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Jacob, Larrivé, Aubert (et Sarkozy ?) : radioscopie de la droite d’aujourd’hui
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Banc d’essai

Alors que la droite reste sans leader depuis le départ de Laurent Wauquiez, trois candidats, Guillaume Larrivé, Christian Jacob et Julien Aubert s'affirment pour prendre la tête de LR.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Dans quelles traditions s'inscrivent ces candidats à droite ? D'un point de vue historique, sont-ils dans une logique de continuité ou de rupture avec ce qu'a été la droite ces dernières années ?

Edouard Husson : Je crains que la continuité l’emporte. Je le crains car j’aimerais qu’il se passe quelque chose chez LR. La droite a besoin d’un grand parti conservateur à côté du Rassemblement National. Dans une certaine mesure, il s’agirait de refaire le RPR et l’UDF. Le Rassemblement National d’aujourd’hui occupe la place du RPR des années 1970, qui était en quelque sorte un parti « bonapartiste », avant que Chirac ne lui fasse prendre un tournant centriste. Il faudrait donc, à côté du Rassemblement National recréer l’UDF dans ce qu’elle avait de meilleur, caractérisée par son attachement aux libertés, son goût de la décentralisation, son souhait de construire une Europe des réalités et son intérêt pour les classes moyennes et la cohésion sociale. Or, il est très frappant, lorsqu’on écoute les trois candidats, de constater qu’ils continuent à s’imaginer que LR représente à soi seul « la droite ». Il est d’autant plus dommage qu’aucun des candidats n’envisage de faire de LR un grand parti conservateur que, sur les quatre sujets dont je parle, il serait possible de prendre Emmanuel Macron en défaut. L’actuel gouvernement a créé et fait voter les moyens législatifs d’une censure à grande échelle, la limitation du droit de manifestation; il a montré durant la crise des Gilets Jaunes combien il se souciait peu des territoires; Emmanuel Macron défend une Europe abstraite et centralisatrice, loin de toute subsidiarité; et, enfin, jamais le fossé entre la France des métropoles et la France périphérique n’a été aussi large. Sur tous ces sujets aussi, le Rassemblement National est soit inaudible soit insuffisamment préparé. Nous avons besoin d’un grand parti conservateur qui pèse et qui amène le Rassemblement National à évoluer, à être susceptible d’entrer dans une alliance de gouvernement. 

Une fois que l’on a dit cela, il est évident qu’il faut faire la différence entre, d’un côté, Christian Jacob, qui incarne non pas le consensus mais l’enterrement définitif de LR; et d’autre part, Aubert et Larrivé, qui veulent se ressourcer à ce qu’il y avait de meilleur dans l’UMP de Nicolas Sarkozy. 

Guillaume Larrivé défend un "national-libéralisme". Sur le plan sociétal, il veut empêcher la GPA en l'inscrivant dans la Constitution. En quoi est-ce que cela le distingue réellement des prises de position récentes de Marion-Maréchal Le Pen ?

Je crois qu’il faut poser le problème dans l’autre sens. Marion Maréchal est la seule personnalité politique capable de rassembler toutes les familles de droite un jour: bonapartistes et libéraux, conservateurs et populistes, défenseurs de l'identité française et partisans d’une Europe qui pèse dans la mondialisation. C’est un fait, indépendamment de la question de savoir si elle souhaite revenir en politique et quel rôle elle entend jouer dans ce cas. Marion Maréchal a effectivement pris des positions courageuses, depuis qu’elle est entrée en politique, sur les sujets de société; mais il ne faut pas réduire son combat à cela: elle défend des positions de droite, élaborées et tranchées à la fois: elle défend les entrepreneurs, s’intéresse aux villes de taille intermédiaire, réfléchit à la subsidiarité, voudrait que la France fasse mieux entendre sa voix en Europe. Elle défend un retour à une formation supérieure en sciences sociales indemne du gauchisme ambiant dans l’école qu’elle a créée à Lyon, l’ISSEP. Est-il nécessaire de mentionner, par ailleurs, qu’elle prend totalement au sérieux la crise causée dans notre pays par l’immigration de masse et l’affaiblissement de l’Etat quand il s’agit de faire respecter l’ordre public? Une vision large, donc, en aucun cas achevée, mais à laquelle doit se référer, inévitablement, toute personnalité politique qui entend sérieusement contribuer au renouveau intellectuel de la droite et à son retour au pouvoir. Il est tout à fait normal, donc, qu’il y ait, chez Guillaume Larrivé et Julien Aubert, qui veulent réancrer LR à droite, sans ambiguïté, des points de convergence avec Marion Maréchal. Sur le plan économique, Julien Aubert, autant que Guillaume Larrivé, souhaite créer des contrepoids à l’économie de marché, pour que celle-ci n’échappe pas à tout contrôle au profit d’intérêts étrangers ou des grands instituts financiers. Sur la GPA, l’idée de Larrivé est assez maligne: elle consiste à placer la majorité actuelle sur la défensive, en la forçant à faire son « coming out » de défenseur du « meilleur des mondes ». 

Julien Aubert continue à brandir l’étendard gaulliste. Mais incarne-t-il ce que les Français aimeraient retrouver dans le gaullisme ? Son positionnement souverainiste est-il suffisant ?

A vrai dire, je ne vois pas ce qui justifie deux candidatures contre Christian Jacob. Julien Aubert et Guillaume Larrivé sont très proches l’un de l’autre. Est-ce parce que Larrivé parle moins du Général de Gaulle qu’il est moins susceptible d’attirer les gaullistes qui sont encore chez LR? Le gaullisme de Julien Aubert est sympathique mais incomplet: il oublie par exemple qu’en matière d’immigration le Général de Gaulle était sur des positions que le RPR a abandonnées dans les années 1980 et qui ont été reprises par le Front National. Larrivé parle plus d’immigration et de sécurité. Aubert a un discours cohérent sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Ensemble, les deux hommes font un candidat complet et susceptible de battre Christian Jacob. Il est dommage qu’ils ne se soient pas entendus. Cela aurait eu plus d’effet que si l’un des deux n’obtenait pas le nombre de parrainages et devait se retirer de la course. 

Christian Jacob semble vouloir défendre une forme de statu quo, défendant un "ADN originel de la droite", tout en se réclamant lui aussi du gaullisme. 

Vous rappelez-vous le bon mot de Winston Churchill sur son successeur comme Premier ministre: « Un taxi vide s’arrête devant le 10 Downing Street. Clement Attlee en descend »?  J’ai pensé à cette histoire la seule fois où j’ai lu une interview donnée par Christian Jacob. 

Qu'est-ce que cela dit de LR en général que ces courants soient ceux représentés par la droite ? Sont-ils selon vous en adéquation avec ce qu'on peut désigner sous le terme de droite ?  

La candidature de Christian Jacob et le fait qu’on la donne, pour l’instant, gagnante, laisse mal augurer de l’avenir de LR. Certains diront que le parti est en fait mort en 2017 lorsqu’il a été incapable de se rassembler autour de François Fillon. A la vérité, il faut reprendre l’histoire de cette famille politique sur une durée d’un quart de siècle. En 1995, Jacques Chirac l’emporte sur Edouard Balladur au premier tour de l’élection présidentielle parce qu’il parle de la «fracture sociale ». Malheureusement, il oublie le thème à peine élu, le paie par une cohabitation de cinq ans avec la gauche entre 1997 et 2002. En 2002, Jacques Chirac est réélu, comme par miracle, parce qu’il a écouté Nicolas Sarkozy et parlé de sécurité. En 2007, Nicolas Sarkozy construit un vrai programme conservateur et, en particulier, attire à lui, une bonne moitié de l’électorat du Front National. S’il avait réalisé son programme en matière de lutte contre l’immigration clandestine et de rétablissement de la sécurité dans les « territoires perdus de la République », Nicolas Sarkozy aurait été réélu. J’avais l’honneur de servir le président auprès d’un des ministres de François Fillon puis comme recteur, entre 2009 et 2012. Si vous saviez le nombre de représentants de la majorité à qui j’ai entendu dire: « Sur l’immigration nous sommes là pour garder le président de ses propres démons! ». Le résultat en a été la surenchère verbale, mais inutile, du discours présidentielle de Grenoble, à la fin de l’été 2010, sur sécurité et immigration; puis la défaite de mai 2012. N’allez pas chercher plus loin pourquoi LR est aussi mal en point aujourd’hui. Je trouve impressionnant le nombre d’anciens membres actifs des gouvernements de Nicolas Sarkozy qui sont passez chez Emmanuel Macron ou dialoguent avec les réseaux macronistes. Et quand je leur pose la question de leurs motivations en 2007, je comprends qu’ils n’ont jamais vu dans le discours sarkozyste sur l’immigration et la sécurité autre chose qu’un argument de campagne. Julien Aubert se refuse à faire cette analyse publiquement. Guillaume Larrivé est sans doute celui qui en est le moins loin. 

Le terme de conservatisme est encore boudé par les candidats, alors qu'il semble séduire certains électeurs de droite. Pourquoi ce refus d'utiliser ce terme à droite ? 

Il y a une cause immédiate. Le tandem Wauquiez-Bellamy a littéralement planté le terme, et avec application, durant la campagne des européennes. Ajoutons que si vous vous dites conservateur, les journalistes vous ramènent immanquablement aux questions sociétales. Mais je pense que les racines du refus du terme sont plus profondes. La droite, en France, s’est fondée sur la défense du veto royal lors de l’élaboration de la constitution de 1791. Mais, une fois le roi assassiné, ceux qui l’avaient défendu ont largement trahi leur propre cause. Les comtes de Provence et d’Artois se sont secrètement réjouis de la mort de leur frère, qui les rapprochait du trône en cas de restauration; quand celle-ci est devenue effective, la légitimité monarchique n’a cependant jamais pu être véritablement rétablie. Les émigrés de 1790-92 ou leurs descendants, réinstallés en France en 1814-15, n’ont jamais compris qu’en publiant contre la volonté du roi le manifeste de Brunswick, ils avaient poignardé Louis XVI dans le dos, au moment où il emportait la partie. Quant aux deux droites qui ont émergé après la Terreur, le parti de l’ordre post-thermidorien et le parti bonapartiste, elles étaient par définition en rupture avec la légitimité monarchique. Toutes les droites françaises ont donc quelque chose en commun: la trahison du principe fondateur de conservation de la nation. C’est pourquoi il est aussi difficile d’être conservateur en France. LR et le Rassemblement National de Marine Le Pen sont d’accord pour refuser d’être conservateurs. On est dans une situation très différente de la Grande-Bretagne, où le parti conservateur n’a jamais renié ses origines légitimistes - au XVIIè siècle, les Tories ont fermement défendu les Stuart, malgré les malheurs de la dynastie. 

En fait, dans le cas français, nous avons la possibilité de fonder un conservatisme républicain depuis que de Gaulle a stabilisé la République et en a fait le régime de tous les Français. Aubert et Larrivé sont donc porteurs d’un début de conservatisme français quand ils se réclament du Général de Gaulle. Encore faudrait-il assumer tout l’héritage gaullien et le fait que le Charles de Gaulle authentique fut, intrinsèquement, un homme de droite, le garant de l’héritage et de la transmission française - bien loin du portrait qui le tire à gauche qu’en a fait par exemple Jean Lacouture. 

Quelle vous semble être la ligne la plus prometteuse pour retrouver une place entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron ?

La première chose à faire, c’est de cesser de prétendre que LR puisse être, à soi seul, « la droite », en rejetant le Rassemblement National à l’extrême-droite. Non, il y a deux façons d’être de droite sur l’actuel échiquier politique. Ce n’est qu’après cette clarification qu’une force politique que je qualifierai de pleinement conservatrice pourra émerger, entre le Rassemblement National et LREM. Nous avons besoin d’une force politique, à droite, qui repense notre politique étrangère pour faire sortir la France de l’isolement où la plonge Emmanuel Macron; qui rétablisse l’équilibre entre nos engagments « outremer » et nos engagements européens; qui pose les bases d’une refonte de la construction européenne dans une logique d’équilibre des puissances avec l’Allemagne et de réconciliation avec la Grande-Bretagne; qui repense la subsidiarité de fond en comble, pour rendre aux Français, localement, la maîtrise de leur destin; qui libère les forces entrepreneuriales pour faire de notre pays une puissance de la troisième révolution industrielle; qui oppose à l’idéologie verte une écologie concrète, partant des territoires; qui libère les initiatives, qui pullulent, pour créer l’éducation française du XXIè siècle, qu’il s’agisse de déconcentrer radicalement les prises de décisions dans l’Education nationale ou de faire confiance à des initiatives venues de la société civile; qui réinvente l’aménagement du territoire pour le XXIè siècle; qui protège notre économie des prises d’influence hostiles venues de l’étranger; qui s’apprête à reprendre un contrôle plein et entier, national, de nos frontières et des flux migratoires; qui prépare l’interdiction des financements pour les musulmans et des imams venus de l’étranger; qui élabore un plan de reconquête des « territoires perdus de la République » etc... Plus la liste avance, plus il apparaîtra que des points de convergence mais aussi des débats sont possibles avec le Rassemblement National, obligeant ce dernier à approfondir des sujets sur lequel ses instances n’ont pas suffisamment travaillé; permettant, surtout, comme il faut le souhaiter, un dialogue politique entre les droites et l’émergence d’un compromis entre ce que David Goodhart appelle le groupe des « somewheres », des « enracinés » ballotés par les vents tourbillonnants de la mondialisation et le groupe des « anywheres », des « nomades » qui ont la mondialisation heureuse. L’émergence de ce que Goodhart appelle un compromis conservateur est indispensable pour battre Emmanuel Macron. Pour y aboutir, nous avons besoin d’un LR qui reconstitue ses forces et qui ait la modestie de se rappeler qu’il pèse aujourd’hui électoralement un tiers de ce que pèse le RN; mais qui se souvienne aussi que, dans le cas d’une alliance des droites, il apporterait deux atouts majeurs: des réseaux puissants dans l’appareil d’Etat et le monde socio-économique; et une masse d’élus locaux. 

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