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Ces signes de récession mondiale qui montent… alors que les taux baissent
©DANIEL ROLAND / AFP

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Mario Draghi a récemment annoncé la mise en place progressive d'une politique monétaire accommodante d'ici septembre.

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran

Jézabel Couppey-Soubeyran est maître de conférences en économie à l'université Paris I, où elle dirige le Master 2 Professionnel "Contrôle des risques bancaires, sécurité financière et conformité". Elle est l'auteure de Blablabanque. Le discours de l'inaction. Ed. Michalon, sept. 2015.

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Atlantico :  Que traduit l'adoption d'une politique accommodante par la Fed et la BCE ?

Jezabel Couppey-Soubeyran : Cela fait déjà plusieurs années que la politique monétaire de la BCE est accommodante. À l'inverse, depuis 2018, les Etats-Unis sont entrés dans une phase de normalisation de la politique monétaire. L'année 2019 marque un stop, en particulier depuis les 17 et 18 juin derniers lors de la réunion du FOMC, où Jérôme Powell voulait rappeler l'indépendance de la Fed en disant qu'il ne céderait pas aux menaces de Donald Trump et a finalement annoncé qu'il ne relèverait pas les taux, qu'il ne poursuit pas la normalisation, et qu'il envisage de baisser les taux d'ici la fin de l'année. Du côté de la BCE, on était toujours dans l'accommodation et non dans la normalisation. La politique accommodante va toujours plus loin, selon les déclarations de Mario Draghi lors de sa récente conférence de presse.

Il faut comprendre que la mise en place de politiques monétaires très accommodantes vient en réponse à la crise financière de 2008. Au début, il s'agissait de baisses de taux assez importantes, puis par des politiques d'achat d'actifs aux Etats-Unis (ce qu'on appelle le Quantitative Easing). Au niveau de la zone euro, la réponse a été un peu différente au sens où la BCE dans un premier temps a privilégié un assouplissement des conditions de refinancement des banques et ne s'est convertie au Quantitative Easing plus tard, en 2015. En les mettant en place au lendemain de la crise, on pensait sans doute qu'elles ne dureraient pas aussi longtemps et qu'à long terme on retrouverait des politiques monétaires relativement normales. En réalité, il a fallu accommoder la politique monétaire plus longtemps et on a le retour qu'il n'y aura absolument pas de retour à la normale possible. Au fond, qu'est-ce qu'un retour à la normale de la politique monétaire ? Un retour aux politiques monétaires d'avant-crise ? D'une part, ce n'est pas envisageable, de l'autre, elles étaient déjà très accommodantes et ont un peu contribué à la crise.

Certes, la politique monétaire accommodante a plus d'effet aux Etats-Unis qu'en zone euro. Sans doute parce qu'elle a été mieux combinée à la politique budgétaire, la politique accommodante a eu beaucoup plus d'effets plus rapides sur la croissance et le retour de l'activité s'est fait plus tôt. Il y a eu quasiment dix ans de croissance ininterrompus aux Etats-Unis parce que la reprise a été rapide, à partir de 2009. Mais la Fed n'a pas si bien mené sa normalisation, ce qui a ralenti la croissance. À l'inverse, dans la zone euro, la politique monétaire accommodante a eu des effets un peu plus poussifs, sans doute parce qu'elle a été beaucoup moins combiné à la politique budgétaire : il n'y a pas de politique budgétaire à l'échelle européenne, ce qui constitue un vrai problème de policy mix. En zone euro, tout repose sur la politique de la BCE et c'est un vrai problème car la zone euro est constituée d'économies très différentes et un outil unique ne permet pas d'agir efficacement sur tous les pays. À la rigueur, ces divergences sont accentuées par l'utilisation d'un outil calibré pour la moyenne de la zone. Il y a un gros problème d'ajustement macro-conjoncturel en zone euro, ce qui peut avoir une influence très négative sur la stabilité financière. Tout cela peut largement contribuer à réinstaller les conditions d'une crise financière.

Si l'on se penche davantage sur la BCE et les défauts de son "policy mix", que faudrait-il pour mieux coordonner les politiques monétaires et budgétaires, à l'échelle nationale et à celle de l'UE ?

Il faut des calibrages nationaux pour concevoir les impulsions budgétaires et il faut une coordination d'ensemble, c'est-à-dire un budget pour la zone euro avec une politique budgétaire commune : un plan de défense, par exemple, pour financer la transition écologique au niveau européen. Il faut ensuite des mesures qui soient déclinées à chaque niveau national. L'absence de politique budgétaire européenne pose un vrai problème. Quand bien même on parviendrait à en instaurer une, à mettre en place un plan d'ensemble et des déclinaisons nationales, il manquerait de toute façon un troisième axe à cette politique économique d'ensemble : prévenir des risques financiers, avec des mesures de prévention des déséquilibres. Il s'agit d'une politique macro-prudentielle : on a commencé à en parler à partir de la crise systémique de 2008.

On ne peut pas dire qu'au niveau de la zone euro, il existe une politique macro-prudentielle coordonnée au niveau européen et avec des déclinaisons nationales afin de bien calibrer l'action au niveau des pays, c'est-à-dire au niveau où l'on observe un cycle du crédit ou un cycle financier. Cela veut dire que si l'on a simplement une politique monétaire unique et des politiques budgétaires coordonnées au niveau européen, on peut certes obtenir un meilleur ajustement macro-conjoncturel, on ne prévient pas du tout la formation de déséquilibres macro-financiers accentués qui peuvent être alimentés par la politique monétaire accommodante. Par cette politique monétaire accommodante, on est vraiment en train d'élever l'insécurité financière.

On a le sentiment que les politiques accommodantes interviennent parce que la croissance est faible. La politique monétaire en place est-elle la seule cause de la chute des taux de croissance de long terme ?

La politique monétaire accommodante a eu pour effet d'abaisser le niveau des taux d'intérêt, à commencer par les taux directeurs qui pilotent les taux d'intérêt de court terme. Ensuite, via cette action, la baisse des taux d'intérêt de court terme s'est diffusée sur les taux d'intérêt de long terme. Les achats d'actifs ont également eu des effets massifs sur les taux longs : ces derniers ont baissé et on n'a pas du tout eu une phase de normalisation des politiques monétaires permettant de remonter les taux d'intérêt, de regagner des marges de manœuvre pour les baisser de manière significative ensuite. On veut essayer de poursuivre l'accommodation et d'annoncer une nouvelle baisse de taux, mais sans que les taux n'aient eu le temps au préalable de remonter. Même aux Etats-Unis, où la normalisation avait débuté, le taux d'intérêt directeur est remonté à 2,5% : ce n'est pas beaucoup pour regagner des marges de manœuvre pour les baisser à nouveau.

Bien sûr que ces politiques répondent au ralentissement de la croissance, ralentissement qu'on observe partout, aussi bien dans les économies avancées que dans les pays émergents, mais le problème tient à ce qu'on n'a même pas eu le temps de reconstituer des marges de manœuvre au niveau de la politique économique (au niveau du taux d'intérêt et de la politique budgétaire). Dans le même temps, les dettes privées comme publique ont continué d'augmenter, en particulier la dette privée, ce qui veut dire que les structures financières dans le privé sont fragiles. Comme la croissance n'a pas suivi et que les recettes publiques n'ont pas suivi, on assiste à une dégradation mécanique des finances publiques et là aussi des marges de manœuvre faibles au niveau budgétaire.

On manque une opportunité importante. L'autre jour, l'annonce de la BCE aurait pu être d'indiquer une poursuite de la politique monétaire accommodante, mais en la conditionnant par exemple au financement de la transition écologique. Peut-être que cela viendra et marquera l'arrivée de Christine Lagarde à la tête de la BCE, mais il y a urgence parce qu'on est en train d'alimenter l'instabilité financière sans du tout s'assurer que cette accommodation aura des effets persistants sur l'économie réelle et il y a une urgence climatique en parallèle.

Propos recueillis par Augustin Doutreluingne.

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