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Les gigantesques feux de forêt en Sibérie pourraient inciter les Russes à changer de regard sur les conséquences du dérèglement climatique
©Josh Edelson / AFP

Feux sauvages

Alors que certaines voix en Russie voient d'un bon oeil le réchauffement climatique qui leur permettrait de rendre habitables de nouvelles régions, les violents incendies qui ravagent la Sibérie devraient questionner l'impact de ce dérèglement.

Frédéric  Durand

Frédéric Durand

Frédéric Durand est géographe, enseignant chercheur à Toulouse-II, spécialiste des phénomènes de déforestation. Il est l'auteur de nombreux ouvrages comme "Le Réchauffement climatique en débats, acquis, incertitudes et enjeux", Paris, Éditions Ellipses, 2007, 188 p. "La Jungle, la nation et le marché, chronique indonésienne", Nantes, Éditions de l’Atalante, 2001, 284 p. "Les Forêts en Asie du Sud-Est, recul et exploitation : le cas de l'Indonésie", Paris, Éditions de L'Harmattan, 1994, 411 p. Mais également "Réchauffement climatique : le Nord n’est pas moins concerné que le Sud", Territoires en mouvement en 2012. 
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Atlantico : Alors que des incendies ravagent la Sibérie et que l'envoi de l'armée a été décidé pour aider à contenir l'ampleur des feux, la violence de cet accident interroge. Quels sont les risques au niveau humain et écologique de ce type d'incendies majeurs ?

Frédéric Durand : Les risques sont de diverses natures. Les populations alentour sont en danger dans la mesure où les fumées véhiculent des particules fines et peuvent donc être très mauvaises pour la santé via l'appareil respiratoire. Sans parler des gens qui ont pu être brûlés dans les incendies s'ils sont à proximité, qu'il s'agisse de populations locales ou de pompiers. D'autre part, il y a le risque économique que représente la destruction des forêts, des récoltes. Enfin, certains risques sont moins connus sur les altérations nucléaires ou sur les zones contaminées puisqu'il y a un certain nombre de zones qui ont été contaminées. On connaît bien-sûr Tchernobyl mais il y a eu d'autres accidents moins connus du temps de l'URSS qui ont contaminé d'autres régions naturelles. Si ces régions brûlent, cela peut avec le vent ramener des particules radioactives, y compris dans le reste de l'Europe et en France notamment.

La Sibérie est-elle plutôt coutumière de ce genre de catastrophes ? Peut-on faire un lien avec le réchauffement climatique ?

Un des risques de ces incendies est bien-sûr de relâcher du carbone qui va accélérer le réchauffement climatique, avec un effet un peu larsen, feed-back. Il est certain que la Sibérie n'en est pas à son premier incendie. Elle avait connu de grands incendies en 2010 (un million d'hectares avait été touché) et il y en a eu aussi en 2018 (trois millions d'hectares cette fois-ci). Le chiffre officiel donné par les autorités depuis l'incendie est de trois millions, mais les organisations environnementalistes parlent de douze millions d'hectares qui auraient été brûlés.

On entend souvent que les pays du Nord seront moins touchés : au contraire, on voit que le réchauffement est plus important, et tous les modèles le montrent, dans l'hémisphère nord et les hautes altitudes. En Sibérie par exemple, on atteint des températures qui sont dix à vingt fois supérieures à des températures normales. Il fait en ce moment plus de 30 degrés en Sibérie : cette hausse des températures favorise bien évidemment les feux. C'est un accroissement de risques par rapport aux saisons froides.

Il y a aussi une conjonction dans la mesure où la Russie s'est lancée dans une exploitation massive de ses forêts. Il y a donc une fragilisation des forêts par le fait que, étant exploitées, il y a beaucoup de bois morts qui favorisent le départ et alimenter les incendies.

Ces événements montrent cependant la limite d'un certain type de raisonnement selon lequel grâce à la plantation d'arbres, on pourrait se dispenser de réduire l'émission de gaz à effet de serre. Si le réchauffement climatique continue d'augmenter et que les arbres partent en fumée, tous les gains de ces plantations vont être perdus. La multiplication des grands incendies au cours des dernières années (forêts tropicales, californiennes, portugaises, grecques, russes etc.) montre que les pays du Nord ne vont pas gagner le combat pour le climat. On est tous dans le même bateau du réchauffement climatique et c'est donc un problème à régler au niveau mondial. Contrairement à ce qu'elle laisse croire, la Russie a beaucoup à perdre dans le réchauffement climatique.

On remarque que les Etats-Unis ont proposé leur aide à la Russie pour combattre ces feux. Est-il courant de voir des pays se prêter assistance alors même qu'ils ne sont pas forcément en bons liens ? Cela ne montre-t-il pas l'impact mondial de ces incendies ?

En réalité, cette démarche est relativement fréquente : on a vu des grands incendies depuis les années 1980-1990, notamment en Indonésie. Souvent, on constate une négation de la gravité des faits dans un premier temps, alors qu'on voit les fumées depuis les satellites etc. ; mais au nom d'une sorte de fierté nationale, la plupart des pays vont avoir tendance dans un premier temps à nier la gravité, donc à ne pas agir. C'est ce qui s'est passé cet été en Russie, puisqu'il a fallu deux mois et deux millions d'hectares brûlés pour qu'enfin, Vladimir Poutine se décide à envoyer l'armée.

La proposition de Donald Trump est un peu amusante. D'un côté, c'est une manière d'essayer d'afficher la suprématie des Etats-Unis. Cela dit, l'année dernière il y avait eu de très graves incendies de forêts en Californie et Trump s'est contenté de se moquer de la mauvaise gestion des forêts par le gouvernement de Californie parce que les Californiens sont très anti-Trump. Il y a un côté politique qui ne relève pas forcément d'une véritable solidarité pour l'environnement mais aussi d'outils marketing pour afficher la supériorité d'un pays sur l'autre.

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