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"Une part d'Afrique en elle" : petit voyage dans les méandres de la conception macronienne de la nation
©ERIC GAILLARD / POOL / AFP

Cinquante nuances de bleu, blanc, rouge

Emmanuel Macron a rendu hier hommage aux combattants africains, venus des colonies françaises, qui ont débarqué en Provence le 15 août 1944. Il a par ailleurs déclaré que « la France a une part d’Afrique en elle ».

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico : S’il ne s’agit pas de renier la présence et la bravoure des soldats africains débarqués en Provence le 15 août 1944, les déclarations du Président de la République peuvent conduire à s’interroger sur ce qu’il entend quand il parle de la France. Quelle conception de la nation vous semble émerger des discours d’Emmanuel Macron depuis son entrée en politique en 2014 ?

Yves Michaud : A relire l’anthologie des propos de Macron sur la nation, je me dis d’abord que, comme l’écrivait Clément Rosset, la littérature présidentielle est éternelle. Pourquoi écrire ou se faire écrire des platitudes pompeuses pareilles ? Le style comme la pensée sont navrants mais ce n’était pas mieux du temps de Chirac, de Guaino ou de Buisson.

Pour ce qui est du « fond », j’ai l’impression que Macron est partagé entre deux conceptions : la nation-sursaut et la nation-mosaïque. 

La nation-sursaut, c’est celle de Jeanne d’Arc, de Simone Veil,  de l’après-incendie de Notre Dame. La nation-mosaïque, c’est son moment bobo des beaux-quartiers : la France est une tribu faite de tribus, avec des Gaulois, des Africains, des gays, des people. Je ne suis pas certain qu’il sache choisir entre les deux visions, ni même qu’il ait des idées claires sur le sujet : il s’en sert selon les opportunités mais sur le fond, il n’est pas fixé et s’en fiche un peu comme toutes les « élites cosmopolitiques » d’aujourd’hui : parfois il faut resserrer les boulons, surtout pour faire pièce aux affreux populistes, mais le reste du temps, l’arc-en-ciel, c’est cool, surtout si on n’habite pas Aulnay.

Les figures qu’invoque le Président dans ses discours sur la nation sont souvent des figures qu’il interprète comme des figures de résistance qui ont réussi à rétablir l’unité nationale : c’est ainsi qu’il parlait de Jeanne d’Arc en 2016 (« Elle a rassemblé des soldats de toutes origines. »), ou de Simone Veil en 2018. En évoquant la « part d’Afrique », pense-t-il faire de même ? Est-ce selon vous une manière efficace de le faire ?

Quand il parle nation-sursaut, Macron prend bien soin de ne pas évoquer des figures qui seraient politiquement gênantes. Il ne citera évidemment ni Péguy, ni Lazare Carnot ni les Soldats de l’an II… Ça ferait catho ou Mélenchon. Quant à de Gaulle, il le garde, je suppose, pour les cas d’apocalypse. Cela dit, il faut mesurer le convenu de ces références à l’aune de l’ignorance. C’est normal chez ces hommes politiques élevés à l’ENA.  

J’ai été surpris de la manière dont il parlé de la « part d’Afrique ». Je suis partagé sur l’interprétation. Le fait est que les « troupes coloniales » ont eu un rôle important dans la libération à partir de la Provence – en n’oubliant pas leur action dans la campagne d’Italie – et que leur rendre hommage s’imposait. De là à parler de « part d’Afrique »…

Ou bien  c’est du Johnny Halliday – il a dit la même chose aux obsèques de Johnny – dans le style « quelque chose de Tennessee ». Ou bien c’est sa conception de la nation-mosaïque qui prend le dessus parce qu’il a reçu récemment des représentants du CRAN (conseil représentatif des association noires) et s’est fait faire une fiche sur les origines africaines de la pensée européenne. Ici aussi on remarquera qu’il ne cite pas les maghrébins qui pourtant prirent une part importante à la Libération et forment aujourd’hui l’essentiel de la population immigrée . Evidemment, il ne parlera jamais de religion – on attend encore le grand discours sur la laïcité, comme on a attendu dans le  ci-devant « grand débat » l’évocation des migrants. Il est intéressant de répertorier les taches aveugles de la politique de Macron : ce dont il promet de parler et ne parlera jamais alors qu’il est un bavard pas possible.

On a coutume d’opposer une conception essentialiste de la nation et une conception contractualiste. Peut-on situer la position d’Emmanuel Macron entre ses deux pôles ou faut-il invoquer d’autres traditions philosophiques pour la comprendre ?

Historiquement et conceptuellement, il n’y a jamais eu de conception contractualiste de la nation : une nation, c’est toujours une essence, que celle-ci soit raciale, ethnique, linguistique, géographique, civilisationnelle. Le contrat, lui, est constitutif d’une communauté politique qui peut ou non recouvrir une nation ou un peuple. Il peut s’appuyer sur la nation – comme on le voit lors de la Révolution française et notamment au moment de la levée en masse – mais ce n’est pas nécessaire. Macron n’est pas dans ces nuances. Il constate, comme beaucoup de gens, que les nations « par essence » sont aujourd’hui en voie d’être détruites par les vagues d’immigrants et de migrants, par les circulations de capitaux, d’expatriés et d’informations et par leur soumission volontaire aux instances supranationales et aux traités. Il fait donc appel à la nation-sursaut quand ça va mal ou qu’il faut battre Marine Le Pen (ce qui un combat à front renversé assez original!!!). Le reste du temps, il se contente de la nation-mosaïque qui est à mon sens juste une façon de parler, une fiction mais en revanche promeut activement le communautarisme. On aimerait qu’il nous parle tout simplement de république, de citoyens et de loyauté civique.

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