la pédagogie de son action et de ses choix.

Pour conclure, je dirais qu’Emmanuel Macron n’est pas encore sorti de la crise que nous avons vécue ; il semble bien en être conscient. Une série d’étincelles peut tout à fait faire tout repartir. Si l’exécutif semble axer toute sa communication sur l’idée d’un « acte 2 » du quinquennat, plus « social » et avec une nouvelle communication (plus « humble »), la seconde partie du mandat va également donner lieu aux premières analyses d’impact du macronisme sur les grandes inégalités sociales et économiques. Une vraie épreuve de vérité dont les résultats joueront un rôle très important sur les stratégies des acteurs politiques dans la perspective de 2022…

Propos recueillis par Augustin Doutreluingne.

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