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Yémen, la situation évolue discrètement cet été à l'abri des regards des vacanciers
©Nabil HASAN / AFP

Inflammable

Le 17 août, les rebelles yéménites houthis ont mené un raid de dix drones qui ont atteint les installations pétrochimiques d’Aramco à al-Shaybah.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Le 17 août, les rebelles yéménites houthis ont mené un raid de dix drones qui ont atteint les installations pétrochimiques d’Aramco à al-Shaybah. Ces dernières sont constituées de champs pétroliers, d’une station de pompage et de capacités de stockage atteignant le million de barils. Ces installations sont situées à dix kilomètres au sud de la frontière d’Abou Dabi et à plus de 1 000 kilomètre de la zone d'influence des Houthis au Yémen ! Même si les dégâts semblent minimes car il n’y aurait pas eu de pertes humaines et seul un incendie rapidement maîtrisé a été déclaré, l’impact psychologique reste important. À savoir que les Houthis possèdent des vecteurs capables d’atteindre des cibles à de grandes distances - même si les capacités de guidage terminal paraissent alors très aléatoires.

Selon différentes sources, les Houthis auraient tiré entre 500 et 560 missiles balistiques, missiles de croisière et plusieurs drones explosifs depuis le début de la guerre en 2015. Les cibles étaient situées au Yémen même, dans les provinces sud de l’Arabie saoudite mais aussi dans la profondeur de son territoire. Les engins sont des copies d’armements soviétiques et iraniens qui auraient été fabriqués localement par des techniciens de l’ancienne Garde Républicaine qui ont rejoint les Houthis en 2014. Il ne faut pas oublier les matériels bricolés comme des drones marins utilisés dans le détroit de Bab el-Mandeb. Il convient aussi de se rappeler que les armes sophistiquées étaient placées sous la responsabilité de la Garde Républicaine du président Ali Abdallah Saleh qui a rejoint la rébellion houthi en 2014 après avoir été contraint à la démission en 2012 après la révolution de 2011 (qui suivait les "printemps arabes"). Pour mémoire, il a été assassiné en tentant de fuir Sanaa pour rejoindre les Saoudiens le 14 décembre 2017. Un dernier retournement de veste qui s'est mal terminé...

Pour en revenir aux drones, missiles ou autre joyeusetés mises en oeuvre par les Houthis, il est difficile de croire qu'ils ne bénéficient pas d'une aide extérieure compétente que seuls les Iraniens sont en mesure de leur fournir. Ces derniers sont assez intelligents pour ne pas laisser derrière eux des preuves exploitables par les Occidentaux en général et par les États-Unis en particulier (ces derniers ont bien tenté de présenter des "preuves" à partir de débris de missiles récupérés en Arabie saoudite mais la présentation ne s'est pas révélée pas totalement convaincante. Il faut reconnaître que les fausses preuves de détention d'armes chimiques par Saddam Hussein en 2003 a laissé une défiance inaltérable face aux mensonges US. En résumé, plus personne ne les croit - même quand ils ont raison - Cela dit, les Américains étant persuadés de leur "bon droit", cela n'a aucune importance à leurs yeux. L'opinion internationale ne les émeut guère tant qu'ils gardent les rênes financières. 

Au moment de la frappe (la plus importante depuis le début du conflit selon les Houthis) l’Iran organisait à Téhéran une réunion regroupant des représentants des rebelles Houthis en présence des ambassadeurs de France, de Grande Bretagne, d’Allemagne et d’Italie. La première décision officiellement prise a été l’installation d’un ambassadeur représentant les Houthis à Téhéran en la personne de Ibr al-Dailamy ce qui va accroître les suspicions (justifiées) d’ingérence iranienne au Yémen.

Situation chaotique à Aden où les séparatistes sudiste tiennent le haut du pavé

Par cette opération spectaculaire, il semble que les Houthis veulent avertir les Émirats Arabes Unis de ne pas les "oublier" dans les négociations qu’ils ont engagé avec une autre partie, le Conseil de Transition du Sud (CST) qui a affronté avec succès les forces gouvernementales du président en exercice, Abd Rabbo Mansour Hadi, à Aden les accusant d'être liées aux Frères musulmans, prétexte évident pour s'attirer la sympathie de Riyad qui exècre cette confrérie. Toutefois, Mansour Hadi préfère, pour sa sécurité personnelle, résider principalement à Riyad. Dans un premier temps, Abou Dabi semble avoir soutenu les séparatistes sudistes au grand déplaisir de Riyad qui dirige la coalition arabe qui intervient tout à fait légalement au regard du Droit international au Yémen depuis 2015. Toutefois, devant la pression exercée par son grand allié saoudien, Abou Dabi est revenu dans le rang et les sudistes ont été contraints d’évacuer les bâtiments officiels dont ils s’étaient emparés à la mi-août : le siège du gouvernement (Sanaa étant occupé par les Houthis, c’est Aden qui a été choisi comme capitale intérimaire par les autorités légales yéménites), le Conseil suprême de la Justice, la Banque centrale et l’hôpital central. Le 18 août, il restait à rendre le ministère de l’intérieur et la raffinerie d’Aden. Il n'empêche que si les forces des EAU ont majoritairement quitté le Yémen à la grande fureur de Riyad en présentant une défaite comme une vicoire ("job is done"), ils laissent derrière eux de nombreuses milices (comme celles du CST) qu'ils ont entrainé et équipé. 

La situation au Yémen est chaotique et totalement imprévisible. Alors que la population est soumise à la famine et aux manques de soins médicaux, un gouvernement officiel (car reconnu par la communauté internationale) ne tient que par la présence de la coalition militaire emmenée par l’Arabie saoudite, le prince Mohamed Ben Salmane ayant fait de cette guerre son premier geste politique fort. Les Émirats Arabes Unis tentés par la mainmise sur les îles formant l'archipel de Socotra au sud du Yémen, sur Aden et sur le Détroit de Bab el-Mandeb (détroit que Téhéran lorgne également) ont suivi l'Arabie saoudite jusqu’à ce que les intérêts de Riyad viennent gripper leurs belles ambitions. Pour le moment, ils sont obligés de faire profil bas mais ils attendent leur heure pour repartir à l’offensive (comme les séparatistes sudistes qui ne reconnaissent plus le gouvernement légal ni celui des Houthis).

Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) qui a son siège au Yémen tient de nombreuses régions côtières et intérieures. Son premier souci consiste à empêcher que Daech ne renforce ses positions au centre du pays.

Les États-Unis n’ont qu’une seule préoccupation : contrer l’influence supposée de l’Iran (le thème central de l'Administration Trump en matière de politique étrangère avant sa détestation assumée de la Russie et de la Chine) dans la zone et surtout garantir la sécurité dans le Détroit de Bab el-Mandeb.

Pour une fois, les Russes et les Chinois paraissent être absents(1) de la région, leurs intérêts et leurs moyens restant limités.

Seule certitude, le bourbier yéménite va perdurer mais, comme pour l'Afghanistan toujours aussi incontrôlable, est-ce vraiment une nouveauté ?

1. L’auteur n’est jamais sûr de rien, particulièrement en matière d’activités menées par les services secrets.

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