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Ces quatre pièges qui pourraient bien perturber la rentrée d'Emmanuel Macron (et la botte secrète du Président)
©Yann COATSALIOU / POOL / AFP

Avis de tempête

Alors que le Président fait sa rentrée diplomatique, certains sujets seront sensibles dans les prochaines semaines. Emmanuel Macron garde tout de même un avantage : il n'a pas d'opposition légitime et forte.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Une séquence estivale révélatrice

La séquence estivale du président de la République vaut la peine d’être remémorée, y compris pour ce qu’il a n’a pas fait : se trouvant dans le sud de la France, Emmanuel Macron a voulu donner l’idée qu’il prenait un temps de régénération, après une année difficile; il a soigneusement choisi ses apparitions: d’abord dans une pizzeria, puis pour évoquer le débarquement de Provence puis, peu avant de rentrer, pour prononcer un discours et serrer les mains de Français triés sur le volet. Comme à son habitude, le président a alterné les propos et les attitudes contradictoires.  Il a voulu montrer des goûts simples; mais qui, dans la France profonde, peut considérer qu’ un repas à 27 euros par personne, ce n’est pas cher? Et puis, quand l’on est président de la République, ne devrait-on pas mettre en valeur la gastronomie française plutôt que l’une des réalisations culinaires italiennes les plus célèbres ? Mais le président aime-t-il l’identité française? Comme le dit le journal « Le Point », la pizza est le symbole d’une « mondialisation heureuse ». Et, lors de la commémoration du débarquement de Provence, le 15 août 2019, il a exalté l’africanité d’une partie des troupes sous commandement français en 1944, non leur francophonie ni leur appartenance, à l’époque, à l’Empire français.  Le président aime-t-il l’histoire de notre pays, surtout quand elle est glorieuse?  Ce même 15 août, il n’avait qu’un petit trajet en avion à effectuer pour se rendre en Corse, à Ajaccio, et commémorer le deux-cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Napoléon Bonaparte mais le président français ne l’a pas voulu. Cela ne l’a pas empêché, quelques jours plus tard, d’exalter l’esprit de résistance des Français, leur héroïsme, et d’appeler à la paix civile. Curieusement, Emmanuel Macron n’avait pourtant pas voulu se déplacer, quelques jours plus tôt, lors de l’enterrement du maire de Signes (là il se serait agi de faire soixante kilomètres), mort dans l’exercice de ses fonctions apparemment victime d’une de ces violences qui deviennent de plus en plus banales dans notre pays - renversé par un camion sur un chantier illégal. 

Une seule constante dans le parcours politique d’Emmanuel Macron: tenir la « France périphérique » à distance!

Les commencements disent l’essentiel: rappelons-nous qu’Emmanuel Macron avait réussi, durant sa campagne électorale, à rendre hommage à Jeanne d’Arc puis à déclarer qu’il n’y avait pas de culture française et même parler de la colonisation comme d’un « crime contre l’humanité ». Il a été élu, malgré le « en même temps » permanent, une façon de dire une chose et son contraire sans être sanctionné par l’opinion publique. Mais le « en même temps » n’est pas fait pour s’adresser aux catégories populaires, qui sont à l’euro prêt et qui veulent qu’on appelle un chat un chat. Il est fait pour des catégories sociales qui peuvent se payer le luxe de ne pas choisir.

Comment Emmanuel Macron ne continuerait-il pas sur la voie qui est la sienne, surtout après avoir survécu à la terrible crise des Gilets Jaunes? Qui aurait donné cher de le peau du président dans les premiers jours de décembre, lorsque des Français en colère se sont approchés, menaçants, du véhicule présidentiel en train de sortir de la préfecture du Puy-en-Velay? Et lorsqu’il a fallu que certains visiteurs du soir de l’Elysée se fâchent et menacent de retirer leur soutien à celui qu’ils avaient fait élire s’il ne faisait pas des concessions, au moins apparentes, au mouvement des Gilets Jaunes? Mais Emmanuel Macron a réussi à colmater les brèches. Lui qui parle de paix civile, a laissé la police exercer la répression d’un mouvement social la plus violente - de très loin - de l’histoire de la Vè République. Parallèlement, le président a mis en scène, le « Grand débat », un dialogue avec les Français qui a été en fait une longue série de monologues avec des interlocuteurs triés sur le volet et dans des lieux protégés par de larges périmètres de sécurité. 

En fait, pour comprendre Emmanuel Macron, il faut l’observer sur la durée: il s’est fait élire en ayant une majorité relative dans la moitié socialement la plus aisée de la population; et toute son attitude politique - on ne peut pas parler de stratégie - consiste à tenir à distance l’autre moitié de la société française. Il avait trahi par de petites phrases, avant l’élection présidentielle, qu’il méprisait la France périphérique; la crise des Gilets Jaunes est ce qui a le plus ressemblé, jusqu’à maintenant, à une tentative de la moitié de France tenue à l’écart d’approcher l’inaccessible chef de l’Etat, de se rappeler à son bon souvenir. Mais ce dernier a signifié à maintes reprises qu’il y avait des Français à ses yeux infréquentables. Il est prêt à repousser ceux qui s’approcheraient trop près par la force. Rien ne doit troubler la quiétude d’un chef de l’Etat qui considère que l’Europe et le monde sont ses vrais terrains d’action: son parti a connu une cuisante défaite aux élections européennes mais des commentateurs complaisants, en France et dans l’ensemble de l’Union Européenne, ont d’autant plus facilement transformé une défaite en victoire qu’Emmanuel Macon a profité de l’affaiblissement d’Angela Merkel pour marcher grossièrement sur les pieds de son partenaire allemand. Dans quelques jours, le président français plastronnera en accueillant le G7 à Biarritz; et vous pouvez compter sur des médias complaisants pour taire aux Français qu’il se sera fait remettre en place, une fois de plus, par Donald Trump et sera apparu bien pâle face à Boris Johnson. Un nombre gigantesque de policiers et de gendarmes sera occupé à la sécurisation du périmètre du sommet tandis qu’ailleurs en France auront lieu des agressions et des crimes devenus ordinaires, en particulier dans les territoires perdus de la République. Peut-être évoquera-t-on la crise de Hong Kong et le président français s’indignera-t-il contre le déploiement des forces de l’ordre dans la cité autonome; ses partenaires auront du mal à réprimer un sourire - une leçon de modération policière de la part de l’homme qui a fait viser systématiquement à la tête, au visage, à coups de projectiles, de matraques ou de gaz lacrymogènes surpuissants les manifestants Gilets Jaunes.   

Un chef de l’Etat et un gouvernement en apesanteur

La grande chance d’Emmanuel Macron, c’est qu’il n’a pas d’opposition politique à domicile qui puisse le mettre en danger. Les Républicains ne se sont jamais remis de la défaite de Nicolas Sarkozy et, plus le temps passe, plus ils se montrent incapables de structurer une opposition au-delà de quelques escarmouches parlementaires. Quant à Marine Le Pen, elle s’est remise du débat présidentiel qu’elle avait raté face à Emmanuel Macron mais elle ne dispose toujours pas des réseaux dans l’appareil d’Etat ni dans les milieux économiques pour être en mesure d’exercer le pouvoir. A gauche, il n’y a pas de capacité à structurer une alternative, non plus - alors qu’il serait sans doute possible de construire un bloc de gauche en enfermant Emmanuel Macron dans son flirt avec les électeurs du centre-droit. Mais la gauche semble, encore plus que la droite, incapable d’imaginer une autre politique qui puisse servir de socle à une majorité de second tour. 

Voilà qui explique la véritable apesanteur dans laquelle le président de la République et son gouvernement peuvent se maintenir. Quand on met bout à bout l’ensemble des problèmes qui ont surgi ces derniers mois, on se dit qu’il est étonnant que le gouvernement puisse se tenir à ce point loin des événements, comme si cela ne le concernait pas: avez-vous entendu un mot du président suite à la statue du Général descellée à Evreux un soir de match de la Coupe d’Afrique des Nations par de jeunes supporters de l’Algérie? Il faut dire que l’on a pas entendu non plus les héritiers du gaullisme s’indigner. Avez-vous entendu le président faire part de sa tristesse après le meurtre, le même soir, d’un jeune universitaire africain de l’université de Rouen? Il faut dire que l’on n’a pas entendu non plus les héritiers de Nicolas Sarkozy, ce président qui a tant fait pour l’université française, s’inquiéter de l’image que donne notre pays alors qu’il s’agit d’attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs internationaux. On pourrait multiplier les exemples de ce type. Cependant, ce dont nous parlons, c’est d’une détérioration constante de la situation française: Emmanuel Macron ne change pas et le tissu social français se déchire un peu plus tous les jours. Faisons donc l’hypothèse que la situation est beaucoup plus volatile qu’elle n’en a l’air. Le vaisseau spatial gouvernemental, même si ses passagers aiment l’apesanteur, est obligé, régulièrement, de rentrer dans l’atmosphère pour aller se ravitailler, réparer des pièces endommagées, refaire les forces de l’équipage. Il y aura, de l’automne aux élections municipales, des passages obligés. 

Quatre écueils possibles

Il est possible d’identifier quatre facteurs de risque majeurs pour le président et son gouvernement. L’automne n’est pas sans risque pour le président. 

Premier facteur, Emmanuel Macron est un risque pour lui-même. L’homme est connu pour sa capacité à redescendre aussi vite qu’il est monté, de son propre fait. Son arrogance vis-à-vis des catégories populaires mais aussi des opposants politiques l’a plusieurs fois fait chuter de son piédestal, la crise des Gilets Jaunes n’en étant que la manifestation la plus spectaculaire. Le président peut se mettre en danger lui-même - d’autant plus qu’il n’accepte jamais qu’à contrecoeur d’avoir tort - mais il peut aussi être fragilisé par des membres de son entourage. Combien de temps pourra-t-il soutenir Christophe Castaner? L’affaire Benalla ressurgira-t-elle? On peut imaginer aussi qu’Emmanuel Macron soit très secoué par l’évolution des enquêtes sur la cession d’Alstom et le scandale fiscal qui entoure General Electric. Rappelons-nous aussi la manière très curieuse dont les MacronLeaks étaient sorties à deux jours du deuxième tour de l’élection présidentielle. Le président est-il à l’abri d’un autre piratage informatique ou d’une autre divulgation de documents ? 

Deuxième facteur, la politique de réformes. Le gouvernement peut-il sortir indemne d’un nouveau débat sur les retraites? N’aura-t-il pas tendance à en rajouter sur « la PMA pour toutes », en pensant que c’est un sujet facile, vu que les catholiques, parmi lesquels on trouve le plus d’opposants, sont malgré tout devenus très minoritaires au sein de ce que Jérôme Fourquet appelle « l’archipel français »? Mais que se passera-t-il si une partie de la droite, mécontente de ses propres élus, saisit le prétexte d’une nouvelle Manif pour Tous? Et puis le gouvernement a-t-il oublié la mésaventure de François Hollande, qui a perdu le soutien d’une bonne partie de l’électorat musulman avec le « mariage pour tous »?  Il faut aussi tenir compte des réformes en cours, et qui passent mal, telle la réforme du bac, largement refusée par les enseignants, dont une minorité radicalisée a perturbé le déroulement du baccalauréat 2019 bien au-delà de ce qu’ont rapporté les médias. 

Troisième facteur, la multiplication des mécontentements dans le corps social. Le feu des Gilets Jaunes couve encore sous la cendre. On n’y fait plus guère attention mais le mouvement n’a en fait jamais cessé. Il ne rassemble plus que quelques milliers de personnes chaque samedi mais il y a toujours une bonne centaines d’actions - et des violences des forces de l’ordre. Rien ne dit que le mouvement ne reprendra pas après un moment de sommeil, son esprit ayant été entretenu par des militants irréductibles. L’étincelle peut avoir lieu à l’occasion d’un autre mouvement de mécontentement: que se passera-t-il dans l’hôpital public? Peut-on imaginer que la police, qui a connu plus de quarante suicides dans ses rangs depuis le début de l’année, laisse déborder sa colère, prise entre les ordres violents, le surmenage, la médiocrité salariale, l’hostilité d’une partie de l’opinion? On peut aussi imaginer que cette France multiculturelle qu’Emmanuel Macron aime tant flatter, par des déclarations qui sont autant de défis jetés à l’identité française, échappe à son flatteur et que les banlieues s’embrasent à contretemps alors qu’elles se sont tenues en grande partie tranquilles pendant toute la crise des Gilets Jaunes. 

Quatrième facteur, une crise internationale. Il y a des observateurs de la scène financière qui attendent depuis de longs mois une crise de grande ampleur. Mais on peut aussi imaginer que le conflit diplomatique entre les Etats-Unis et l’Iran s’envenime. Ou bien que Donald Trump se retourne brusquement contre le dictateur nord-coréen qui aura voulu jouer au plus fin avec lui. Ou bien, plus immédiatement, que la crise de Hong Kong soit difficile à maîtriser, et pour le gouvernement chinois et pour les marchés financiers. Ou bien, simplement, l’effet boomerang du Brexit qui, pour autant que l’on puisse en juger, va être bien plus dur pour une UE restée « droite dans ses bottes » que pour la Grande-Bretagne. Emmanuel Macron n’a ni le pragmatisme de Nicolas Sarkozy, qui avait été particulièrement utile pendant la crise de 2008-2009, ni la capacité à se faire respecter sur la scène internationale qu’avait Jacques Chirac. François Hollande n’était pas beaucoup plus efficace, mais il était plus diplomate. Emmanuel Macron serait vite dépassé dans une crise internationale majeure et cela l’affaiblirait sur le plan intérieur. 

Emmanuel Macron a eu tort de ne pas commémorer Napoléon Bonaparte. Il va avoir besoin d’isoler obstacles et adversaires possibles pour les battre séparément - le principe de base de la stratégie napoléonienne. Il dispose, comme la présidente du Rassemblement  National, d’un noyau assez solide de 23à 25% dans l’opinion. Mais à la différence de son adversaire, il bénéficie d’une plus grande cohésion sociale de cet électorat et des leviers de l’appareil d’Etat. C’est pour l’instant suffisant pour empêcher une coalition des adversaires et des forces contraires. Cependant, comme disait Laetitia Ramolino, mère de Napoléon: « Pourvu que cela dure ! » 

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